Ebanelle Hirune

Des mouvements lents et douloureux, une silhouette voutée... Aucun aspect de sa personne ne peut laisser penser que cette vieille femme avait pu être belle un jour. Elle a 55 ans et en parait 20 de plus. Portant des vêtements sales tachés de sang, aux multiples trous, cette vielle femme avance à l'aide d'une cane qu'elle magne maladroitement. Son visage, ridé, témoigne des épreuves passées mais également d'un manque d'entretien flagrant. Facilement épuisable, elle tente pourtant de se dépasser. Ses doigts aux ongles crochus, parfois cassés, montre qu'elle ne chaume pas pour autant. Ses pieds nus étaient maintenant rodés aux éclats de verre, aux vermines qui jonchaient le sol. Pourtant, elle avait été une belle femme... Ses cheveux gris aux multiples nœuds avaient été beaux et en avaient rendu jalouse plus d'une. Plus un sourire n'effleure son visage. Maintenant, elle avait tous les atouts pour tenir le rôle d'un épouvantail en plein champs.

Il est difficile d'arriver à cerner ce personnage. Froide et distante, elle peut très bien agresser verbalement un inconnu ou bien se faire passer pour une pauvre petite vieille malheureuse. Avec les quelques proches qu'il lui reste, elle fait souvent preuve de persuasion quand il faut et sait taper où cela fait mal, comme si sa folie la quittait l'espace d'un instant. Est-elle réellement folle après tout ? Son esprit est certes dérangé, mais pendant longtemps elle arrivait à faire la différence entre la réalité et ses hallucinations. Panpale était maintenant sa seule raison de vivre. Ce dieu lui dictait ses moindres actions, du moins elle le croyait, s'enfermant dans un univers macabre qui ne faisait qu'aggraver son délire. Peu patiente, il lui arrivait de s'énerver contre elle-même, de parler seule, ou d'agresser une personne imaginaire.

Dès le jour de sa naissance, on aurait pu penser que la vie d'Ebanelle serait une réussite. Sa mère avait une grande passion pour la chasse, passion qu'Ebanelle et sa soeur cadette purent partager très tôt avec elle, pour leur plus grand bonheur. Les trois femmes étaient unies et soudées sans oublier leur père et mari : Erymanthe. Chaque jour était pour Ebanelle un jour de découverte et de joie : Saz son animal de compagnie, Malthéo son premier amour secret ou bien encore le jeu du loup qui lui plaisait tant, faisaient d'elle une petite fille épanouie, qui n'avait besoin de rien de plus. Que vouloir de plus après tout ? Son avenir était tout tracé. Très tôt son talent comme chasseresse se fit ressentir et elle décida qu'elle serait comme sa mère, à la hauteur du nom qu'elle portait... Malheureusement une suite d'évènements que personne ne méritait vînt briser ce doux rêve, ce tableau tellement parfait.

Il faisait beau le jour où tout a basculé. La journée était splendide. Sa grande sœur était partie jouer avec des amies, tandis que ses parents étaient à la chasse. Ils s'aimaient beaucoup tout les deux, Ebanelle le savait et espérait qu'un jour elle aussi puisse partager cette passion qu'était la chasse avec son amour. Elle passa la journée à chantonner et s'amuser attendant ses parents... Mais son père n'est jamais rentré, tué par un sanglier lors de la chasse. Il a fallu un moment à Ebanelle pour accepter ce qui venait de se passer. Sa mère ne répondait pas à ses questions, quant à sa sœur elle se contentait de la mettre hors de sa chambre pour pleurer seule. Ebanelle est restée longtemps à la fenêtre pour voir si son père allait revenir. Elle n'était pas idiote pour autant... A 13 ans, elle savait très bien ce que la mort voulait dire, mais son coeur ne pouvait se résoudre à accepter cette hypothèse. Son père était quelqu'un de fort et de courageux ! Alors, il allait rentrer... Mais la réalité rattrapa la fiction et Ebanelle devait s'avouer ce qu'elle fuyait : il ne reviendrait jamais ! Plus rien ne fut comme avant... La famille soudée explosa et chaque membre mena ses activités de son côté. Ebanelle était malheureuse.

Les années passèrent et sa mère elle ne s'occupait d'elle qu'à mi-temps, préférant la nature à son enfant. Elle lui en a beaucoup voulu. D'une part parce qu'elle se sentait abandonnée, d'autre part parce qu'elle la tenait pour responsable de la disparition de son père. Jamais Ebanelle ne pourrai retrouver sa joie d'autrefois, alors que Sorastrata repartait conquérir la forêt, comme si rien n'était de sa faute. Ebanelle se demandait même si sa mère n'allait pas voir un autre homme. Avec le temps, l'adolescente grandit et dut se ressaisir. Sans s'en rendre compte elle se réfugia dans la chasse comme sa mère pour oublier la douleur. Elle s'entraînait, encore et encore. Jusqu'au jour où elle dut se marier. Elle avait dû épouser un certain Tarak, mais cela se passa plutôt bien. Son niveau en tant que chasseresse était maintenant connu de tous quant à son mari, il lui apportait tout ce que cherchait une femme dans le lit conjugal.

Pourtant, il faut croire que le bonheur sexuel ne rimait pas avec le bonheur d'une famille.
Au sens large ce terme signifie parents et enfants, mais les enfants ne venaient pas. Ebanelle s'en voulait, étant persuadée que la cause du problème venait d'elle... Son mari était gentil et la soutenait tant bien que mal, mais le regard des autres étaient une chose difficile à surmonter. Puis un jour, un miracle lui fut accordé. Ses longues prières et sa nuit sur l'autel d'Hegoa finirent par payer et un beau bébé vint au monde par une journée pluvieuse : Luminara. Ebanelle n'avait jamais vu d'enfant aussi beau, certainement parce que c'était la sienne. La petite grandit sous le regard émerveillé de ses parents et le bonheur s'installa chez eux. Luminara développa très rapidement un don pour la chasse. Elle était aussi douée que belle...

Mais une fois encore ce tableau allait être entaché de sang. Il faisait beau ce jour-là, c'était sans rappeler une autre journée macabre. Ebanelle étendait son linge dehors quand un hurlement inhumain se fit entendre. Rapidement elle saisit son arc et partit à la rencontre de ce cri de désespoir avant de tomber nez à nez avec le cadavre, déchiqueté, de ce qui avait été son mari, par un ours, certainement. Comme un cauchemar, elle revoyait ce qui s'était produit des années auparavant, comme un cauchemar... Assise au bord d'une fenêtre à attendre, elle se répétait que cela ne pouvait être qu'un cauchemar. Se renfermant sur elle de plus en plus, elle reproduisit les erreurs de sa mère, délaissant sa petite fille... Elle lui manqua rapidement mais étrangement ce n'est pas vers Luminara qu'elle se tourna mais vers Jezabel sa petite nièce. Pour oublier, elle allait chasser nuit et jour et prendre une apprentie ne l'aiderai qu'un peu plus dans cette tâche. Jezabel était bel et bien une Hirune elle aussi. Le maniement de l'arc fut un jeu d'enfant pour elle et très vite Ebanelle décela chez elle des qualités qu'elle n'avait pas perçu chez Luminara. Jezabel était visiblement plus douée. Cette intuition lui fut confirmée quand Luminara vint lui faire part de son nouveau désir : devenir danseuse. En forçant un peu, elle aurait certainement pu trouver encore un métier un peu plus ridicule...

Ebanelle oublia vite les caprices de son enfant grâce aux progrès de Jezabel. A 12 ans, sa nièce était déjà prête pour la partie métaphysique de son apprentissage et à 19 elle était capable de faire rougir les chasseresses les plus expérimentées. Mais Jezabel l'a abandonné, du moins Ebanelle l'avait toujours vu comme cela. Elle ne voulait plus suivre son enseignement, ni respecter ses conseils. De plus son respect envers le dieu Panpale n'était pas satisfaisant, car dans son début de folie Ebanelle croyait avoir compris une chose : si l'on ne veut pas que le malheur s'abatte sur nous c'était Panpale qu'il fallait vénérer, car son pouvoir est bien plus supérieur à celui des autres dieux. Panpale est le seul, l'unique qui peut détruire ou simplement laisser faire les choses. Jezabel partit, Ebanelle se replia définitivement sur elle, vivant loin de tout dans une petite chaumière pour se consacrer à Panpale. Certains disent que la folie l'a atteint, mais la vieille femme âgée maintenant de 55 ans ne le voyait pas de cet oeil. Pourtant, de temps en temps elle se surprend encore à s'asseoir au bord d'une fenêtre et à attendre.