Olarils ! Le Départ est Imminent !

Elle ne pouvait plus attendre. Non seulement parce que l'envie de partir était cent fois plus grande désormais, mais également parce que les éléments ne lui en laissait pas le temps. Ni le temps de patienter, ni celui de rester inactive. Ergan l'avait dit : il avait besoin de toute l'aide possible, ce qui nécessitait qu'elle parle au Peuple.
Alors qu'il avait été assez facile d'exposer son projet à l'Administrateur comme à ses proches désormais au courant, il semblait, alors qu'elle se déshabillait pour revêtir des atours plus dignes que cette tunique bouillie mais chaude, qu'il n'était plus si clair, son discours, plus si logique, plus aussi facile à annoncer.

Même si tous parlaient de ce départ, de ce voyage qu'avait lancé le frère de Laclaos, sans doute certains d'entre eux avaient-ils l'intention de fermer les yeux, de ne pas écouter, et de se contenter de faire l'autruche. Laisser passer ce murmure et réfléchir à la reconstruction... Ceux-là resteraient avec le Pontife. Soit ! Elle préférait avoir à contenir les enthousiasmes qu'à supporter des Olarils emenés de force vers la Gérax. Mais il résidait tout de même beaucoup de crainte, dans leur coeur, elle le savait, car elle-même avait peur de ce voyage. Autant qu'elle souhaitait passer les Monts, elle angoissait. Il y avait toujours cet énorme Risque. Celui de partir pour rien, de ne rien trouver, de ne pas réussir à passer, de mourir dans la neige. Ou de revenir et de trouver le Camp vide, mort... Par leur faute...

Lysandre prit une profonde respiration et enfila ses gants de cuir, abîmés, mais de fidèles alliés des rudes journées... Et bien que ce jour-ci semble clément, qu'un pâle soleil veuille leur rendre visite, la Chasseresse aimait porter ces gants-ci, qui l'avaient accompagné dans ses Chasses. Cela lui donnait du courage. Comme la Lame des Dieux, à sa ceinture. Avant de sortir, elle enferma de nouveau les Tables d'Olaria dans un épais coffre, et pria Aimar de lui donner les mots justes.

Il était sans doute quatre heures passées, le soleil déclinait, mais les jours s'allongeaient déjà. Il ne faisait plus nuit au milieu de l'après-midi, ce qui serait un avantage pour marcher plus longtemps, parcourir de plus grandes distances. Elle marcha en croisant quelques têtes qui la saluaient, mais la majorité des Olarils se trouvait déjà devant l'immense feu de Camp qui réchauffait l'endroit. Garret avait bien fait son travail, une fois encore. Tous avaient voulu savoir ce que le Chef avait à dire. En avançant vers eux, en leur faisant des signes de tête, en leur souriant, elle entendit déjà le sujet qu'elle allait aborder. On parlait de la Gérax, elle entendait murmurer, la rumeur s'élevait.

Et ce fut comme un soulagement. Ils se doutaient tous de ce qu'elle annonceraient... Du moins avaient-ils le thème de son discours...

Devant le grand foyer qui crépitait, elle haussa le ton pour se faire entendre.

« Olarils ! » Fit l'Hirune en levant les bras, contenant la douleur de son ventre dont la peau tirait par ce mouvement. « Il n'est plus temps de se leurrer, je me dois d'être honnête envers vous ! Le Printemps arrive, et même si c'est un soulagement, il nous apporte de mauvais débuts, comme toujours. Vous le savez, vous aussi. »

Une petite pause, et elle scrutait les visages attentifs. Parmi eux, certains blessés plissaient les sourcils... Se doutaient-ils qu'elle allait leur demander de rester sur place ?

« Nous avons construit le campement sur un terrain qui n'est pas profitable : les crues des ruisseaux nous menacent, le gibier se cache et nous sommes peu nombreux à pouvoir aller chercher de la nourriture. Pire ! Nous commençons à être la cible d'autres prédateurs. » Dans l'assistance, on évoqua déjà les attaques de Loups qui faisaient trembler les plus faibles.

« Nous n'arriverons pas à reconstruire ici même notre si beau village. » Du moins, pas à cette période. C'était trop dangereux... Mais cette simple phrase fit hausser le ton des Olarils. Beaucoup avaient cet espoir... Lysandre, elle, ne l'avait plus depuis un petit moment, résignée à partir.

Son ton s'aggrava.

« Le tremblement de terre a ouvert un passage. Un passage dans la Gérax. Un Télaran l'a constaté, et des Chasseresses ont vu des troupeaux de Cerfs y passer. Nous devons envoyer des hommes par cette voie, pour trouver un meilleur terrain. Pour reconstruire Arestim Dominae ! » Il y eut un long silence.

Les Olarils se regardaient parfois, levaient au ciel des yeux implorants, comme s'ils cherchaient une réponse. Une main se leva, le poing fermé, et un grand « Le Chef a raison ! » Se fit entendre, fort, convaincu. Lysandre crut son cœur déborder, et elle reconnut clairement l'Olaril qui venait de parler. C'était un Astar, soutien d'Arngrim... Il fut suivit par plusieurs partisans du frère de Laclaos.

Quelques mains suivirent la première, mais d'autres en vinrent à hurler : « Mensonge ! Hérésie ! » Des adeptes du Pontife, c'était certain. Bientôt, chacun y alla de sa propre opinion. Mais la Chasseresse avait plus de voix :

« Tous les Olarils capables nous accompagneront. Tous ceux qui le veulent... Nous partirons en éclaireur par delà la Gérax. Nous avancerons là où personne n'a réussi à aller. Nous passerons les Montagnes ! » Finit-elle par hurler, entraînant dans sa fougue plusieurs cri d'encouragement. Elle se sentait s'envoler, comme lorsqu'on chevauche à toute vitesse et que l'on siffle en poursuivant les Fauves. La liesse, un courage soudain, une profonde excitation. Elle se sentait emportée par cette foule, qu'ils hurlent ou l'insultent.

« Et nous bâtirons notre village sur une terre plus fertile, plus agréable et plus belle qu'aucune autre ! Sur la Terre des Dieux ! » La douleur n'était plus rien, lorsqu'elle tira de son fourreau la Lame des Dieux pour la hisser vers le Ciel clair. Les nuages étaient loin, mais ils avanceraient. Ils n'avaient plus beaucoup de temps...

Ces mots firent éructer ceux qui déjà l'accusaient de folie, plusieurs quittèrent la place en jurant au scandale, et en promettant qu'elle mourrait seule dans les Monts. Ceux qui, comme elle, étaient portés par cette fougue nouvelle, s'approchèrent, vinrent la toucher et poser leur main sur son épaule. Lysandre se sentait en dehors du temps, en dehors de son corps... La souffrance était remplacée par une joie et une excitation nouvelle. Elle se sentait aimée, et autour d'elle, les visages croyaient en elle.

Ils croyaient en cette possibilité de reconstruction, au delà de la Gérax. La Chasseresse put alors exposer les désirs d'Ergan. Tout ce dont ils avaient parlé, des chariots jusqu'aux sacs, tout fut expliqué. A son côté, l'Administrateur pourrait alors prendre la parole, et il s'approcha pour donner les premières directives aux volontaires. Certains semblaient assez motivé pour commencer sur la seconde, certains prenaient le temps de la réflexion... Du coin de l'oeil, elle voyait Arngrim rejoint par les Olarils qui le soutenaient depuis qu'il avait évoqué ce Départ. Ils le félicitaient, ils lui confiaient leur impatience... La même que celle qu'elle ressentait à cet instant et depuis la veille. En plissant les yeux, l'Hirune chercha du regard ses proches et frémit de les voir à ses côtés... Voilà comment elle avait toujours rêvé d'être accueillie...

Et même si elle partageait ce rêve aujourd'hui avec le frère de Laclaos, Lysandre préférait oublier cette moitié-ci de la liesse : ils l'aimaient. Ils la suivraient... Fallait-il ajouter autre chose ?

Tout fut si rapide ensuite... Bientôt, Ergan ayant donné les principales instructions, beaucoup se dirigèrent vers leur tente, pour faire leur maigre bagage. D'autres allaient déjà couper du bois, rassembler les tissus disponibles, amasser les réserves nécessaires de nourriture... C'était alors une telle fourmilière qu'on eut crut les Olarils multipliés.

Le compte à rebours avait commencé.

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