Elle avait dans la tête, encore, le désastre des derniers instants lucides qu'elle avait eu durant la Fête d'Hégoa, quelques jours au paravent. Elle avait dans la bouche, encore, l'âpre goût du vin qu'elle avait bu à outrance sans se soucier qu'il soit bon ou mauvais, sans estimer sa valeur, ou sans juger sa qualité. Elle avait dans les oreilles, encore, les tambours et les chants puis les cris de joie des hommes ivres, et ensuite le silence salvateur de la grange dans laquelle elle s'était réfugiée.
A vrai dire, Kermaat Garthésia n'éprouvait qu'un simple sentiment de honte profonde envers cette soirée où elle s'était ridiculisée. Il n'y avait donc pas d'autres mots pour décrire cette scène, dont beaucoup d'Olarils avaient été témoins, et elle soupçonnait deux hommes, assis à l'une des tables de l'Auberge, d'en discuter encore en la regardant de temps en temps, et en s'esclaffant souvent.
Elle soupira.
Entrée dans l'Auberge un peu par hasard, pour grignoter un repas mérité, après une longue matinée sans client, voilà qu'elle regrettait déjà son geste absurde. Elle avait l'impression que tout le monde l'observait, et de son unique oeil valide, Kermaat n'osait regarder personne. Toujours soucieuse de ce que les gens pouvaient penser d'elle, elle songea à ses vêtements, qui étaient somme toute très ordinaires, mais qu'elle pensa alors trop voyants, trop ceci, pas assez cela... Ce fut un affreux sentiment mal à l'aise qui s'empara d'elle alors qu'elle entendit la patronne de l'Auberge lui souhaiter la bienvenue, et lui conseiller de s'asseoir à une table.
Elle resta immobile, dans le passage, put répondre un délicat "bonjour" à la femme derrière le comptoir mais ne put bouger plus, prise d'immenses complexes face aux regards. Se souvenaient-ils de son humiliant spectacle de la Fête ?