Une silhouette dans le noir

Lance profitait de l’atmosphère paisible du soir. Ca faisait un moment qu’il n’avait pas quitté le Quartier des Humbles et il appréciait de changer d’ambiance. Les rues étaient plus larges, l’air plus frais … Et durant cette courte heure de marche, ses soucis le laissèrent en paix.

Même si le Quartier Commerçant ne le dépaysait absolument pas -il y menait souvent ses affaires-, il le rapprochait de la Ville Haute.
Son ancienne vie lui manquait … L’habitude faisait qu’il n’y pensait plus mais de temps à autre, lors d’une soirée calme, Elenor et lui sentaient comme un poids qui descendaient sur leurs épaules.

Ils avaient rendez-vous aux Canaux, à l’embranchement de deux passages plus ou moins secrets, repérés depuis un long moment par la Dissidence. L’endroit était souterrain et l’eau y stagnait en permanence, lui donnant une odeur désagréable qui vous engluait un peu plus à chaque pas. C’est pourquoi Lance recula au maximum le moment de s’y engager, profitant de l’éclat de cette fin de journée et de cette senteur toute particulière qui régnait dans les rues.

Perdu dans ses pensées, il s’accorda tout de même un temps de réflexion sur l’entrevue qui allait suivre. Silhouette avait sollicité une entrevue avec un Dissident haut placé et Lance s’était proposé, curieux de découvrir cette toute jeune recrutée. D’après ce qu’Eléni lui avait dit, il s’agissait en réalité d’une danseuse du quartier des Humbles, Ethelinda Logaro, et elle était très douée ! Autant en danse qu’en tant qu’espionne et voleuse … Son bras droit l’avait plus ou moins pris sur son aile et cela justifiait amplement sa curiosité !
Penser à Eleni le préoccupait. Il ne l’avait pas revue depuis qu’il l’avait mise à pied. Elle avait repris du service bien trop rapidement à son goût et ils n’avaient pas encore eu le temps d’en discuter. Il lui faudrait prendre un instant pour la voir … Un instant … S’il trouvait le temps un jour …

Lance laissa échapper un soupir. Un peu de répits ne serait pas de trop … Mais avec le mariage d’Ysor et les Révolutionnaires qui s’agitait, ce n’était pas le moment de flancher.
Il jeta un coup d’œil au soleil déclinant et grogna. Il était tant d’y aller …

L’astre lumineux descendait derrière les maisons tordues, éclairant les murs d’une lumière rougeoyante et, s’il avait pu profiter de l’instant, il n’aurait pas demander mieux que de s’asseoir à la terrasse du Ceste et d’admirer ce coucher de soleil s’y prometteur.
Cette idée le fit sourire et il prit le chemin des canaux d’un pas lourd et traînant.
Arrivé là-bas, une volée de marche lui permit d’atteindre un passage souterrain qui s’enfonçait dans l’obscurité. Il s’y avança sans lumière, seulement guidé par celle du jour tombant qui finie par s’effacer dans son dos. Après plusieurs minutes à tâtonner, il parvint sur un ponton de bois qui s’étalait au-dessus de l’eau. L’endroit était plus bas que le niveau de la ville et le plafond était composé de pierre et de bois selon s’il s’agissait du plancher d’une maison ou d’une rue qui surplombait l’étendue d’eau. Quelques interstices permettaient à l’endroit de n’être pas totalement plongé dans l’ombre et des torches éteintes attendaient qu’un éventuel voyageur ne les allume. Le crieur ne prit pas cette peine, c’était une des parties des canaux qu’il connaissait bien, merveilleux lieux de rencontres secrètes et de cachettes discrètes.
Une barque semblait n’attendre que lui et il la détacha, se guidant sur le canal grâce à une longue perche qui atteignait aisément le fond. Au moins, s’il tombait, il ne risquait rien d’autre que de ressortir plus sale et plus puant qu’avant …

Un véritable labyrinthe s’ouvrait devant lui et il manœuvra prudemment pour ne pas risquer de tomber nez à nez avec quelqu’un. Les lieux étaient silencieux et semblaient déserts, si ce n’était quelques silhouettes informes avachies sur des pontons semblables à celui qu’il venait de quitter mais on n’était jamais trop prudent et les lieux n’étaient pas réputés pour leur sûreté.
Parfois, un étroit rebord de pierre terminait les murs recouverts de mousses et d’algues humides, permettant un cheminement par la voie terrestre mais, la plupart du temps, ces passages étaient en partie détruits et la voie la plus sûre restait la navigation.
Après quelques minutes dans cette atmosphère étrange, seulement suivit par le bruit du fleuve qui frémissait à son passage, Lance finit par arriver à destination.

Un renfoncement dans le mur laissait la place à une étendue de pierre plus longue et plus large que tous les autres sentiers, réalisant un véritable quai où plusieurs personnes pouvaient se tenir.
Il conduisit sa barque jusque là et l’attacha à un anneau dans le mur.
L’endroit avait, en réalité, deux moyens d’accès. Le premier et le plus aisé était l’eau. Le second était plus complexe. Il s’agissait de repérer une étroite ouverte dans le mur du fond, de sauter jusque là puis de se faufiler dans un boyau de pierre et de ramper jusqu’à attendre une petite pièce. De là partaient trois chemins différents qui, tous, au bout d’un temps plus ou moins long, vous ramenaient à la surface, débouchant le plus souvent dans une venelle étroite du quartier des Humbles.
Voilà pour ce qui était d’assurer ses arrières …

A présent, il ne lui restait plus qu’à attendre.
Rapidement, il perçut le bruissement de l’eau et une embarcation surgit. Une silhouette fine s’y tenait, debout, encore camouflée dans l’ombre.
D’une voix forte et rocailleuse, Lance tenta la phrase de reconnaissance.
« C’est étrange de croiser quelqu’un ici ! »

L’échos lui répondait, se répercutant sur les murs noirs.
La phrase était suffisamment simple pour être commune. Si c’était la femme qu’il attendait, elle répondrait comme convenu. Sinon, l’arrivant le prendrait pour un alcoolique venu se réfugier dans les canaux pour se cacher au monde et passerait son chemin …

L’ancien Noble espérait que c’était elle, l’odeur suintante de l’endroit commençait déjà à le perturber et le mince foulard qui recouvrait son nez n’y changeait rien …

Ethelinda s’était encore une fois empressée de se préparer après son spectacle. Sans prendre le temps de souffler après l’épreuve, elle était rentrée au domicile familial pour y attendre la nuit. Cette double vie l’épuisait et l’empêchait de vivre sa vie comme une fille « normale ». Les remarques incessantes des filles de son âge – et des plus âgées- l’agaçaient au plus haut point. Elle ne s’estimait pas encore assez âgée ni désespérée pour se laisser traiter de vieille fille, cependant le rôle quotidien qu’elle s’évertuait à jouer lui interdisait toute réaction susceptible d’attirer l’attention sur l’humble danseuse des rues.

Chaque nuit de nouveaux larcins s’ajoutaient à la longue liste des méfaits de Silhouette et même si personne jusqu’à présent- excepté Eleni – n’était parvenu à faire le lien entre la voleuse et la danseuse, Ethelinda angoissait à l’idée de se faire piéger. Voilà la raison pour laquelle une fois encore, elle s’élançait sur les toits accompagnée de Fortune avec dans l’estomac un nœud désagréable .

Cependant savoir qu’elle allait s’approcher des hautes sphères de la dissidence, jusque là bien protégées, lui apportait un peu d’adrénaline et lui faisait oublier sa fatigue pour quelques instants. Elle avait rendez-vous dans un passage connu des dissidents et plutôt dissimulé. Situé en un lieu où il n’est pas agréable de trainer, la localisation avait aussi l’avantage d’être difficile d’accès. Un renfoncement entouré d’eau stagnante où seuls ceux qui ne souhaitaient pas voir leur conversation écoutée ou les ivrognes osaient se rendre.

Les informations qu’elle allait transmettre semblaient de toute évidence suffisamment importantes pour que l’audience qu’elle avait réclamé lui soit rendue si rapidement. La nuit n’était pas encore tombée mais cela ne l’avait pas empêché de revêtir sa tenue et son masque et de se rendre sans se faire remarquer sur le lieu du rendez-vous. Arrivée à proximité de l’embarcadère près à s’écrouler au moindre mouvement, elle descendit sur le sol humide et se dirigea vers la barque d’une constitution si mauvaise qu’il lui semblait qu’elle pouvait céder sous son poids. Ethelinda n’avait nulle envie se tomber dans cette eau croupies où de nombreux déchets flottaient c’est pourquoi c’est avec précaution qu’elle s’installa à son bord et manœuvra en direction du lieu convenu.

Alors qu’elle approchait et apercevait une silhouette dans la pénombre, une voix rauque s’éleva au dessus du clapotis de l’eau pour l’accueillir. Elle entendit la phrase de reconnaissance convenue au préalable et s’apprêta à répondre. C’est à le moment là que l’air nauséabond l’atteignit de plein fouet alors qu’elle s’évertuait jusqu’alors à ne respirer que par la bouche. Ses yeux larmoyèrent un instant, au moment où elle en avait besoin. Elle n’était pas rassurée et l’éventualité de tomber dans un piège n’était pas négligeable. Elle prononça la phrase attendue.

- Encore plus à cette heure ci.

Puis elle mit pied à terre devant l’homme qui l’attendait, sans le quitter des yeux elle hocha la tête en guise de salut. Comme elle n’engageait jamais les conversations, elle attendit patiemment que l’autre se livre, l’observant en silence toujours prête à intervenir en cas d’attaque de sa part ou de complices. Persuadée qu’elle ne serait jamais à l’abris de tomber dans un piège.

De longues jambes surmontées d’une taille fine, un buste svelte et une nuque élégante camouflée par une épaisse chevelure qui apparaissait dans la pénombre, plus sombre qu’elle ne devait l’être en réalité.
Elle était bien faite et avait l’air très jolie sous le masque qui voilait son visage. Ou, tout du moins, elle avait de jolis yeux. Mais elle avait l’air bien jeune …
La description d’Eléni était fidèle. Si Elandor avait eu quelques années de moins, elle aurait été tout à fait son genre et nul doute qu’il aurait fait son possible pour que la danseuse des rues face son entrée au Palais.
Mais, à présent, il s’apercevait amusé que ses goûts avaient changé. Il n’avait plus envie de chaire fraîche ou de peaux absolument lisses. Certes, il aimait toujours les jolies femmes mais s’il avait eu l’idée de rechercher une nouvelle compagne, il en aurait sans doute trouvé une dont au caractère affirmé et aux traits harmonieux marqués par le temps.
Pour l’instant, seul l’éclat roux d’une chevelure faisait battre son cœur. Bellone était loin de cette beauté parfaite et juvénile mais son visage et son corps avaient un charme inaltérable que le poids des années ne feraient pas faiblir.

L’homme soupira, son visage heureusement dissimulé dans l’ombre. Il pensait à Elle de plus en plus souvent, et notamment lorsqu’il côtoyait quelques présences féminines. Dans la courbe d’une lèvre, l’arrondi d’une pommette ou d’un sein, il revoyait une partie d’Elle … Mais ce n’était ni le lieu, ni l’endroit …

Il la regarda s’approcher, mettre pied à terre et répondit vaguement à son salut.
Sa voix avait été ferme et claire lorsqu’elle avait répondu la phrase attendue.

Inquisiteur, il la détailla à nouveau sans vergogne mais sans aucune lubricité, seulement désireux de savoir exactement à qui il avait à faire. Elle devait être souple et rapide …
Il était peu probable qu’il se soit fait tromper mais Lance laissa tout de même le silence s’installer entre eux, le temps de la jauger. Elle semblait légèrement anxieuse. Elle le maîtrisait avec brio mais son regard était un peu trop mobile. A force de fixation, il la força à le regarder dans les yeux. Il savait son regard plus terne qu’autrefois mais il espérait qu’il avait gardé un peu de la flamme qui intimidait ses interlocuteurs. Le foulard masquait le reste de son visage et seules les rides de son front étaient visibles ainsi que la fine cicatrice blanchie qui agaçait le coin de son œil gauche.

Elle ne prenait pas la parole et la situation l’agaça. Elle avait demandé à voir un Dissident haut gradé mais attendait manifestement que celui-ci prenne la parole … Pour qui se prenait-elle ? ! Elandor plissa les yeux. Il avait été Gardan Edorta, il avait l’habitude qu’on rampe devant lui, qu’on se confonde en excuses pour l’avoir dérangé et qu’on lui parle avec déférence. Avec Lance, il avait dû savoir prendre sur lui, retenir son tempérament acerbe et accepter d’être seulement l’un d’eux.
Mais dès qu’il devenait l’Al’Faret ou même un Dissident d’une quelconque importance, son orgueil reprenait le dessus.
Et là, c’était fortement le cas …

Il prit néanmoins sur lui pour modérer le ton de sa voix qui, s’il parut froid et un peu guindé, camouflait son énervement.

«Tu as demandé à voir quelqu’un, Silhouette ? »

Il avait appuyé sur le « tu ». La Dissidence, plus que toute autre faction ne pouvait se permettre de laisser l’autorité et la hiérarchie aller à vau-l’eau.
C’était très simple : il y avait des dirigeants, les décideurs et il y avait des exécutants, qui n’avaient aucun autre rôle que d’obéir aux ordres, quels que soient leurs talents. Eleni et Elenor en avaient, du talent. Elles pouvaient même se permettre, de temps à autre, de le contredire et de lui envoyer ses erreurs et ses incohérences au visage. Mais pour les autres Dissidents, il se devait d’être infaillible …
Aujourd’hui, il n’était que Lance mais, en tant que tel, il représentait L’Al’Faret et donc, son autorité.

Peut-être jugeait-il la jeune fille trop promptement ? Le recrutement de personnes douées avait un terrible revers : ils avaient été doués auparavant et ils le savaient. Ils avaient envie d’être indépendants et libres de leurs actes. Pourtant, ils devaient, tous, lui rendre des comptes …

Lance restait donc sur ses gardes, prêt à la remettre à sa place. Il lui fallait néanmoins faire preuve d’écoute dans un premier temps. Peut-être avait-elle juste des informations à lui faire parvenir ? Le message d’Eleni avait été très succinct : heure et lieu du rendez-vous, phrase de reconnaissance.
La fatigue et le poids des derniers jours rendaient l’homme moins tolérant et il se força à expirer lentement par le nez pour se calmer.
Son regard se fit moins dur, plus aiguisé. Il avait l’habitude qu’on se rende disponible pour lui et l’envie de se montrer affable ne l’effleurait que rarement lorsqu’il était Lance. Avec l’Al’Faret, c’était différent … Il devait charmer, donner le désir aux gens de le croire et de le suivre. Depuis combien de temps l’Al’Faret n’avait-il pas parlé ? Il avait dû se cacher depuis que les arrestations s’étaient faites plus nombreuses … Pour combien de temps encore ? Et combien de jours avant qu’Elandor n’oublie l’engouement qu’il était censé faire éclore dans le cœur de ses hommes ?
Cette pensée l’obligea à modifier son attitude. Il se força à se détendre, à être attentif et à ne pas la juger avant d’avoir eu les moyens de se forger sa propre opinion.

La modification fut à peine perceptible mais dans sa tête, le revirement était de taille.
Voilà, elle pouvait parler, il était prêt à l’écouter …

[d'solée, c'naze !]

Ethelinda patientait, prenait sur elle en attendant une quelconque réaction. L’odeur nauséabonde qui flottait de ci de là rendait difficilement supportable cet échange et au fond d’elle la jeune femme espérait ne pas trop s’attarder en ces lieux.

Elle jaugeait du regard l’homme qui se tenait devant elle, il était bien plus âgé qu’elle mais de son regard émanait une force inquiétante . Il devait avoir l’habitude de se faire obéir mais malheureusement pour lui, Ethelinda n’était pas du bois dont on fait les brebis. Et ses services avaient beau aller à la dissidence, sa liberté comptait bien plus à ses yeux. L’agacement ou la frustration ne tardèrent pas à effleurer la peau d’Ethelinda, se manifestant comme un picotement désagréable. Elle vit les yeux de l’homme se plisser comme s’il se forçait à ne pas réagir. Et malgré l’agacement qu’elle provoquait chez lui, elle resta impassible et garda le silence se demandant combien de temps cette affaire durerait et qui serait le premier à céder.

Ce fut lui qui brisa le silence qui s’était établit entre eux , l’espionne ne laissa rien paraître même si en un élan enfantin cette « victoire » la réjouissait. Il l’avait appelée Silhouette, du nom par lequel la dissidence la connaissait. Comme elle n’était entré dans le mouvement que depuis peu, elle se douta qu’il n’était pas encore assez connu pour être ébruité hors du quartier général. Elle ne manqua cependant pas de remarquer l’insistance qu’il avait mit à la tutoyer. Décidément cet homme n’aimait pas qu’on s’oppose à lui.

- C’est exact, je pense avoir récolté quelques informations susceptibles de vous intéresser.

Elle parlait de la voix calme qu’on adopte dans une banale conversation. Elle n’était pas du genre à présenter un rapport comme un brave petit soldat au service de son supérieur. Elle savait que seul la loyauté qu’elle devait à l’Al’Faret ou à son amie Eleni l’avait empêché de remplir la mission qu’on lui avait proposé et que c’était abandonner une grosse somme d’argent dont sa famille avait besoin. Ethelinda était consciente et fière de ce qu’elle pouvait apporter aux dissidents et espérait en retour être traitée avec un minimum de respect. Mais l’homme à qui elle avait affaire ne semblait pas l’entendre de cette oreille et essayait de l’écraser avant même de savoir ce qu’il en était. A moins que quelque bruit ne coure déjà sur sa personne. Elle l’entendit expirer doucement par le nez et son inimitié à l’égard de la jeune femme se fit moins piquant. Elle poursuivit , soucieuse de ne se faire comprendre que par son interlocuteur car bien qu’elle n’entendisse personne dans les alentours, ils n’étaient pas à l’abris des oreilles d’un quelconque espion.

- Il y a de cela trois nuits, un homme prêt à payer le prix fort pour s’offrir les services me fit une proposition qui aurait sans nul doute déstabilisé toute votre organisation.

Par cette phrase, elle se détachait entièrement de la dissidence . Elle espérait que l’homme comprendrait que c’était une mesure de sécurité plus qu’un refus d’appartenance à ce groupe et continua donc son explication, s’approchant de lui et baissant le ton pour n’être entendue que de lui.

- La mission qu’il me proposait

Elle se décala d’un pas afin de ne pas le toucher mais restait cependant prête à parer la moindre attaque.

- Etait de m’approcher suffisamment

Elle baissa encore un peu le son de sa voix qui ne devint plus qu’un murmure.

- De l’Al’Faret ou d’un représentant important de la dissidence

Elle était arrivée à son niveau et il la dominait de quelques centimètres tout au plus.

- Et de le tuer ou de le mettre dans l’incapacité de nuire pour quelques temps.

L’information était passée, maintenant il fallait discuter et décider des choses à faire. Ethelinda resta un instant debout son épaule touchant presque celle de l’homme puis elle recula aussi silencieusement qu’elle était venue.

- L’homme attend ma réponse demain soir. Depuis que je l’ai rencontré, je n’ai eu de cesse d’éviter et de piéger quelques espions à sa solde. Il possède les moyens de payer tous ces hommes et si je refuse, l’offre en intéressera probablement plus d’un. Je suis partie à la chasse aux renseignements concernant cet homme et j’ai apprit beaucoup sur lui et ses projets.

Elle avait assez parlé, maintenant c’était à cet homme de prendre les décisions. Cela devait conforter son égo de voir la jeune femme en attente de ses paroles mais pour une fois elle était heureuse de ne pas avoir à décider du sort de la dissidence. Il était pour le moment le seul à proposer cette mission mais tôt ou tard d’autres ne tarderaient pas à être placées sur le marché et la décision de l’homme risquait de changer radicalement la place politique.

[c'est moyen, si tu veux je peux changer deux trois trucs]

Lance jura mais le tissu sombre qui recouvrait le bas de son visage étouffa le son de sa voix.
Il savait que, tôt ou tard, les Conservateurs s’intéresseraient de plus près à la Dissidence. Et alors, il ne leur serait pas difficile de savoir qu’elle était dirigée par le mystérieux Al’Faret. Plus les missions se multipliaient, plus il courrait le risque de faire parler de lui et de se mettre en lumière.

Il laissa la jeune femme achever son rapport sans plus s’occuper des sentiments contradictoires qu’elle pouvait lui inspirer. Elle était venu le prévenir, cela démontrait sa fidélité. Il gardait en tête l’idée que ce pouvait être un piège mais décida de lui accorder le bénéfice du doute en attendant une confirmation. Même si elle venait d’être recrutée, elle semblait avoir le soutient d’Eléni, et Elandor avait confiance en son talent de recruteuse et, également, en son réseau d’information. D’autre part, il ne courrait pour le moment aucun danger ce qui ne l’incita pas à une prudence excessive. Silhouette semblait plus agitée, craignant sans doute qu’on les découvre mais il ne pensa pas à lui avouer que les lieux étaient quadrillés par quelques Dissidents fidèles, l’idée de rassurer son interlocutrice ne lui effleurant même pas l’esprit. Pour ce genre de mission, L’Al’Faret prenait toujours soin de se faire accompagner de deux ou trois hommes capables de se fondre à merveille dans les décors destructurés des bas quartiers. La précaution était sans doute trop légère mais Elandor n’avait pas les moyens d’assurer au mieux sa protection et peut-être cette discrétion le servait-il …
Pour l’heure, son esprit était occupé à autre chose qu’à remettre ce fonctionnement en questions.

Après un long silence qu’elle respecta religieusement, il jugea bon de lui répondre même si les pensées s’agitaient encore sous son crâne.

« Eléni est au courant ? »

C’était un point crucial. Si elle était au courant, nul doute qu’elle avait déjà entamé des recherches et la savoir concernée aurait été rassurant.
On ne pouvait pas vraiment dire que le fond de la mission inquiétait Elandor. Il y avait peu de risque que Silhouette ou une autre nouvelle recrue parvienne jusqu’à lui. Depuis plusieurs semaines, l’Al’Faret ne rencontrait plus personne et se faisait discret, se contentant de communiquer par l’intermédiaire de Dissidents sûrs. Lance lui aussi faisait profil bas, Elandor pouvait se permettre de laisser Elenor se charger de certaines missions délicates que lui-même ne pouvait honorer.
En revanche, savoir que ses ennemis commençaient à avoir l’idée de les infiltrer était dérangeante. Il allait falloir renforcer les précautions lors des recrutements et même, faire de nouvelles enquêtes autour des Dissidents, même les plus anciens …
Comme s’ils avaient besoin d’autant de problèmes …

Il reprit la parole, le regard inexpressif, peu désireux de laisser voir l’agacement qui pointait en lui. Pourtant, rien que le fait que son esprit évoque la possibilité qu’un Conseiller soit dans le coup l’énervait. L’envie de tous les étrangler à mains nues était présente et Elandor regretta de ne pas les avoir éloigné du pouvoir dès les premiers jours de son règne.

« Et qu’as-tu pu apprendre sur lui ? »

C’était là un point crucial. Quel genre de Nobles voulait annihiler la Dissidence ? Si cela venait en effet des Conseillers, ça n’aurait rien de nouveau … Mais peut-être que d’autres allaient devoir être surveillés.

Un autre problème se posait mais il n’osait l’aborder de front avec la jeune fille qu’Eléni lui avait décrite. Il la savait fière et indépendante et ne voulait prendre le risque de la froisser. Pourtant, il lui fallait savoir … Pourquoi avait-elle été approchée, ELLE ? ! Quelqu’un connaissait ses talents d’espionne ? Comment l’avait-il su alors qu’elle cultivait avec soin son identité de danseuse des rues ? Avait-elle été approchée parce qu’on la savait Dissidente ? L’idée était plus inquiétante. Il était théoriquement impossible de reconnaître un Dissident sauf si celui-ci hurlait ses opinions politiques dans la rue. Mais, aux vues des nombreuses arrestations qui avaient parfois décimés leurs rangs -et parfois sacrifié des innocents-, les Dissidents étaient de plus en plus prudents, se taisant et ne se retrouvant entre eux que lors des missions. Faire profil bas était devenu leur leitmotiv et aucun ne serait assez stupide pour ne pas le respecter.

Lance avait conscience de laisser beaucoup de silence envahir la conversation mais il n’avait pas envie de se précipiter. Il préférait parler peu et réfléchir beaucoup.

« Tu as bien fait de venir nous en parler. En revanche, je me demande comment cet homme a bien pu te trouver … »

Il n’y avait aucun reproche dans cette question implicite mais il était flagrant que l’homme attendait une réponse claire et véridique.

A mesure qu’elle parlait, la voleuse voyait quelque chose évoluer dans le regard de son interlocuteur. De l’inquiétude venait s’ajouter au poids incommensurable des choses encombrant son esprit. Il avait eu l’air frustré en apprenant ce qu’elle était venu lui confier et Ethelinda ne douta pas que le grognement étouffé par l’étoffe de tissu qui recouvrait la moitié de son visage devait être un juron digne de ses frères.

Ce genre de nouvelles n’était jamais agréable à découvrir et Silhouette se demanda s’il était du genre à faire passer ses nerfs sur le porteur de nouvelle. Non pas que cela la dérange ou l’inquiète, mais parce qu’elle avait comprit qu’elle ne rencontrerait jamais l’Al’Faret et qu’elle avait besoin de distraction. Il lui faudrait bien plus que quelques informations pour gravir les échelons dans les rangs de la dissidence.

Surveillant les alentours, guettant le moindre bruit suspect, Silhouette ne baissa pas la garde en attendant le bon vouloir du dissident. Il n’était certainement pas venu seul mais habituée à ne compter que sur elle-même ou sur Fortune, l’idée qu’une attaque avait pu être fomentée à leur encontre la dérangeait. Elle pouvait se sortir seule de ce genre de situation critique mais ses hommes de confiance ne réagiraient peut être pas à temps et il lui faudrait s’encombrer de l’homme qui bien que désagréable n’en restait pas moins un allié. La voix étouffée du dissident vint briser le silence relatif qui s’était abattu sur les canaux.

-Bien sûr qu’elle l’est sans quoi je n’aurai surement jamais obtenu de rencontre, répondit-elle à l’interrogation.

La maîtresse des déguisements avait été la première personne mise dans la confidence de ce qui se tramait dans les hautes sphères. Elle n’avait pas paru surprise lorsque Silhouette s’était introduite auprès d’elle pour l’en informer. « Ce n’était qu’une question de temps avant que cela n’arrive » lui avait-elle dit alors avant de décider qu’il lui faudrait rencontrer quelqu’un. Cette nouvelle allait certainement agiter la dissidence dans les jours prochains. Les yeux figés en une expression neutre, l’homme reprit la parole, lui en demandant plus sur le demandeur de cette mission.

-Pour ce que j’en ai découvert, il ne s’agit que d’un vieux noble insuffisamment influant malgré sa richesse qui aimerait offrir la tête de l’Al’Faret sur un plateau au Conseil. Je ne me suis pas attardée sur les détails pour le moment mais l’approfondissement ne saurait tarder.

Les méninges du dissidents devaient tourner à vive allure, il devrait prendre en compte des informations nouvelles tout en imaginant leurs répercutions sur leurs petites affaires. Le fait qu’Eleni ait été mise dans la confidence devait l’inciter à croire les dires de la voleuse qui pourtant ne cessait de s’inquiéter. Et s’il ne la croyait pas et la suspectait de jouer double jeu ? Depuis qu’elle était entrée dans les « troupes » de l’Al’Faret, elle n’avait eu de cesse de travailler pour servir leurs buts mais ce n’était pas pour autant qu’elle avait interrompu ses propres affaires .

Il finit par lui poser la question cruciale, comment ce noble l’avait-il trouvée ?

- Vous ne devez pas être pas sans savoir que j’ai commencé à sévir dans le coin bien avant d’être recrutée par les vôtres, commença-t-elle à lui raconter. Il fut un temps où j’accomplissais quelques missions pour cet homme, voler des documents chez ses opposant afin de connaitre leur chiffre d’affaire ou ce genre de choses. A vrai dire, je suis moi-même surprise qu’il fasse appel une nouvelle fois à mes services étant donné que je m’étais débarrassée de ses hommes de main lors de ma dernière mission…mais il paye bien et sa requête présente certaines subtilités que les moins Volontaires d’entre nous pourraient peiner à satisfaire.

Alors qu’elle faisait une pause dans son récit, elle vit le dissident froncer les sourcils .

- Ne vous inquiétez pas, mon identité et mes affinités politiques restent un secret bien gardé, il n’a réussi à me contacter que parce que le bouche à oreille fonctionne bien . J’aurai très bien pu ne jamais avoir entendu que cette offre m’était destinée. En revanche, il faudra se décider vite de ce qu’il faut faire, il m’a laissé trois nuits pour me décider et passé ce délai la mission sera remise sur le marché…

Un mince sourire s’étira sur ses lèvres masquées par le foulard noir. Mais il n’avait rien de joyeux et son cynisme cruel se lisait presque jusqu’à ses yeux bruns. Ne pouvait-il pas, pour quelques heures seulement, redevenir Elandor Arlanii ? Marcher d’un pas tranquille vers la demeure de ce gros plein de soupe de Noble, le visage découvert et le dos bien droit, témoin de son assurance tranquille, le regarder droit dans les yeux et lui trancher la gorge pour avoir seulement songer à attenter à sa vie … Cesser de se cacher parmi les ombres et pouvoir, enfin, hurler qu’il était encore en vie. Joli rêve …
Qui fut brutalement coupé par la réponse sèche de la jeune femme. Les sourcils de Lance s’arquèrent légèrement et il se contenta de se racler la gorge pour toute réponse. Il y avait fort à parier que la jeune fille ne comprendrait pas mais cela signifiait que l’agacement avait monté d’un cran. Qu’elle se croit tout permis la regardait tant qu’elle ne mettait pas la Dissidence en danger mais qu’elle lui réponde comme à un abruti, il appréciait moins.
Eléni avait organisé la rencontre mais elle avait refusé de lui en dire plus par écrit. Elle avait eu raison mais ils n’avaient pas eu l’occasion de se voir d’ici-là …
Encore une fois, il laissa couler mais à l’avenir, il se promettait d’éviter Ethelinda Logaro comme la peste. Elle donnerait ses informations Eléni et ce serait tout.

Il hocha la tête à la description de cet homme qui voulait sa peau. Il voyait défiler une vingtaine de visages qui pourraient correspondre à ce que Silhouette avait dit, au moins.
« Il nous faudrait un nom … »

Il parlait davantage pour lui-même que pour elle. Il avait décidé de lui faire confiance ou, en tous cas, de la placer sous la surveillance d’Eléni. Même dans le monde restreint de la nuit où évoluait la jeune danseuse, il était sûr que son bras droit avait un informateur capable de s’assurer de sa fidélité à l’Al’Faret. Et au pire, quand bien même elle serait une traître, il ne comptait pas lui révéler quoique ce soit qui ait une quelconque importance.
Il devait se montrer prudent mais il commençait à être épuiser de cette chasse perpétuelle. Au moins avait-il la chance de pouvoir faire confiance aux deux personnes les plus proches de lui.

La jeune femme acheva sa tirade et Lance laissa un long silence s’installer entre eux. Peut-être le fit-il durer un peu trop longtemps d’ailleurs … Elle attendait sa décision et il ne put s’empêcher de savourer le fait de se savoir être le seul décideur dans l’affaire. C’était sans doute mesquin mais il n’était plus à ça près … Et de toutes façons, il devait prendre le temps de réfléchir.
Il n’y avait pas trente-six solutions mais il hésitait à lui répondre sans avoir discuter de tout cela avec Elenor ou Eléni … Certes, il prenait les décisions lui-même mais leurs avis lui avaient bien souvent ouvert les yeux …
Donc … Il pouvait obtenir le nom de ce Noble et envoyer un Dissident le réduire au silence mais cela signifierait devoir par la suite réduire au silence plus de la moitié des Nobles puisqu’il y avait fort à parier qu’ils tenteraient tôt ou tard la même chose. Or il ne comptait pas tuer tant d’Ilédore que ça avant de remonter sur le trône … Venait ensuite la solution de ne rien faire et de rester sur ses gardes en protégeant de plus en plus les quelques indices qui pouvaient mener jusqu’à lui. Soit … Soit elle pouvait accepter et jouer un double jeu pour le compte de la Dissidence. L’idée était intéressante et il la soupesa longuement. Bien sûr, il fallait qu’elle accepte mais elle aimait le goût du risque … Et elle pourrait sans doute remonter à cet homme, mais également à ses amis du même avis que lui et à ses hommes de main qui pourraient alors être soigneusement surveillés. Cela pourrait peut-être aussi permettre d’éviter les recrutements douteux … Et si jamais Silhouette servait déjà cet homme, elle se retrouverait prise à son propre piège !
Son front se dérida et il posa à nouveau son regard indéchiffrable sur la jeune femme. En réalité, il fixait un point au-delà de son visage, choisissant ses mots avec soin.

« Dans trois jours, tu dis … Et bien … Je dirai que nous avons deux solutions. Soit tu refuses cette proposition et nous nous chargeons d’en assumer les conséquences, soit tu acceptes. Tu pourras ainsi t’infiltrer parmi eux et nous apporter des informations sur ce détracteur qui, je n’en doute pas, n’est pas un cas isolé. Cela comporte des risques et le choix t’appartient. Mais si tu acceptes, tu seras bien entendu soutenue et nous te donnerons de fausses informations susceptibles de les induire en erreur et d’expliquer que tu ne ramènes pas … une tête sur un plateau d’argent. »

Il s’était retenu à temps mais il avait failli laisser échapper un « ma tête ». Il frémit à cette idée. Il était impossible qu’elle soupçonne quoique ce soit mais cela devenait dangereux. Décidément, il fatiguait et avait hâte que cette conversation se termine. Cette erreur pouvait bien être sa dernière s’il la commettait.

« Qu’en pensez-tu ? »

Ethelinda sentait au fond d’elle qu’il ne lui faisait pas confiance ce qui eut le don de l’agacer. Elle comprenait qu’on puisse s’inquiéter sur sa fidélité à la dissidence, mais le fait qu’elle ait accepté de rencontrer cet inconnu qui de son côté n’était certainement pas venu seul devait suffire à rassurer son interlocuteur. Ce manque évident de reconnaissance envers cette loyauté, puisqu’il fallait l’appeler ainsi, l’énervait et la décevait.

Elle aurait tout aussi bien pu accepter la mission et chercher à percer le secret qui entourait l’Al’Faret. L’homme en face d’elle ne devait pas avoir confiance en lui pour chercher à lui imposer sa volonté à ce point. C’était dommage pour lui car Ethelinda n’allait pas changer d’attitude pour autant, ce petit jeu la distrayait trop pour cela, n’oubliez pas qu’elle était avant tout une saltimbanque.

L’homme avait les sourcils froncés et semblait prendre plaisir à la voir attendre ses directives. Il n’allait pas se donner la peine de la renseigner sur quoi que ce fut concernant la dissidence, c’eut été lui accorder trop de confiance. A l’évidence, savoir qu’elle effectuait toujours des missions en dehors que celle que la dissidence lui confiait le frustrait, mais à l’instar de certains la danseuse ne pouvait compter sur personne pour avoir un peu de pain à la table de la famille. Les affaires étaient dures en ces temps de sièges, les gens cherchaient à se distraire mais n’en donnait pas pour autant leurs pièces aux artistes des rues.

Ethelinda pensait que rejoindre la dissidence lui ouvrirait de nouveaux horizons à explorer, de nouveaux marchés à exploiter mais les contacts étaient mince entre les membres de la faction. Le risque qu’ils encourraient s’il se faisait attraper était trop important pour que les liens se tissent. Ca ajouté au chantage implicite d’Eleni au moment de son recrutement et au désir qu’avait la jeune femme de croire en l’Al’Faret l’avaient poussé à les rejoindre dans ces luttes pour le pouvoir. Mais plus le temps passait et plus elle se disait qu’il lui faudrait ralentir la cadence pour se consacrer d’avantage à sa famille et à leur survie à tous.

Ses réflexions furent interrompue par la reprise de parole de l’autre, il lui laissait le choix elle pouvait rejoindre le vieillard, accepter son offre et jouer un double jeu avec le soutien de la dissidence ou bien vaquer à ses préoccupations et les laisser affronter seuls la vague d’assassin que les conservateurs ne tarderaient pas à faire pleuvoir sur eux. Malgré son désir de reprendre ses petites affaire bien plus rentables que celles dont elle se chargeait pour la dissidence, Ethelinda n’était pas du genre à laisser tomber des personnes qui comptait sur son travail ou sa présence. Ils avaient besoin de plus d’informations sur le sujet pour qu’elle puisse avoir été d’une utilité complète. De plus, elle ne considérait pas sa mission terminée pour autant, le double jeu qui allait suivre n’était qu’une partie des prolongations que la situation exigeait d’elle. Et puis il lui fallait admettre que la possibilité de titiller d’avantage les nerfs de cet homme l’amusait, il aurait probablement souhaiter ne plus rien avoir à faire avec Silhouette et à moins qu’il ne trouve un autre intermédiaire pour la poursuite de cette mission, il n’aurait pas la joie de voir son vœu se réaliser.

- Je le rejoindrai donc dans trois nuits pour lui dire que j’accepte son offre. J’en profiterai pour approfondir les recherches sur ses intentions et je tacherai d’en découvrir d’avantage sur l’étendue de sa requête. Elle parlait d’une voix calme, d’un ton ne laissant pas transparaitre sa hâte de voir finir cette discussion désagréable, il n’est jamais agréable de voir son travail dénigré de la sorte. Qu’attendez-vous d’autre de moi ?

C’est avec soulagement qu’Elandor entendit la jeune femme accepter sa proposition. Bien, cela l’occuperait et éviterait qu’elle ne devienne trop … entreprenante. Elle avait pour elle la jeunesse et la fougue mais il la sentait un peu trop frustrée par son actuelle place dans la Dissidence. Que voulait-elle vraiment ? Aider l’Al’Faret à prendre le pouvoir, certes, mais qu’est-ce que cela pouvait bien lui apporter ? Elle avait déjà une activité fort enrichissante même s’il était censé l’ignorer …
Alors qu’elle parlait, il la regardait fixement, cherchant à lire dans ses prunelles sombres. Plusieurs idées lui traversèrent l’esprit, souvent en rapport avec ce qu’Eléni lui avait appris d’elle.
Finalement, il secoua imperceptiblement la tête. Cela ne le regardait absolument pas si ça n’interférait pas avec ses actions dissidentes, et il avait d’autres occupations plus urgentes. Comme éviter de se faire découvrir ou tuer … Certains Dissidents choisissaient de le suivre pour des raisons douteuses mais tant qu’ils lui étaient fidèles, il tâchait de ne pas s’en soucier.
A présent, tout ce qu’il lui restait à faire, c’était de terminer cette discussion et de laisser Eléni gérer la suite des évènements. Lui-même se préoccupait peu du nom exact de celui qui voulait attenter à sa vie. Dans l’immédiat, l’homme de main était plus dangereux que le commanditaire … Il avait appris à laisser ce genre de détails à son bras droit et il était sûr que, le moment venu, elle saurait lui rappeler ceux dont il devait se débarrasser.

« Bien, la Dissidence te remercie d’accepter cette mission. »
S’il avait s’agit d’un autre de ses hommes, il n’aurait pas pris la peine de le remercier. Si un Dissident acceptait une mission, c’était simplement pour faire son devoir et ça n’avait rien à voir avec une faveur qu’il accorderait à l’Al’Faret … Mais il lui semblait se souvenir qu’Eléni trouvait la jeune fille intéressante et la brosser dans le sens du poil la rendrait peut-être plus disposée à les servir.

Cependant, il ne put s’empêcher d’arquer les sourcils d’un air intrigué et désabusé lorsqu’elle lui demanda ce qu’il attendait d’autre d’elle. Il esquissa un sourire dont la seule traduction fut un léger étirement au coin de ses yeux. Sa voix en revanche, était teintée d’ironie.

« Personnellement, JE n’attends rien de toi, Silhouette … »
Il laissa son regard la parcourir de haut en bas, désireux qu’elle se sente gênée sous ce fin tissu qui moulait ses formes. Il laissa le sous-entendu planer, satisfaisant ainsi ses instincts de mâle machiste.

« En revanche, la Dissidence sera très heureuse que tu transmettes les informations que tu obtiendras à Eléni. Tu peux également lui faire remonter tes requêtes. S’ils sont disponibles, des hommes seront là si tu as besoin d’aide ou d’une cachette sûre. »
Il n’ajouta pas que, dans certains cas, la Dissidence offrait aussi de quoi subvenir aux besoins des Dissidents les plus miséreux. Elle lui semblait trop fière pour en faire état, surtout devant lui.

Il reprit son sérieux et la regarda à nouveau normalement, sans lubricité ni moquerie.
Il hésita. Devait-il lui parler, se taire ? Après tout, elle ne le connaissait pas et l’oublierait sans doute bien vite … Et la mettre en garde ne l’engageait en rien. Au pire, elle ne l’écouterait pas, au mieux, elle se montrerait prudente.

« Tu es un très bon élément, Silhouette. Mais je crains que ton indépendance ne t’éloigne parfois de nous … Ce n’est pas un reproche mais … Lorsqu’on agit seule, on n’a aucune chance de voir quelqu’un nous venir en aide. »

Il se tut, regrettant de s’être laissé aller. Allait-elle le prendre au sérieux ou penser qu’il se moquait d’elle ? Aucune importance … Non, ce qui l’agaçait, c’était qu’il se soit laisser aller à ce qui ressemblait à de la bienveillance alors qu’il ne ressentait absolument rien au contact de la jeune fille si ce n’était une profonde crispation. Malgré tout, c’était une Dissidente, il fallait bien qu’il surveille ses ouailles …
Il soupira ostensiblement.

« Et bien sûr, si tu désires m’entretenir à nouveau, tu peux me demander, l’information remontera et je te rencontrerai quand j’en aurai le temps … »
Et si j’en ai le temps surtout … Si je sais que c’est toi qui me demande et qu’Eléni peut très bien s’en charger, je ne me précipiterai pas …

Cette remarque acerbe, bien que prononcée intérieurement, le déculpabilisa de s’être montré trop gentil auparavant.
Il devait être fatigué pour se laisser ainsi envahir par des pensées éparses et contradictoires.

Un dernier coup d’œil l’assura qu’elle n’ajouterait plus rien d’intéressant. Il lui adressa un bref signe de tête et, lui tournant le dos, s’éloigna.
La barque tangua légèrement sous son poids puis s’éloigna lentement lorsqu’il poussa de sa perche sur la berge.
Il ne se retourna pas un seul instant, se fichant de savoir si la jeune fille avait elle aussi quitter les yeux ou si elle gardait encore les yeux fixés sur sa silhouette massive que l’obscurité engloutissait.



C’est bof, bof, me sentait pas trop inspirée XD Je te laisse répondre si tu veux, sinon, ce post est terminééé !
(Et l’idée de l’aide accorder aux Dissidents a déjà été évoquée il y a longtemps dans le QG, je ne viens pas de l’inventer pour me justifier, hein :p)