Les Feux de la Gérax (Digarl Edorta)

Digarl Edorta se tenait près de la statue de Diron, à ruminer de bien sombres pensées. Cette idiote de Lysandre occupait ses pensées continuellement. Pour la millième fois, Digarl se répéta que Laclaos avait fait le pire choix qui puisse être. Pourquoi n'avait-il pas choisi le vertueux Eldar, puisqu'il semblait vouloir désavouer Xan ? Qu'est-ce que Lysandre pouvait bien avoir de plus que lui ? Furieux de ressasser encore et toujours les mêmes pensées sans parvenir à influencer cette petite oie ridicule qu'était l'héritière Hirune, Digarl s'assit à même le sol.

Soutenir la Veuve Edorta était la moindre des choses qu'il puisse faire. Il espérait ardemment que Xan – si sa mère parvenait à lui ôter ces ridicules idées d'allégeance de la tête – commencerait à réclamer la place usurpée. Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas le petit tambour s'approcher de lui. Encore un Hirune, pensa-t-il en réalisant qu'il n'était plus seul.

- Qu'est-ce qu'il y a ? aboya-t-il.

Le tambour lui répliqua avec son ton habituel :

- Ben rien, m'sieur, mais avouez c'est quand même bizarre de vous voir ici sur le sol alors que l'auberge d'Irae n'est pas loin, vous voyez ce que j'veux dire...

Si le Garret n'avait pas encore compris que Digarl était de méchante humeur, il le comprit à la pique suivante :

- Je m'assied où je veux, et c'est certainement pas un morveux dans ton genre qui va m'en empêcher.

Et voilà que je me bats avec un gamin, songea le vieux conseiller Edorta, dépité. Garret, en revanche, percevait parfaitement tous les avantages à tirer d'une discussion prolongée avec Digarl Edorta. Son côté provocateur et insolent l'incitèrent à s'asseoir aux côtés du vieil homme.

- D'habitude, j'suis tout seul près de notre vieux Diron, m'sieur.

Digarl ne répliqua pas. Il avait envie d'être seul pour insulter tout à son aise Lysandre et les problèmes qu'elle attirait sur Arestim. Garret revint à la charge :

- Vous croyez qu'on va tous mourir comme le disent tous les Olarils, m'sieur ?

Cette fois-ci, Garret s'attaquait à son bon sens, aussi Digarl ne put s'empêcher de répliquer, considérant qu'il ne perdait rien à discuter avec un gamin.

- Évidemment que non. Ce sont des croyances de bonne femme.

Le gamin sembla rassuré, puis voulut continuer à parler, mais un bruit semblable à roulement de tambour l'arrêta. Inquiet, il demanda :

- Vous avez entendu ?

Digarl acquiesça. Si les montagnes avaient choisi ce jour pour leurs caprices, qui était-il pour les en empêcher ? Mais le grondement ne s'arrêtait pas. Et bientôt, ils ressentirent une vibration, comme si leur cœur bondissait sans leur consentement. Tentant bravement de nier sa peur du danger, Garret s'écria :

- Il faut partir !

Mais ce fut tout ce dont il fut capable. Et sans plus attendre, il détala en courant comme un lapin. Digarl, en revanche, se releva tranquillement, avec l'assurance des hommes de son âge. Ce fut à cet instant que la terre commença à trembler. L'intensité du mouvement qu'il sentait sous ses pieds effraya le vieil Edorta. Dans un élan du stupeur, il vit vaciller l'énorme statue de Diron. Trop choqué par la signification symbolique qu'il offrait volontiers à ce mouvement de balancier, il ne réalisa que bien trop tard que... la statue lui tombait dessus. Il mourut sur le coup.

Alors que le sang de Digarl arrosait la terre meuble, Garret Gandépine courait à en perdre haleine. Les horreurs qu'il avaient vues repassaient sans cesse dans son esprit. Il n'avait jamais vu autant de morts de toute sa jeune vie. Ni entendu autant de hurlements stridents. Il n'alla pas bien loin. Il trébucha stupidement, dans sa frayeur sans nom, et s'étala de tout son long par terre. A l'instar de bien d'autres Olarils, il fut enseveli sous les décombres d'une maison incapable de résister à la violence du tremblement surhumain. Peut-être parce que les dieux ont pitié des innocents et des enfants...