Enfin, le grand soir était arrivé. Celui de toutes les attentes, de tous les désirs, de tout les excès. Le Fou ne se complaisait pas dans ce genre d'ambiance, il avait même tendance à les exécrer parce qu'il n'y trouvait pas sa place. En début de soirée, tout allait généralement bien, il pouvait faire quelques numéros, amuser la galerie, papillonner d'une personne à l'autre avec des histoires amusantes, il se sentait bien. Mais ensuite, ensuite la soirée dérivait, les drogues faisaient leur apparition, les nobles se relaxaient, et ils n'étaient plus réceptifs à grand chose. À ce moment-là, le Fou retournait toujours à ses appartements sans demander son reste. Le Gardan Edorta ne l'en blâmait jamais, étant souvent à ce moment-là dans un état second, que ce soit dû à la nourriture, aux drogues ou à l'alcool.
Pour ces soirées, il se parait de l'un de ses plus beaux costumes, même Pim' avait droit à un petit costume. En raison de ses récents écarts de conduite, le Fou avait longuement hésité avant de décider de le prendre avec lui. Il ne s'agissait pas de créer un incident à cause d'un comportement déplacé. Ce soir, tous étaient là pour juger, pour écouter les rumeurs, des langues de vipères, des espions, à n'en pas douter, certains de ces dissidents seraient là ce soir. Mais de tout cela, le Fou n'en n'avait cure. Il n'était pas un homme politique lui, il n'était qu'un bouffon, et cela qui convenait parfaitement. Cependant, tout Bouffon qu'il était, il soignait son hygiène de vie, aussi se prépara-t-il longuement à l'avance, prenant un long bain et se parfumant légèrement. Il enfila ensuite son costume. Il était fait de soie pourpre et noire, un justaucorps qui moulait son maigre torse, fermé par une rangée de boutons dorés sur l'avant. Les collants étaient rayés de la même couleur, et par dessus, il avait enfilé une culotte bouffante noire avec des grelots suspendus. À ses pieds, il enfila des chaussons pourpres, pourvus d'une fine semelle de cuir et d'un grelot suspendu sur le bout recourbé. Enfin, touche finale, sur sa tête, il posa son bonnet d'artiste. Assorti au reste du costume, il était surmonté de sept branches colorées au bout desquelles des grelots étaient suspendus.
Pour Pim', il choisit un petit gilet jaune aux bords noirs, pour qu'il soit assorti à son maître. Tout en l'habillant, il lui fit la leçon sur le comportement qu'il convenait d'adopter pour la soirée. Les gens étaient là pour s'amuser, non pour voir les quatre cents coups de Pim' le petit singe du Fou. Il fallait qu'il reste à sa place, qu'il ne s'enfuie pas et ne chaparde pas de nourriture dans les plats du buffet. Quand le Fou jugea que son singe avait dû le comprendre, il se mit en marche vers la salle de bal. Sur son chemin, il rencontra de nombreuses personnes, certains visages lui étaient familiers, d'autres par contre complètement étrangers. Les visages étaient souriants, en cette soirée de fête, il y avait de quoi se réjouir, pour la première fois depuis longtemps, tous les excès seraient permis, et en cette période de siège, c'était un moment plus que bienvenu pour tous ces nobles en manque d'oisiveté.
Lorsqu'enfin, après un dernier tournant, il se retrouva face aux immenses doubles portes de la salle de bal, il ne put s'empêcher d'être émerveillé. Le Fou avait un passé, même si personne ne s'en souvenait plus, et aujourd'hui, ce qu'il avait devant était plus fastueux que tout ce qu'il avait déjà vu. La salle était magnifiquement décorée, les convives étaient vêtus de leurs plus beaux atours, des montagnes de nourriture s'étalaient sur des tables. Lui qui venait d'une petite ville de pêcheurs se rappela qu'être pourvu de Volonté permet au plus humble d'arriver au sommet. Oui, le Fou se considérait comme au sommet. Il avait tout gagné, il avait accompli son rêve, il était unique, et il était fier de lui plus que jamais.
Alors discrètement, sans être annoncé, il entra dans la salle, pour commencer son office. Qui allait être sa première victime ou son premier spectateur ?
Lun 11 Avr - 13:11