Les Tables d'Olaria
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 Jeu et fin de partie

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Charis Sandragil
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Charis Sandragil


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MessageSujet: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptyVen 1 Oct - 16:03

Bâillonnée, entravée, emprisonnée.
Un oiseau à qui on avait coupé les ailes.
Un élan puissant trop violemment interrompu.

Comment en était-elle arrivée là ? Oui, comment la situation avait-elle pu dégénérer à ce point ? Comment la grande, la forte, la Volontaire Éléni avait pu se laisser ainsi jouer ? Pour la première fois de sa vie, elle avait perdu une partie du Jeu. Elle découvrait la saveur amère de l'échec, la honte de ne pas être intouchable, la rage de s'être laissée prendre. Elle s'était crue plus insaisissable que le Vent. Et voilà qu'elle découvrait la paille pourrie des Cachots.

    Cybel Dalisterii, devenue Karnimacii par son union avec Riarg Karnimacii, était une femme bien en vue dans la Noblesse Ilédore. Femme puissante de par sa position hautement stratégique, elle pouvait se vanter d'avoir mis au monde de beaux enfants sans prendre le rôle d'une femme juste bonne à enfanter. Elle restait la confidente de Riarg Karnimacii, tous le savaient. Malgré son âge, elle demeurait toujours l'élégante femme raffinée qui avait conquis la fleur de la Noblesse Ilédore. Elle avait des amies dans toutes les maisons et des hommes dévoués ou prêts à défendre son honneur dans chaque famille. Véritable modèle de ce qu'une femme accomplie pouvait devenir, elle celait non seulement bon nombre de secrets, mais elle avait aussi l'oreille de son influent mari.

    Éléni ne l'avait vue qu'à quelques rares occasions, aux réceptions données par le Gardan. Elle n'avait même pas échangé de mots avec elle : Cybel Karnimacii était continuellement entourée d'une nuée de jeunes femmes attentives. Et de fait, Cybel Karnimacii ne l'intéressait pas vraiment. Seulement, il y avait eu cette affaire. Cette sombre affaire qu'elle n'aurait pas dû prendre tellement à cœur.

    Un des Dissidents était le majordome de la maison Karnimacii. Un homme de la bourgeoisie, nommé Helder Corias. Indic' des plus doués, il comptait parmi les plus fidèles Dissidents. Un soir, il avait appelé Éléni sous le coup de la panique. Il était soupçonné. Il ne savait pas comment ni pourquoi, mais il savait que l'attitude de sa maîtresse n'était pas la même qu'à l'habitude. Fin connaisseur des tactiques de la Noblesse, il craignait d'être soumis à la question. Éléni ne faisait pas face pour la première fois à un cas de ce genre. Elle proposa à Helder de le cacher dans une planque et de reprendre une vie au quartier des Humbles. La perspective ne réjouissait pas vraiment le Dissident, et le danger ne le poussait pas encore à cette extrémité. Il reprit donc son travail, mais, comme le lui avait conseillé Éléni, se méfiait comme de la peste de chaque mouvement inhabituel. Au moindre heurt, il avait pour ordre de quitter la maison des Karnimacii. La peur était le lot quotidien des Dissidents, et Éléni avait confiance en sa capacité à gérer cet insupportable rythme de vie. De son côté, elle ne resta pas inactive et chercha activement à débusquer l'éventuelle taupe qui se cachait parmi les Dissidents. Elle laissa les jours passer, ne relâchant pas sa traque d'informations : qu'est-ce qui avait poussé Cybel Karnimacii à soupçonner son fidèle majordome ? Le mystère demeurait entier, tandis que la sensation d'être en danger grandissait lentement.

    Éléni en avait parlé à Elandor, forcément. Le chef avait senti que quelque chose n'allait pas, mais il n'avait guère plus d'éléments à apporter à Éléni. Tout en lui promettant de réfléchir à une solution, il lui avait conseillé de se reposer. De fait, Éléni était fatiguée, à cause de cet insupportable sentiment de ne pas maîtriser l'échiquier sur lequel elle évoluait.

    Et puis, le drame était arrivé. Alors qu'elle était au Ceste – à quoi bon changer les bonnes vieilles habitudes ? – un jeune garçon était venu la trouver en courant. Il avait franchi les portes du Ceste, essoufflé, et s'était écrié à tue-tête :

    - Qui peut me dire qui je suis en connaissant mes fréquentations ?

    Il avait fallu plusieurs secondes à Éléni pour comprendre que le gamin la cherchait. Elle regarda l'avorton, qui semblait ravi de la mission qu'on lui avait confiée. Alors qu'elle était en terrain connu, elle prit peur. Qui était ce gamin ? Il n'appartenait pas à son réseau. Il n'appartenait pas à un autre réseau, c'était donc forcément un messager. Était-il mandaté par les Conservateurs ? Ou par...

    - Helder.

    Elle murmura son nom en comprenant qu'un malheur était arrivé. La femme de trente ans qu'Éléni jouait ce jour-là fit un geste au petit pour qu'il s'installe près d'elle, avisant du regard que ceux qui l'entouraient n'étaient pas trop proches :

    - Eh bien, puisque tu y tiens, dis-moi qui tu fréquentes, et je te dirai qui tu es.

    Un éclair de compréhension et de ravissement naquit dans les yeux du gamin. Son visage afficha une joie toute enfantine et il s'assit face à elle, débitant joyeusement :

    - Il avait dit que vous comprendriez !

    Les entrailles d'Éléni était de plomb : elle se fichait totalement de son babillage. Elle voulait qu'il lui dise ce qui arrivait ! Cette entrée était tout sauf conventionnelle et les mettait à découvert. Elle avait envie de le secouer comme un prunier, jusqu'à ce qu'il parle.

    - Que me veux-tu ?
    - Tran Losna de la Prison a un message pour vous.


    Éléni identifia aussitôt le Dissident que le nom désignait. Et son cœur cessa de battre. C'était un autre pion utile de la Dissidence, qui travaillait comme officier dans les Cellules et les Cachots des quartiers Militaires. Tran... elle aurait pu entendre tous les noms, sauf celui-là.

    - Je t'écoute.

    Comme restait-elle aussi calme ? Depuis combien de temps Helder était-il questionné ? Combien de temps avant que volent tous les codes de la Dissidence ? Combien de temps avant que... Therdone, ne pas s'affoler.

    - Helder Corias vient d'être amené à la prison. Il a été mis au secret, et Cybel Karnimacii a bien précisé qu'elle devait être la seule à l'approcher, et que, même si un Conseiller tentait de le faire sortir, seule elle devait en juger. Là, elle est partie chercher son mari.

    Éléni avait envie de hurler. C'était pire que tout ce qu'elle avait jamais envisagé. Ils allaient tous mourir, si Helder ne résistait pas le temps nécessaire. Face à la torture, que choisirait-il ? Quelle voie emprunterait-il ? Éléni respirait par à-coups, comme si elle se noyait. La Dissidence courrait le plus grave danger qu'elle ait jamais affronté. Que devait-elle faire ? Prévenir son réseau. Prévenir Elandor. Elle agripa violemment le bord de la table.

    - Pourquoi est-ce que Tran t'a envoyé ?

    Le gamin lui fit un grand sourire.

    - Parce que je suis le gamin le plus débrouillard de tout Edor Adeï !

    Ben voyons. Éléni se retint de le gifler, pour faire de l'esprit à un tel moment, mais avant qu'elle n'esquisse le moindre geste, il continuait :

    - Excusez-moi. En fait, personne n'a le droit de quitter la prison pour le moment. Je me suis faufilé, comme toujours, mais Tran est bloqué là-bas aussi. Il m'a aussi dit de vous dire qu'actuellement, Riarg Karnimacii est sûrement à sa réunion hebdomadaire avec le Gardan, et qu'elle dure jusqu'à midi au moins. Il dit que Cybel n'osera pas l'interrompre.

    Éléni considéra aussitôt le gamin d'un autre œil. Il avait échappé à une surveillance dressée autour de la prison ? Intéressant. Malgré l'urgence du moment, elle demanda :

    - Quel est ton nom ?
    - Korrigan Mornel.


    Korrigan Mornel, tu es un futur Dissident, mais tu ne le sais pas encore. Tran la connaissait bien. Il lui avait soufflé la solution avant même qu'elle ne devienne folle. Il lui restait cinq heures avant midi. Cinq heures pour usurper l'identité de Cybel Karnimacii. Soudain, elle se sentit terriblement vieille, terriblement lasse. Elle savait que c'était la seule solution, qu'il n'y avait pas d'autre issue ni d'autre échappatoire. Sinueuse et traîtresse, la peur s'insinuait dans chacune de ses veines. Elle allait jouer gros. Elle allait commencer son plus grand rôle, sans aucune préparation. Elle regarda intensément le gamin qui attendait impatiemment qu'elle parle. Elle sortit plusieurs pièces de sa poche – une petite fortune :

    - Korrigan, tu vas chercher un homme qui s'appelle Lance. C'est un ancien militaire qui vit dans les Quartiers Humbles. Tu vas le chercher en priorité chez les cordonniers, puis près des bars.

    Elle ne pouvait décemment pas lui donner les emplacements de toutes les caches. Leurs planques, c'était peut-être tout ce qui leur resterait dans une paire d'heures, si elle échouait. Elle n'osait y penser. Éléni n'avait jamais perdu la partie. Mais là, c'était à une femme tellement connue qu'elle s'attaquait...

    - Tu le cherches jusqu'à ce que tu le trouves. Tu lui dis tout ce que t'as dit Tran. Tu lui dis de retrouver Éléni dans le premier endroit où elle l'a approché.

    La première planque de Lance. Celle qu'elle avait trouvée facilement, parce qu'à l'époque, elle était seulement Révolutionnaire, pas encore Dissidente. Celle dans laquelle elle s'était glissée pour lui parler, sans se douter que l'homme qu'elle rencontrerait changerait sa vie et son cœur. Face à elle, Korrigan se sentait tellement important que son col semblait trop serré. Il lui sourit et en un clin d'œil, il était parti. Éléni resta seule, glacée. Sieben était derrière le comptoir. Il suffisait qu'elle lui parle, mais elle ne s'en sentait pas la force. Il lui interdirait de partir. Mais elle devait le prévenir, parce qu'elle ne supportait pas l'idée qu'il lui soit fait du mal. Elle s'approcha du comptoir d'un pas lourd et pesant. Elle vérifia que personne ne l'entendrait, et murmura d'une voix rauque :

    - Sieben, quoi qu'il arrive, ne réponds plus à aucun signal des Dissidents avant que je te recontacte.


    Avant qu'il n'ajoute un mot, elle avait quitté le Ceste.

    Éléni courut chez une autre indic', qui travaillait régulièrement au Palais du Gardan. Elle lui demanda de lui dire tout ce qu'elle savait sur Cybel Karnimacii. D'ordinaire, quand Éléni s'essayait à une imposture, elle se préparait longuement. Mais là, elle allait incarner une femme dont elle ne connaissait que le ton de voix et les manières. Elle fila à sa planque, priant pour y trouver Elandor : seul le silence l'accueillit. La mort dans l'âme, tremblant à chaque geste, Éléni se prépara. Elle savait parfaitement à quoi ressemblait Cybel Karnimacii. L'on dit que la peur donne des ailes. Ce fut précisément ce qui arriva à Éléni. Son déguisement fut des plus réussis. En se regardant dans la psyché, elle sut qu'elle était le double parfait de sa cible. Restait le plus dur : être parfaite dans son rôle. C'était là qu'elle risquait de commettre des erreurs. Mais si Tran l'aidait, il était possible qu'elle parvienne à ses fins. Il suffisait qu'elle traite avec lui, il lui obéirait même si les ordres paraissaient étranges. Elle attendit Elandor jusqu'au bout. Puis, réalisant qu'elle avait eu tort de miser sur le petit Korrigan, elle alla droit à la Prison.

    Son arrivée ne passa pas inaperçue, loin de là. Les gardes s'écartèrent nerveusement.

    - Dame Karnimacii ? Nous ne vous attendions pas avant...
    - Mon mari tarde trop ; j'ai décidé de changer mon angle d'attaque. Levez l'interdiction de sortir de la prison, elle ne sert plus à rien.
    - Très bien, ma Dame.


    Cette première victoire conforta Éléni dans l'idée qu'elle brillait dans le rôle de sa vie. Chaque porte franchie, chaque pas vers la cellule d'Helder la confortait dans l'idée que tout allait bien se passer. Tous croyaient dur comme fer qu'elle était Cybel Karnimacii. Et pourquoi donc aurait-ce été quelqu'un d'autre ? Elle fit demander Tran. Elle le regarda hautainement :

    - Vous allez transférer Helder Corias jusqu'à ma maison. Je viens d'y faire aménager un cachot qui nous conviendra plus. Ainsi, mon mari pourra m'aider à l'interroger dès son retour.

    Son regard était des plus féroces. En cet instant, Cybel Karnimacii faisait peur. Tran s'inclina et aboya quelques ordres, brefs. Sous le regard tranquille de Cybel Karnimacii, Tran en personne prit la tête d'une petite escorte d'hommes – tous des sympathisants – et fit sortir Helder de son cachot. Royale, Cybel Karnimacii les suivait. Au moment où elle quittait la Prison, un soldat la retint :

    - Dame Karnimacii !

    Le cœur sur le point de lâcher, Éléni se retourna :

    - Oui ?
    - Un prisonnier aimerait demander votre clémence.


    Cybel Karnimacii était connue pour faire libérer de temps en temps les hommes emprisonnés injustement. Là où leur Volonté ne suffisait pas, la sienne suffisait amplement. Éléni ne pouvait pas refuser. Elle sourit – de l'exact sourire de Cybel – et acquisça :

    - Continuez avec le prisonnier, je vous retrouverai chez moi.

    Et elle suivit le soldat, pendant que Tran sortait de la prison avec Helder. Le cœur d'Éléni battait à tout rompre. Elle avait libéré un Dissident, au nez et à la barbe de tous les gardes ! Et il fallait absolument qu'elle déguerpisse de la Prison, avant le retour de la véritable Cybel. Le soldat qui la guidait lui avoua sur le chemin :

    - Dame Karnimacii, nous vous admirons beaucoup ici. Votre Volonté est vraiment...

    Éléni l'écoutait d'une oreille distraite. La brève euphorie de la victoire avait fait place à une crainte digne de ses pires cauchemars. Elle allait devoir aller très vite, absoudre l'homme et sortir de la Prison à toute vitesse. Au moment où ils atteignaient la cellule, elle vit Korrigan. Interloquée, elle se demanda ce qu'il fichait là. Elle lut sur ses lèvres « pas trouvé ». Affolée, Éléni faillit sortir en courant de la Prison. Le soldat ne parut pas surpris par la présence de Korrigan, comme si le gamin faisait partie des meubles. Et soudain, une voix au loin hurla :

    - Il y a usurpation ! La véritable Cybel Karnimacii est aux Portes de la Prison !

    Il n'en fallut pas plus à Éléni. Elle prit ses jambes à son cou. Elle fila en priant pour que sa dernière heure ne soit pas arrivée. Elle jura puissamment, ressortant tout ce qu'elle avait appris au long de ses pérégrinations. Therdone ! Elle allait être attrapée, démaquillée, et le visage de Charis Arcarian allait apparaître au grand jour ! Enlil Arcarian serait en disgrâce. Sa famille chuterait. Elle-même serait condamnée. Elle courut de toutes ses forces, mais cela ne suffit pas. Mille soldats jaillissaient de nulle part. Elle fut rattrapée, immobilisée, rouée de coups. Priant pour que Korrigan ait la présence d'esprit de comprendre qu'elle s'adressait à lui, elle murmura :

    - Cherche encore.

    Sans ménagement, elle fut traînée dans un cachot. Le chemin fut plus long et plus pénible qu'un calvaire. Elle se débattit tout du long, hurlant à la mort. Oui, Éléni hurlait, parce qu'elle avait peur, peur comme jamais. Ses yeux verts étaient emplis de terreur, elle ne se maîtrisait plus. Son père... que dirait son père ? Et sa mère ? Et si elle mourrait ? Cette idée lui semblait impossible. Frappée de plus en plus durement, elle finit par cesser de résister. Amorphe, elle fut jetée sur le sol d'un cachot. Elle fut enchaînée au mur, bâillonnée et abandonnée là. Elle subit les insultes de ceux qui gardaient sa porte sans broncher. Des larmes de rage coulaient sur ses joues. Pour une raison qui lui échappait, on n'avait pas lavé son maquillage. Les traits de Charis étaient encore saufs. Pour combien de temps ? Pourquoi Cybel Karnimacii ne venait-elle pas la voir ?


Les affres de la terreur avaient pris possession d'elle. Mille fois, elle tenta de faire glisser ses fins poignets le long des chaînes. Mille fois, elle tira comme une forcenée dessus, à s'en faire saigner les mains. Mille fois, elle s'évertua à changer de position. Peine perdue. Elle était condamnée à affronter les lourdes accusations qui pèseraient contre elle. Nulle pitié à attendre, nulle compassion à espérer.

Elle redoutait la question. Éléni n'avait jamais connu la douleur. Elle avait peur de souffrir. Combien de temps résisterait-elle avant de donner tous les noms de la Dissidence ? Avant de vendre son réseau ? Avant d'avouer le nom de l'Al'Faret ? Avant de crier de toutes ses forces qu'Enlil Arcarian les tuerait tous, pour avoir touché à son poussin ?

Elle était Éléni, cela se devinerait au cours du procès. Si encore les Karnimacii la laissaient aller en procès. Elle n'avait que sa Volonté pour elle. L'attente était insupportable, alors qu'elle était une bénédiction retardant la mortelle échéance. Elle avait envie de hurler, d'avoir le pouvoir de repousser les murs et de s'enfuir vers la liberté. La nausée s'emparait d'elle. Elle ne supportait pas d'être enfermée. Jamais au grand jamais elle n'avait été enfermée. Elle avait toujours erré à sa guise. Et voilà qu'elle faisait cette traumatisante expérience sans aucun espoir pour l'aider à supporter sa captivité. Elle s'évanouit plusieurs fois, alternant les moments d'inconscience et ceux de conscience aigüe de la mort qui s'approchait à grand pas.

Elle était trop jeune pour mourir. Elle n'avait même pas encore eu d'homme entre ses cuisses, Therdone ! Elle n'avait pas vécu la moitié de sa vie. Elle n'avait pas encore vu les Dissidents prendre le pouvoir. Elle voulait encore voler et courir, jusqu'à ne plus avoir la force de battre les ailes et de poser un pied devant l'autre. Ah mais oui... elle n'avait pas d'ailes. Ou alors, les Karnimacii venaient de les lui arracher.

    Korrigan était retourné à la Prison lorsqu'il avait du se rendre à l'évidence : ce Lance était introuvable. Il avait tout essayé, et cela voulait dire deux choses. Si lui ne pouvait débusquer un homme, c'était que cet homme se cachait. Ensuite, Lance... cela lui faisait penser à une certaine maxime qui traînait le long des rues. Ta Volonté est la lance, la Dissidence est son fer. Lance, ce devait être un Dissident, forcément. Et cette Éléni... qui d'autre lui aurait-elle demandé de trouver ? Korrigan finit par retourner dans la Prison. Il approcherait Dame Karnimacii – parce qu'il n'était pas bête, il avait parfaitement compris qu'elle allait se travestir – et lui demanderait un autre endroit où chercher. Sauf que rien ne se passa comme prévu. Dans la prison, où il était connu parce qu'il traînait partout, Éléni fut démasquée – il n'aurait pas cru possible un tel tour de force, mais la véritable Cybel était revenue trop tôt. Elle était démasquée, mais elle avait libéré son homme. Admiratif, il comprit aussitôt qu'il devait retourner chercher le fameux Lance. Mais dans le cours actuel des choses, le couple Karnimacii n'allait faire qu'une bouchée d'Éléni. Or, Éléni... elle était une légende qui impressionnait fortement Korrigan. Mu par une impulsion qu'il ne s'expliquait pas, il sortit en courant de la Prison, par une issue détournée, et y retourna par la grande porte, hurlant comme un fou :

    - La maison Karnimacii est en feu !! Seigneur Karnimacii, tout brûle !!

    Aussitôt, un véritable remue-ménage s'empara de la Prison. Comme prévu, Riarg et Cybel Karnimacii quittèrent les Cachots pour retourner voir ce qu'il advenait de leur précieuse demeure. Éléni avait gagné une petite heure, le temps qu'ils arrivent aux beaux quartiers et découvrent le leurre. Il avait deux fois moins pour trouver Lance et tout lui expliquer...

    Eh bien ! Si après tout cela, Éléni n'acceptait pas de considérer sa candidature pour la Dissidence, il voulait bien être pendu.

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Elandor Arlanii
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MessageSujet: Re: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptyJeu 7 Oct - 17:32

Lance revenait, les bras chargés d’emplettes durement acquises au marché noir. Elenor et lui avait erré de nombreuses heures dans les rues les plus sombres du quartier, recherchant ceux qui vendaient sous le manteau de tout à bas prix, au nez et à la barbe des Nobles et des Bourgeois.
Des vêtements, de la nourriture. Mais aussi, de précieuses informations. La matinée avait été bonne !
Ils approchaient de leur humble demeure lorsqu’un cri leur parvint.
Quelqu’un, apparemment un enfant, hurlait à tue-tête.
- LAAAAAANNNNCCCEEEEE, JE CHERCHE LAAAANNNNCCCCEE.
C’était une façon peu conventionnelle de rechercher le Dissident …
Celui-ci coula un regard un circonspect vers Elenor qui répondit d’un haussement d’épaule. C’était lui qu’on appelait, c’était son problème. Soit.
Un gamin d’une dizaine d’années -Elandor n’avait jamais été très doué pour deviner l’âge des enfants- déboula de haut de la rue et dévala la pente vers eux, criant de plus belle.
Il passa près d’eux, leur jetant un regard implorant et Elandor faillit le laisser partir. Cela faisait un moment qu’il rêvait d’une journée tranquille. Finalement, il soupira et l’attrapa par le col pour le ralentir au moment où il les dépassait.
« Qu’est-ce que tu lui veux ? »

Le visage du mioche s’éclaira et il se débattit vaguement pour s’extirper de la poigne de l’homme qui le maintenait et qui le lâcha à regrets.
- C’est toi ? ! Je t’ai enfin trouvé ! C’est Eléni … Elle a voulu que je te trouve mais t’étais pas là. Alors je suis retournée la voir et …
Il fut interrompu par Lance qui, arrachant les affaires d’Elenor de ses mains, jeta un regard dédaigneux vers leur nouveau compagnon.
« Tu le portes, on va discuter de ça à l’intérieur. »

Elandor n’avait jamais eu de prédisposition pour les enfants. Pour preuve, il s’était à peine occupé des siens. Et ce n’était pas seulement parce qu’il aimait une autre que leur mère … Il n’avait pas la fibre paternelle. Pérenniser la lignée des Arlanii ? C’était le rêve de sa mère. Lui voulait le pouvoir pour lui seul. Après tout, peu lui importait la tournure que prendraient les événements après sa mort …

Ils arrivèrent chez eux et Lance laissa son précieux butin s’étaler sur la table sans d’autre cérémonie. Ils s’en occuperaient plus tard. Au fond de lui, quelque chose lui disait que l’affaire n’était pas à prendre à la légère. Il n’avait jamais vu le gosse et ce n’était pas le genre d’Eléni que de recruter en si bas âge.
« Parle. »

Trop heureux de s’exécuter, il se mit à parler, à toute allure, mâchant ses mots. Comme s’il risquait d’oublier ce qui s’était produit. Son discours était décousu mais ce qu’il y avait à comprendre fut compris.
Eléni était en danger. Pas n’importe quel Dissident, non, Eléni.
Ils lui posèrent des questions, insistèrent sur des faits. Combien de gardes étaient partis avec Helder ? Combien en restait-il ? Où était-elle ?
Pendant ce temps, l’Al’Faret pesait le pour et le contre. Son visage restait parfaitement serein mais il frottait lentement la cicatrice au coin de son œil gauche, unique signe de tension émanant de lui. Il était de son devoir de sauver ses Dissidents mais jamais au prix de sa propre sécurité. Mais Eléni ? Avait-il seulement le temps de monter une embuscade où il ne jouerait aucun rôle ? Ils avaient moins d’une heure. Sa propre vie contre celle de son bras droit ? De toutes façons, si elle parlait, il était mort. Il essayait de réfléchir sans laisser ses sentiments prendre le pas sur sa raison. Mais il savait qu’il n’était pas parfaitement objectif. Eléni, il tenait à elle bien plus qu’à une informatrice hors pair. C’était dangereux de s’attacher à elle ainsi, c’était dangereux d’aller la sauver. Mais après tout, n’était-il pas déjà mort ? ! Peut-être qu’à présent, il était invincible …
Lance sourit d’un air cynique à cette idée, sous les regards intrigués de ceux qui guettaient sa réponse.
« On y va. »
Il refusa de regarder Elenor, refusa de savoir si elle était d’accord ou non. Quand il s’agissait de Dissidence, il était le chef, peu importe ce qu’elle pourrait dire ou penser. Certes, il accordait plus d’importance à son avis qu’à celui de n’importe qui d’autre, mais pas cette fois …

Il saisit sa cape et un long fouloir avec lequel il masqua le bas de son visage. Quitte à s’exposer à des soldats, autant qu’ils ne le reconnaissent pas … Le harnais de son arbalète vint entourer son torse, ses bottes et sa ceinture se garnirent de lames. Mieux valait être prudent …
Le trajet vers la prison se fit rapidement et en silence. En chemin, Lance mesurait les risques qu’il prenait.
Arrivés là-bas, ils tinrent conseil dans une ruelle d’où ils avaient un parfait angle de vue sur l’entrée.
« Tu penses que tu peux nous faire entrer ? »
La question s’adressait à Elenor qui répondit par l’affirmative. Oui, elle pouvait. Ces derniers temps, ils avaient peu eu l’occasion de se servir de son ancienne position. Aujourd’hui, l’enjeux était de taille.

« Vas-y, je te couvre. Quand c’est bon, tu me fais signe. Si ça ne marche pas mais que tu penses qu’on peut entrer en force, tu me fais signe aussi. Sinon, tu te replis sagement. »

Il lançait ses ordres, froidement, trop préoccupé à éloigner les pensées qui parasitaient sa concentration pour s’apercevoir de l’effet de ses paroles sur Elenor. Jusqu’ici, ils s’étaient conduits en égales, même lors des quelques descentes qu’ils avaient effectués en duo. A présent, l’Al’Faret se plaçait en chef et n’entendait pas qu’elle remette en cause son autorité. Ils règleraient leurs comptes plus tard …

Il jeta un coup d’œil au marmot qui les accompagnait, l’œil émerveillé de participer à une telle action.
« Toi, tu ne fais rien de stupide. Un bon héros est un héros vivant. »
Il sourit en coin, autant pour lui que pour Elenor, il en savait quelque chose …
« Tu vas faire le guet, là-bas, sur la grande rue. Si les Karnimacii arrivent, tu viens nous prévenir, ok ? Et si on se fait prendre, tu vas du côté des Cordonniers … »
Il réfléchit quelques secondes, hésita.
« Tu sais qui nous sommes ? »
- Oui, oui, des Dissidents ! La réponse avait fusé, spontannée.
« Bien. Alors s’il y a du grabuge, tu vas chercher des Dissidents. Tu leur dis que Lance et Sipik se sont fait prendre. »
C’était dangereux de s’exposer ainsi au bon vouloir d’un enfant mais, présentement, il n’avait pas vraiment le choix. Et il serait toujours temps de s’en débarrasser plus tard … Ou de l’engager. L’idée avait quelque chose d’intéressant. Qui soupçonnerait un enfant ? Qui oserait tuer ou torturer un bambin sur la place publique ? Et, si le Conseil osait, quelle merveilleuse façon de les discrédité ! Une armée d’enfants des rues, formidables messagers, discrets parce qu’exposés en plein jour, rapide, pouvant aisément se cacher …
Le départ brusque de Korrigan vers la grande rue tira Lance de sa rêverie. Il en parlerait à Eléni … S’ils arrivaient à la sortir de là. Ses poings se refermèrent mais il refusa de laisser son cœur se serrer.

Il reporta son attention sur Elenor qui s’éloignait, fixant son regard sur sa démarche assurée alors qu’elle s’approchait de l’entrée. Il n’entendait pas clairement ce qu’elle disait de sa cachette mais il se savait suffisamment proche pour que ses carreaux touchent leur cible. Durant ses entraînements, il n’avait pas négligé de s’entraîner au tir et, s’il n’avait pas le talent nécessaire pour toucher une mouche à 600 pieds de distance et en pleine nuit, il s’en tirait tout de même honorablement.

Elenor lui fit un signe, elle était passé. Il traversa la place d’un pas vif, le dos droit, l’allure élégante et ses armes soigneusement camouflées. Quitte à être voyant, autant le faire avec classe …
Il ne demanda rien à son bras armé, sa confiance en elle était totale.
Ils pénétrèrent dans la prison, restant toutefois prudents et discrets. Si certains soldats semblaient se souvenir de ce qu’il devait à la Jagharii, il ne devait pas en être de même pour tous …
Korrigan ne s’était pas manifesté, ce qui était sans doute bon signe. Pour l’instant, tout se déroulait comme prévu. Pour l’instant …

Ils suivirent leur guide en silence, l’œil et l’oreille aux aguets. Enfin, un dernier tournant, un escalier et ils arrivèrent. L’homme ne savait pas exactement où était Eléni, mais c’était forcément dans cette aile.

Devant eux, un couloir flanqué de chaque côté d’une rangée de cellule dont une discrète ouverture sur la porte, bardée de barreaux permettait de laisser voir l’intérieur.
Elenor prit un côté, il se chargea de l’autre.
« Là. »
Il stoppa net en entendant la voix d’Elenor et la rejoignit en courant.
A travers les barres de métal, il aperçut la forme disloquée d’une femme enchaînée.
Malgré son visage décomposé, il reconnut Cybel Karnimacii. Autrement dit, Eléni. Il lui fallut tout de même quelques secondes pour faire le rapprochement, tant il était étonné de voir l’épouse de son pire ennemi en ces lieux. Il espérait ne pas avoir à croiser le Conseiller ; il se sentait parfaitement capable de faire une erreur …

Eléni
La pensée devint murmure et elle leva la tête. Son regard étincela. Soulagement, espoir.

Avec les clés, il fut aisé d’ouvrir le cachot et de faire tomber au sol les chaînes. L’informatrice avait été salement amochée et la terreur se lisait dans ses yeux.

Elandor la regarda, fixant, à travers le maquillage défait par les larmes et les coups, la jeune fille qui se cachait derrière. Une fois encore, il se demanda quel était vraiment son âge. Elle devait être jeune, beaucoup trop jeune pour son rôle. Etait-ce lui qui la précipitait vers sa perte ? Non, elle était venue le trouver. S’il ne l’avait pas prise comme Dissidente, elle aurait opté pour autre chose, sans doute serait-elle devenue Révolutionnaire. Eléni était faite pour cette vie. Mais la jeune fille paniquée sous le masque, pouvait-elle supporter tout ça ? Dans quelques heures, elle aurait dû être torturée. Aurait-elle tenue le choc ?

Il la regarda, de biais. Il lui fallait du repos, elle refuserait. Alors quoi, l’obliger ?
Il n’était pas temps de penser à ça.
Il l’aida à se relever, la soutint tandis qu’elle essayait de marcher. Elle trébucha, tremblant sur ses jambes comme un faon qui vient de naître.
« Nous n’avons pas le temps d’attendre que tes jambes te portent, ma belle. »
Il essayait d’être doux, malgré les questions incessantes qui envahissaient son esprit. La plupart du temps, lors de mission, il ne pensait à rien d’autres qu’à son corps en mouvement et à son environnement, source de tous les dangers. Là, c’était différent. Qu’Eléni se fasse prendre, ça n’aurait jamais dû arriver. Quelque chose clochait dans leur fonctionnement … Et surtout, quelque chose s’était brisé en elle.
Il fit basculer son corps et la pris dans ses bras, poids plume pelotonné contre son torse. Elle entoura son cou de ses deux bras et enfoui sa tête dans sa chemise, s’abreuvant de la force rassurante que ce corps, chaud et puissant contre le sien, si frêle et si abîmé, dégageait.

Il sortit de la cellule, retrouvant une Elenor soulagée qui les attendait dans le couloir, surveillant attentivement les alentours.

Autour d’eux, les autres prisonniers commençaient à s’agiter et à faire du bruit ce qui ne tarderait pas à les faire repérer. Alors que faire ? Les libérer ? Ils n’étaient pas là pour ça … Mais peut-être que, dans l’agitation, il serait plus simple de fuir …
L’Al’Faret jeta un regard interrogateur à sa compagne d’armes. Qu’en pensait-elle ? Ici, ils étaient davantage dans son domaine que dans celui de l’ancien Gardan Edorta. Elle choisirait.
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Elenor Jagharii
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MessageSujet: Re: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptyVen 8 Oct - 15:01

Elle avait été soulagée, en entendant Lan déclarer qu’ils allaient chercher Eleni. Elle s’était gardée d’observation, consciente qu’elle n’aurait tout au plus pu que le braquer un peu plus. Oh bien sur, s’il avait refusé, il l’aurait vue partir en trombe de leur planque, mais à en croire le petit soupir de soulagement qu’elle avait poussé, la tournure que prenaient les choses lui allaient.

Ils avaient été plutôt rapides, pour gagner les Quartiers Militaires. Même équipés. Elenor était vêtue de façon assez classique. Ses hautes cuissardes venues maintenir le pantalon, bien au-dessus de ses genoux. Un pantalon de bure d’un brun presque noir, puis une chemise écrue banale et un corset de cuir solide par-dessus. Il la maintenait bien, et la protégeait de certains coups. Une lame aiguisée de façon assez grossière n’aurait pu le traverser tout à fait. A sa ceinture, une dague. Une autre contre sa cuisse, dans la cuissarde, et enfin une dernière petite lame au niveau du poignet droit, qu’elle dissimula en jetant sur ses épaules son éternel manteau anthracite. La couleur était plutôt rare pour les quartiers bourgeois, et son excellente facture laissait entendre qu’il était celui d’une femme riche. Mais ses manches évasées et amples masquaient parfaitement chair, lames et tatouages. Quant à son col haut qu’elle referma bien que sans jabot, il semblait allonger son cou. Oui, ce manteau lui offrait un port très particulier qui, s’il s’agissait pour elle d’imposer à des militaires son autorité passée, ne serait pas du luxe. Ses cheveux précisément tressés dans son dos, elle était donc partie avec Elandor et le gosse à la conquête des Quartiers Militaires.

Sur place, Lan déploya ses instructions, et elle s’y plia sans un mot. Quel besoin de commenter, puisqu’elle allait de toute façon s’y plier. Elle s’était avancée vers la prison d’une démarche assurée, les mains dans les poches pour en masquer la faiblesse. Elle ne tarda guère à attirer l’attention du garde, ce qui n’était pas plus mal. Ainsi, Lan restait à l’abris dans l’ombre, sans se faire remarquer.

Elle connaissait le soldat, mais il n’avait pas été l’un de ses hommes. C’eut été tellement plus simple…
Il reconnut néanmoins Elenor, et lui adressa un sourire hésitant. Elle ne doutait pas qu’il ait eu des instructions sur son compte, sans doute comme chacun des hommes qui se trouvaient ici… Mais il était seul, et il n’avait pas l’air de devoir crier à la garde à vue. C’était une très bonne chose.

« Capitaine Jagharii… Que faites-vous ici ?
- Je rends visite à des amis. Sais-tu si des hommes de mon unité sont près d’ici ? Cela fait longtemps que je ne les ai plus vus, et j’aurais quelques messages pour eux.
- Il y a bien Wildon qui est de garde aux cachots mais nous ne pouvons pas laisser entrer qui que ce soit.
- Formidable ! Cela t’ennuierait-il de lui dire que je suis ici, et que j’ai pour lui des nouvelles de son frère ?
- Des nouvelles de… son frère ? »

Elle acquiesça, sur le qui-vive. Le soldat pouvait se montrer fiable, comme il pouvait la trahir copieusement. Quoi qu’il en soit, et quoi que fasse cet homme, si Wildon entendait ce message, il en comprendrait aussitôt le sens. Son frère était mort il y avait de cela quelques années. Elenor l’avait trouvé, ivre et déprimé, dans l’un des établissements de la Ville Basse dont il était originaire. Elle lui avait tiré les vers du nez, et accompagné aux funérailles auxquelles il s’était refusé jusque là. Il avait beaucoup d’amour pour son frère et, le bras d’Elenor sur le sien devant sa famille, avait été si touché par sa présence qu’il lui avait offert de lui rendre un jour un service en retour.

Ce jour était arrivé.

Bien vite, toujours attentive, elle attendit des pas précipité en face. Discrètement, sa main fit glisser la petite lame cachée dans sa manche, prête à jaillir à la moindre menace. Dans son dos, elle n’ignorait pas non plus la menace de l’arbalète de Lan. Cependant l’homme qui apparut était beaucoup plus grand, et plus épais que celui qui venait de la quitter.

Des épaules d’une largeur incroyable, une taille exceptionnelle… Cet homme là, qui ignorait jusqu’au sens du gras et de la faiblesse, illustrait assez bien le modèle « armoire à glace » C’était lui. Il avait le visage masqué par son casque, mais elle connaissait cette démarche et ce corps par cœur. Jusque dans ses moindres détails, d’ailleurs… Il avait l’air pressé, anxieux, et son visage, lorsqu’il ôta son casque, le confirma bien. Il avait une épaisse mâchoire carrée, et des cheveux blonds coupés raz. Un nez aquilin puissant, et des yeux glacés sous d’épaisses arcades. Un visage tout à l’image du reste, en somme.
« Wild- » Elle n’eut pas fini de prononcer son nom qu’il l’avait saisie avec force pour l’étreindre. Il avait toujours été assez brutal, lorsqu’il était affectueux. Lui qui était si gracieux au combat. Sans la ménager, il sortit sa main gauche de la poche de son manteau et la regarda sous toutes les coutures. C’était lui. Lui qui l’avait brisée à tout jamais. Et pourtant, elle n’avait aucune rancœur, elle était seule responsable de l’accident.

« Tu as l’air d’aller mieux ! La dernière fois que je t’ai vue, tu étais… enfin, tu sais, ils t’emmenaient pour t’opérer…
- Je sais, oui. Je vais bien. Mais je n’ai pas le temps pour ça, Wildon. J’ai besoin de toi.
- Oui, évidemment. Dis-moi ce que tu veux et je le ferais. Je te le dois bien. »

Alors elle le lui expliqua. Wildon n’était pas connu de la Dissidence, et Elenor doutait qu’il ait même une opinion politique tranchée, mais elle le savait digne de confiance, et c’était bien tout ce qui importait.

Il parût réticent, mais devant le regard déterminé d’Elenor, obtempéra. Elle avait toujours eu une manière assez fusionnelle de gérer ses hommes, et ils en étaient venus à former une sorte de « clan », au sein de l’armée. Aujourd’hui, elle pouvait remercier ses méthodes.

Elle lui avait donné des noms (des Dissidents, cette fois) et lui avait indiqué ce qu’ils devaient faire, et où ils devaient se trouver. Elle connaissait cette prison par cœur, et savait comment s’organisaient les rondes. Wildon pressa fermement son épaule, puis s’en alla au pas de course après lui avoir indiqué où se trouvait celui qui était venu le chercher. Très bien…

Sans perdre de temps, elle lui fit signe d’approcher et de se presser.

Une fois ses ordres jetés aux hommes concernés, Wildon revint. Il avait été rapide… Il salua sobrement Lan d’un signe de tête, le regardant légèrement de haut (Elenor n’avait encore jamais croisé personne de plus grand que lui, de toute façon) il ne faisait aucun doute que si Elenor obéissait sans discuter à Lan, l’autorité de ce dernier n’avait pour Wildon pas le moindre poids.

Il les conduisit là où Eleni se trouvait incarcérée, pas des chemins détournés qui leur permirent de se soustraire aux regards curieux. Le colosse blond était nerveux, ce qui n’avait rien d’étonnant. Il aidait des gens louches pour son ancien capitaine, risquant sa vie et sa carrière pour une cause dont il ignorait tout. Quoi que compte tenu des opinions de son ancien chef, il avait de très sérieux soupçons…

Arrivés aux cellules, elle s’étonna de trouver la zone vide, surtout avec autant d’occupants. Un coup d’œil à Wildon, elle comprit mieux. Elle avait une dette envers lui. Une très importante dette. « Je te revaudrais ça, mon frère », souffla-t-elle à voix basse. Puis, elle entreprit, tout comme Lan, de chercher la jeune femme. Ce n’était pas une mince affaire, compte tenu de son don de camouflage, mais elle comptait sur une illumination. En fait, ce fut beaucoup plus simple que cela. En effet, il était plutôt évident que Cybel Karnimacii n’était pas supposée être jetée comme une malpropre et enchaînée de la sorte. Elle secoua la tête, souffla dans un soupir : « Eleni… tu exagères… » Trop bas pour que la jeune femme ne lève la tête. Elle appela Lan, et le croisa quant à elle pour réclamer à Wildon les clefs. Elles étaient universelles, pour la plupart.

Il les lui donna non sans un froncement de sourcils éloquent.

Lorsqu’elle les vit sortir, elle s’effara de l’état de la jeune femme, mais préféra ne pas relever.

Les autres commencèrent alors à s’agiter, ce qui alluma dans les yeux du trio gagnant une lueur d’inquiétude. Wildon fut le premier à réagir et d’une menace bien sentie en fit taire quelques uns. Avec lui, il était hors de question de les libérer. D’ailleurs, cela n’était même pas passé par l’esprit d’Elenor. Une idée lui vint cependant.

« Wildon… Wildon mon frère, ils te reconnaîtront… Ils te dénonceront… » L’autre hocha la tête, un pli d’inquiétude barrant son front carré et rude. « Tu viens avec nous » décida-t-elle.

Hochement de tête entendu, puis elle indiqua du menton la marche à suivre à Lan. Une fois encore, ils empruntèrent des chemins de traverse. Lorsqu’enfin ils virent la lumière du jour au-devant, Elenor se pencha, et vit avec effroi des soldats se diriger vers eux, visiblement avertis. Ils étaient entrés par l’autre côté, aussi le gamin n’avait-il pas pu les prévenir. Ce fut du colosse que vint la réponse à leur problème.
« Foutu pour foutu… grogna-t-il, je vais les détourner. » Elenor ouvrit de grands-yeux, mais déjà il s’éloignait. Elle retint Lan et Eleni d’un geste ferme, puis agrippa le bras de Wildon. « C’est beaucoup trop risqué ! » Mais il se dégagea de sa prise d’un geste brusque « Masque-toi, capitaine. » Il avait raison. Elle releva aussitôt son col et le foulard qui se trouvait à l’intérieur sur son menton. Un signe et elle aida Lan à faire de même. Suffisamment d’imprudences comme cela.

Wildon sorti d’un pas assuré et les mis comme prévu sur une fausse route. Elle comprit alors d’où venait ces couloirs déserts. Leurs soutiens, les soldats Dissidents avaient tout bonnement vidé les lieux. A présent, ils couraient avec ferveur de l’autre côté, menant les autres tout droit à leur précédente position. La cellule qu’ils allaient trouver vide… Cela leur laisserait assez de temps pour vider les lieux.

D’un geste silencieux, elle indiqua le chemin à Lan. A son tour de le couvrir. Elle allait rester en arrière, le temps de leur assurer une retraite sûre. Dans son regard, il était clair qu’elle n’avait pas l’intention d’obéir aux ordres qu’il aurait pu avoir envie de lancer. Ici, il était sur son domaine.

Une fois son chef et ami parti au petit trot à l’ombre des grands bâtiments, Eleni dans les bras, elle vit Wildon revenir et sortit à son tour de sa planque. « On y va. » Il avait la mine sombre. Il était en train de lui sacrifier beaucoup plus que ce qu’il lui devait… Beaucoup plus, si l’on ne comptait pas sa main gauche.

Ils partirent ensemble à la suite de Lan, Wildon équipé d’une arbalète, et Elenor aux aguets.

Tout à coup, des bruits leur parvinrent de derrière… Ils les avaient sur les talons. Elle doubla Wildon au pas de course et rejoignit Lan.

« Ils arrivent… Je vais gagner un peu de temps. Il faut les ralentir. » Elle se retourna vivement, déjà Wildon se préparait à combattre. « Je vous retrouve à la planque du cordonnier, plus tard. Conduis-la en sécurité et ne t’inquiète pas pour nous. » Un sourire féroce et, sans même vérifier qu’il suivait ses instruction, elle retrouva le colosse. Celui-ci hésitait.

« Ils n’auront pas le temps de fuir, n’est-ce pas ?
- Non. Tu es avec moi ? Tu peux encore t’en aller et prétendre nous avoir chassés, à l’intérieur…
- Ne me prend pas pour un imbécile. Que fait-on ? »

Il fallait les surprendre, ne pas rester là à attendre, sans quoi ils allaient jouer les cibles vivantes. Un coup d’œil, Lan et Eleni allaient bientôt avoir disparu. Il fallait attirer l’œil sans risquer de se faire trouer la peau à vue. Elle tira sur son armure pour l’approcher et, le prenant de court, écrasa ses lèvres sur les siennes. Le col toujours levé pourrait cacher son identité aux soldats quelque temps. Elle y risquait sa couverture, mais si c’était le prix à payer pour leur vie, alors c’était un bien léger sacrifice.

Wildon se pétrifia de surprise, les mains statiques, en l’air. Elle se dégagea alors du baiser, la voix rude : « Bon sang, Wildon, fais un effort ! Sois crédible ! » Il fit un effort. Bon, ce n’était pas tout à fait ça, et elle savait pour avoir souvent eu quelques dérapages au cours de permissions qu’il était de toute façon un bien piètre amant. Mais il fit en sorte de se rendre crédible. La soulevant, il lui permit de s’emboiter à l’armure en y agrippant ses jambes solides, les mains fermement posées sur sa taille pour la tenir à sa hauteur. Elle le fit légèrement basculer et se retrouva tout à coup adossée au mur, non sans un grognement de douleur pour ses omoplates malmenées. Il n’était décidément pas le plus tendre des hommes. Tant de maladresse pour un si bel homme, c’était un gâchis atroce. Les pas s’approchaient, et ralentirent considérablement lorsqu’ils furent en vue. Parfait, leur petit jeu (Therdone fasse qu’il cesse rapidement) avait eu l’effet escompté. Certains piétinèrent et s’éclaircirent la gorge.

« Wildon ! »
Il se raidit à ce nom. Bon sang, il n’était quand même pas motivé pour… ? Elle poussa un soupir lorsqu’il se détacha d’elle, masquant son soulagement. Après être retombée au sol avec un petit son mat, elle arrangea son manteau, dans son dos, s’efforçant de jouer les vierges effarouchées tandis qu’il faisait face aux autres.

« Des fugitifs sont partis par là, tu les as vus ?
- Non. Non je suis… là depuis un moment…
- Et tu crois que c’est le bon moment pour… Pour ça ?
- Certainement pas. Tu préfères continuer à parler de ce que j’étais en train de faire, ou retrouver ceux que tu cherches ? »
Elenor fut parcourue d’un frémissement. Il y avait un peu d’empressement dans sa voix. Il était tendu, et cela éveilla la curiosité de l’autre. D’un coup d’œil, elle les compta. Quatre, plus l’un des leurs qui avait l’air, à l’arrière, tout aussi voir plus tendu encore que Wildon. Il l’avait reconnue.

« A quoi tu joues, Wildon… ? Et c’est qui, elle ? » Il me désigna du doigt. Ca commençait à chauffer. Un autre coup d’œil… arbalètes, ils auraient vite fait de les mettre en joue. Les carreaux étaient déjà en place, d’ailleurs.

Eleni… Un nouveau soupir, ça ne s’annonçait pas bien.
« C’est…. »
Une pression à la hanche, entre deux plaques de plates : il avait compris.

Ils n’avaient plus de temps à perdre, et il fallait prendre les devants s’ils ne souhaitaient pas se retrouver ferrés en moins de deux.
Il en mit un en joue. Les autres l’imitèrent à l’unisson… Ils les auraient descendus si la taupe, à l’arrière, n’avait pas joué du couteau avec deux d’entre eux.

Trois carreaux sifflèrent alors. Celui de Wildon se planta dans l’épaule d’un premier. L’un des leurs entailla la cuisse d’Elenor, accrochant au passage la bordure de son long manteau anthracite. L’autre, enfin, se planta avec un son mat dans le torse de son ami. Avec un glapissement, elle bondit en avant. Il fallait les atteindre avant qu’ils n’aient le temps de recharger. Ils ne tentèrent pas, d’ailleurs, et dégainèrent plutôt leurs lames. L’un d’eux allait appeler à la garde lorsque la taupe le réduisit au silence. La petite lame qu’Elenor tenait à présent dans sa main droite alla se planter sans ménagement dans le cou du dernier, celui qui avait déjà été blessé. La taupe jeta un regard paniqué en arrière, secouant les mains pour lui dire de m’enfuir.

Deux pas et elle était sur Wildon. Il n’était pas encore mort, mais trop lourd, et trop amoché pour qu’elle ne puisse le sortir de là. Du sang s’écoulait à gros flots de la plaie, le carreau ayant perforé l’armure à l’une de ses faiblesses. Il crachait du sang… Le poumon, donc. Il ne s’en sortirait pas.

« Elen…
- Chut…
- Pour… pour qui vais-je mourir ? » Elle plissa les yeux sur un rictus. Des larmes menaçaient d’envahir ses yeux à tout moment.
« Pour la Dissidence, mon frère. Tu meurs pour la Dissidence. »

Il eut l’air de réfléchir. « Bon… ne les laisse pas… me prendre… » Un coup d’œil paniqué en arrière, l’autre lui ordonna de fuir une nouvelle fois, à grand renfort de gesticulations. Il saisit une dague et se coupa de lui-même, faisant croire à une blessure sérieuse pour éviter d’être inquiété à son tour. Un gémissement, et il s’effondra à son tour, lâchant la lame dans le même geste. Ils allaient s’occuper de lui, et elle gagnerait encore un peu de temps.

Elle se retourna vers Wildon, décidée à l’achever pour lui éviter la torture de l’agonie ou de l’armée, mais il était déjà trop tard. Il avait été soufflé.



C’est en courant qu’elle pria Therdone d’accueillir le valeureux soldat. En courant dans le dédale des rues de la Ville Basse qu’elle honora sa mémoire de quelques larmes.

Elle ne rejoignit Lan et Eleni que plus tard. Seule et plus légère, elle se déplaçait plus vite, mais avait fait des détours, en espérant que ceux qui risquaient de la suivre à la trace croiraient au subterfuge.

C’est en sécurité et la main pressant la plaie superficielle de sa cuisse qu’elle gagna la planque à son tour, quelques minutes après Lan. Silencieuse et la mine sombre, elle portait sur son visage le deuil de l’homme qui s’était sacrifié pour une cause qui n’était pas même la sienne. Jamais elle ne lui revaudrait quoi que ce soit.

Elle ne s’enquit pas de la bonne santé d’Eleni, ni de celle de Lan, et alla juste s’effondrer sur un tabouret dans un coin de la pièce. Il lui faudrait un peu de temps pour répondre aux questions. Cela leur laisserait tout le temps de discuter.
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MessageSujet: Re: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptySam 16 Oct - 13:15

    Éléni s'était toujours vue comme une héroïne. Une femme forte et admirable, à l'image de Bellone, mais maîtrisant l'envers du décor. Une héroïne secrète. Peu lui importait de sauver le monde et que tous ignorent jusqu'à son nom. Rester entourée d'un épais mystère était sa signature, ou plutôt... sa Volonté.

    Mais là, elle n'avait plus de Volonté. Elle avait seulement celle de retrouver son lit et les histoires de son papa. Elle voulait oublier la douleur lancinante et tiraillante qui semblait habiter chaque muscle de son corps. Elle allait mourir de peur bien avant que les Karnimacii ne reviennent la chercher. Elle tremblait comme une feuille, incapable de retenir les larmes de rage et de terreur. Elle ne pouvait pas perdre contre la mort, mais elle n'avait pas la force de l'affronter. Elle était terrifiée : aucun maquillage ne pouvait plus la protéger, aucun Jeu ne pourrait la tirer avec malice et panache de sa situation.

    Quelle traîtrise que ce Jeu ! Il s'était effacé sans crier gare, la laissant seule et démunie face à ses pires ennemis. Il n'était plus question de jouer. La comédie avait cessé, parce que sa propre vie était l'enjeu. Elle qui avait toujours négligemment manipulé l'existence des autres, commandité des meurtres et délibérément mené des hommes à leur perte, elle ne comprenait pas ce soudain sentiment d'impuissance, d'horreur et de faiblesse. Qui expliquerait à Enlil Arcarian que son poussin ne rentrerait plus jamais au bercail ? Qui pourrait dire à Skadi Arcarian que sa fille chérie avait fini ses jours dans les sombres cachots de la Prison ? Tant de regrets... tant de peur...

    Le froid l'engourdissait, s'insinuant dans ses veines, jusqu'à l'envelopper toute entière. Les tremblements se firent plus violents, jusqu'à secouer avec grand bruit les chaînes qui la retenaient. La fièvre prit la jeune femme et la plongea dans un état encore plus déplorable.

    Et puis, au milieu de son délire, un chuchotement, plus fort que tout le reste, parce que prononcé par une voix qui signifiait trop pour pouvoir être oubliée, même au cœur du domaine de la peur. Un mot empli d'espoir. « Éléni ». Le mirage s'effaça en une seconde. Elle releva la tête avec vigueur et son regard croisa celui d'Elandor Arlanii.

    Elandor.

    Et soudain, avec une force inouïe, une puissance aussi féroce que le plus grand de tous les ouragans, l'espoir reprit possession d'Éléni. Son souffle lui revint, et elle sut qu'elle n'allait pas mourir. Elle l'avait toujours su : elle était trop jeune pour être emportée par la grande faucheuse.

    Il était venu. Il avait su, et il était venu. Elle ne savait pas comment c'était possible, elle ne savait pas ce qui avait pu rendre pareille chose imaginable, ni ce qui lui certifiait avec tant d'ardeur qu'elle ne se trompait pas et qu'il était bien là, en chair et en os, mais elle était emplie de gratitude. Il ne l'avait pas abandonnée. Il était venu à son secours, il venait l'arracher aux mains des Karnimacii, il venait la sortir de sa prison. Il venait lui rendre ses ailes.

    - Elandor...

    Son murmure fut à peine audible. Ses lèvres réclamaient de l'eau, ses sens voulaient un peu de chaleur humaine et son cœur voulait un peu de réconfort. Comment était-ce possible ? Comment avait-il fait pour parvenir à la retrouver ? À forcer les entrées de la Prison ? À retenir les Karnimacii ? Vraiment, cet homme était l'homme de la situation. Elle l'avait déjà dit à plein de Dissidents, mais jamais la phrase n'avait été aussi vraie. Il était comme ces grandes figures des légendes, capable de terrasser le vent à mains nues et d'aller où bon lui semblait.

    Elle ne parvenait pas à faire un mouvement. Elle avait bien trop mal. Et surtout, l'émotion avait été bien trop forte. Elandor était là, et elle ne doutait pas un instant que tout allait s'arranger. Elle était sauvée, alors même qu'elle était encore au cœur de la Prison. Elle règlerait ses comptes au Jeu plus tard. Là, elle était tout contre Elandor. Et rien ne pouvait plus lui arriver. Elle se pelotonna contre lui, passant faiblement les bras autour de son cou.

    Et puis, elle entendit la voix d'Elenor. Et si elle n'avait été aussi mal, elle aurait sans doute ri. Elenor était avec eux, et cela emplissait le cœur d'Éléni de reconnaissance. Elle appréciait anormalement l'ancienne militaire, mais elle aimait à croire que sa présence dans les cachots signifiait que cette affection était au moins un peu réciproque. Éléni luttait courageusement contre l'inconscience. Mais son esprit était presque euphorique : la mort ne pouvait plus les atteindre. Sipik se dresserait contre elle, et on ne la faisait pas à Sipik. Même la mort devrait reculer.

    Ce fut sur ces pensées qu'Éléni décrocha et se laissa sombrer. Sa tête s'affaissa et son poids se fit plus lourd. Pas un instant, l'idée ne l'effleura que des hommes se battaient et mouraient sur son chemin. Pas un instant, elle ne réalisa à quel point sa libération relevait du miracle. Pas un instant, elle ne comprit qu'elle était seulement en sursis. Pas un instant, elle ne fit son deuil du Jeu, alors que la petite fille venait de mourir en elle. Pas un instant elle ne prit conscience que ces quelques heures venaient de la transformer irrémédiablement en femme.

    Mais à son réveil, tout lui jaillit à la figure. Elle saisit avec acuité ce qui était arrivé. Et elle encaissa en quelques secondes tous ces coups plus violents les uns que les autres. Le choc l'étouffa presque : sa respiration se fit tellement difficile qu'elle crut s'étrangler. Entièrement secouée de tremblements fiévreux, brûlante et hébétée, elle comprit au décor qu'elle n'était plus dans la Prison. Elle avait trop pleuré pour pleurer encore : mais le soulagement déferla sur elle, comme une lourde vague s'échoue sur le rivage. Elle n'avait plus de chaînes : seules restaient les blessures sanguinolentes qu'elle s'était faites en tentant de se libérer. Elle avait à la fois chaud et froid : les draps lui semblaient être très doux, mais elle avait tellement chaud qu'elle voulait se débarrasser du moindre vêtement. Elle avait soif, aussi. Elle avait l'impression qu'elle ne parviendrait jamais à parler. Sa bouche était sèche, sa gorge en feu.

    Au-dessus d'elle, penché avec inquiétude sur elle, Elandor. Dix fois trop sonnée pour avoir seulement conscience de leur proximité en cet instant, Éléni eut peur pour elle. Elle avait toujours mis un point d'honneur à cacher son identité, même à Elandor. Et là, avait-il enlevé son maquillage ? Avait-il découvert ses véritables traits ? Elle porta une main défaillante à sa joue et sut que même dans la plus noire des situations, Elandor l'avait respectée. Elle en conçut une nouvelle admiration pour lui, et elle se surprit à dire, d'une voix rauque à l'extrême et à peine perceptible tant l'effort était pénible :

    - Merci.

    Elle ne pouvait rien ajouter. Éléni était incapable de faire plus. Trop égarée. Aujourd'hui, elle avait cru mourir ; voilà qu'elle était ramenée à la vie. Mais rien ne serait plus comme avant...
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MessageSujet: Re: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptySam 30 Oct - 19:33

Il était attentionné, très attentionnée même. Il l’avait couchée, l’avait recouverte de couvertures chaudes, avait allumé un feu et posé un verre d’eau sur la petite table de nuit.
Il s’assit à son chevet, attendant son réveil. Elle s’était calmée et seules ses paupières s’agitaient de temps en temps.
Ils étaient en relative sécurité, le cordonnier gardant l’entrée principale et la petite pièce au sous-sol qu’ils avaient investie ne comportant pas moins de trois sorties de secours, ce qui permit à Lance de se détendre, délassant les muscles de son dos et de ses épaules. Malgré son poids plume, Eléni avait d’ores et déjà sa taille adulte et il avait parcouru une distance assez importante en la portant.
Elle bougea légèrement dans son sommeil. Quelques traces de poudre écrue maculaient déjà le blanc des oreillers qui soutenaient son cou.
Il ne l’avait pas démaquillée, malgré l’envie pressante qui agitait son corps et son esprit. Voir, enfin, le visage d’Eléni ! Lorsqu’il lui avait épongé le visage d’une serviette humide, le fard blanc de son front avait laissé voir sa peau, à peine plus sombre. Il avait failli, à cet instant, ôter tout le reste, la mettre à nu. Mais ça aurait été déplacé. Il n’avait jamais violé une femme et ne comptait pas commencer aujourd’hui ; démaquiller Eléni, c’était violé son intimité. C’était une des premières choses qu’elle lui avait dite, « Tu ne verras jamais mon vrai visage, jamais. »
Il soupira.

Elenor n’était pas arrivée tout de suite, sans pourtant que cela inquiète Lance. Il avait trop confiance en ses capacités pour avoir réellement peur pour elle.
Finalement, elle et Eléni avaient au moins un point en commun : elles souffraient, quelque chose s’était brisé en elle. Mais, pour autant, Elandor ne réagissait pas de la même façon. Elenor avait cette force apparente, cachant ses failles sous son mutisme et sa grogne, qui empêchait les autres de voir à quel point elle souffrait. Elle avait été formée en tant que militaire et savait marquer la différence entre sa vie privée et son devoir. Sipik ne ferait jamais d’erreur à cause d’Elenor. Mais Eléni ?
Etait-ce la jeunesse qui lui donnait cette candeur qui pouvait devenir une trop grande faiblesse ?
Et lui, qu’est-ce qui l’aveuglait au point de la garder auprès de lui ?
Pour autant, elle avait participé à la création de la Dissidence, sans elle, rien n’aurait été possible.
Alors quoi ? !
La renvoyer définitivement n’était même pas une idée à évoquer. Lui laisser le temps de se reconstruire, l’obliger à se reconstruire, oui … Il ne pouvait pas se permettre de laisser l’espionne travailler alors que le cœur et la tête de la jeune fille vacillaient sur leurs bases.
C’est pourtant ce que tu fais avec Elenor …
Mais c’était différent …
En quoi ?!
Elandor n’avait aucune réponse à donner.

Il l’avait donc regardée les rejoindre sans mots dire et lui avait jeté un regard interrogateur qu’elle n’avait même pas fait mine de voir. Le visage sombre, les traits tirés, elle s’était assise dans un coin.
Il l’avait laissé là, à faire le point avec elle-même, incapable seulement de lui parler. Pourtant, il faudrait bien qu’il le fasse. Il s’était décidé à faire des efforts avant que la situation ne s’envenime au point qu’ils se détestent.
Mais, en tant qu’homme tout à fait mono tâche, il lui était impossible de gérer à la fois son bras droit et son bras armé. Sipik soutiendrait Elenor le temps qu’il lui vienne en aide. Eléni, elle, n’avait plus aucune barrière de protection. Il se contenta donc de s’assurer de sa bonne santé physique et de lui lancer une bande de tissus ainsi qu’un peu d’alcool pour nettoyer sa plaie.
Il lui avait laissé tout gérer et, une fois encore, elle s’en était sortie. Il ne s’était préoccupé que d’emporter Eléni loin du tumulte. L’homme qui les avait aidés n’était pas avec elle mais Lan n’eut même pas l’idée de se demander ce qu’il était devenu. A part les personnes auxquels il tenait, les hommes qui le soutenaient n’étaient que des pions, qu’il plaçait sur un échiquier bien trop réel. On ne s’inquiète pas pour des pions ; ils tombent quand ils ont remplit leur mission et personne ne s’en désole. Il ne savait pas que ce pion-là était une vraie personne pour celle qui partageait sa vie …

Ses pensées s’étaient égarées mais elles furent très vite rappelées à l’ordre par le réveil d’Eléni. Elle laissa un échapper un petit cri, mélange de stupeur et d’angoisse, sa respiration s’accéléra et elle sembla presque étouffer. Son corps était agité de frissons et sa poitrine se soulevait au rythme de sanglots qui refusaient de sortir. Il la suréleva un peu, lui maintenant le dos en passant son bras derrière ses épaules et la soutint ainsi le temps qu’elle se calme.
Il eut l’impression qu’elle n’avait même pas conscience de ce contact. Ses yeux s’affolèrent avant de trouver son visage et de s’y accrocher, trouvant dans les traits connus une nouvelle assurance.
« Tout va bien », murmura-t-il, « Tout va bien. »

Elle s’agita à nouveau, dégageant sa main tremblante des draps pour la porter à son visage, vérifiant avec anxiété que son anonymat avait été préservé. Un soupir de soulagement s’échappa lentement de ses lèvres avant qu’elle n’ait la force de le remercier.
Il lui répondit par un sourire. Et se dit qu’il avait bien fait de respecter son intimité.

« Repose-toi. »
Elle réclama de l’eau, il la fit boire. Elle se rallongea et ferma les yeux.
Dormait-elle ? En tous cas, elle se reposait et c’était déjà ça.

Il se retourna vers Elenor, s’approcha d’elle et s’adossa au mur à ses côtés.
« Comment ça s’est passé ? »

Elle lui répondit du bout des lèvres. Ils en discuteraient plus tard. Il faillit insister, se reprit. Il remettrait le sujet sur le tapis, quand elle serait prête … et surtout calmée !
Apparemment, tout ne s’était pas aussi bien passé qu’il en avait eu l’impression.
Mais cette fois-ci, il ne la lâcherait pas … Il ne s’agissait pas seulement de sa vie privée, c’était aussi une action Dissidente, et il la forcerait à rendre des comptes à son Chef, pour son bien.

Il jeta un coup d’œil à Eléni, qu’il couvait régulièrement du regard au cas où il percevrait un geste, un frémissement témoignant de l’amélioration de son état.
Elle ouvrit à nouveau les yeux. Avait-elle dormi durant ce cours instant, ou bien avait-elle seulement laissé ses pensées errer ?
Quoiqu’il en soit, elle avait l’air d’aller mieux. Ou, du moins, elle paraissait plus calme. Quant à savoir ce qu’il se tramait sous son crâne … Il restait tout de même une sorte d’absence dans ses yeux, elle semblait engourdie, ralentie … Comme si son cerveau voulait prendre du temps pour assimiler ce qui lui était arrivé.
Il s’en réjouissait et, dans le même temps, il appréhendait ce qui allait suivre. Elle n’allait pas aimer ce qu’il allait dire … Et pourtant, elle avait réellement besoin de prendre du repos.
Il s’approcha d’elle à nouveau, lui proposa à boire et à manger. Elle accepta l’eau avec gratitude mais refusa d’avaler quoique ce soit.

Il s’assit sur le rebord du lit, ne lui laissant voir que son profil inexpressif malgré les rides qui le marquaient.
Il fixa Elenor, cherchant son appui. Ils n’en avaient pas discuté mais il espérait qu’elle le soutiendrait. C’était la meilleure solution et surtout, l’Al’Faret avait pris sa décision.
« Eléni … »
Il se racla la gorge, étouffa un soupir en soufflant bruyamment par le nez puis reprit d’une voix plus ferme.
« Je vais te ramener chez toi. Et après, je ne veux plus te revoir pendant deux semaines. »

Il se tourna vers elle, affrontant son regard abasourdi. Elle secoua vaguement la tête en signe de dénégation.
« Ce n’est pas une proposition, Eléni. Tu es mise à pied. Et tu n’as pas intérêt à ce que j’entende parler de toi pendant ce laps de temps … »

Il voulut esquisser un geste pour poser sa main sur son épaule mais se retînt. Ce n’était pas l’ami qui parlait, c’était le Chef.

Je suis désolée, ma Belle. Mais il n’est pas question que tu reprennes le travail tout de suite … Je ne peux pas me permettre de te perdre en temps que bras droit.
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Elenor Jagharii
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MessageSujet: Re: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptyMer 3 Nov - 18:40

Désolée, c'est pas terrible, mais je n'ai pas été trop inspirée, sur le coup. Au moins je vous débloque.
Elenor s’était, depuis son arrivée, enfermée dans un farouche mutisme. Elle ruminait, peinait à entamer le deuil de façon saine tant l’envie de tout envoyer en l’air se faisait pressante. Alors que son esprit l’enjoignait au calme le plus souverain, son cœur, lui, avait du mal à pardonner. A se pardonner à elle d’avoir sacrifié l’homme, mais pas seulement.

Bientôt, on porterait Wildon en terre, sans doute des funérailles militaires puisque ceux qui auraient pu le compromettre n’étaient plus non plus. Des funérailles pour donner l’exemple, montrer un héros, face à une bande de criminels. Sans doute grossirait-on beaucoup le trait. La seule chose de certaine était que personne en tout cas ne dirait un traitre mot de ce qui s’était réellement passé. Personne n’évoquerait un carreau bien milicien, du moins pas un tiré par un soldat. Et personne n’évoquerait non plus ce qui avait motivé son acte, et ce sacrifice : son ancien chef, venue c hercher une amie imprudente. Car imprudente, elle l’avait été.

Installée à ruminer dans son coin, il était difficile à présent que le contre coup la prenait de ne pas se lever en hurlant et en claquant la porte. Qu’est-ce qui avait bien pu lui prendre de faire une ânerie pareille ? Elle qui d’ordinaire était si sage et si raisonnable… ? Oh, sans doute avait-elle ses raisons, mais Elenor n’était pas sur d’être capable de les entendre à présent que son frère d’arme gisait dans une mare de sang. Elle avait de l’affection pour Eleni, mais ça n’avait rien à voir. Digérer prendrait du temps, et participer aux funérailles aiderait sans doute beaucoup. Masquée bien sur, elle se mêlerait à la foule de bedeaux qui allait se masser pour assister à l’évènement, qui de son commentaire sur l’homme qu’il avait été, qui de l’héroïsme de son sacrifice… Et une inconnue, au milieu, pour confirmer chacune de ces louanges.

Lan la tira de sa torpeur en lui demandant des comptes… qu’elle se garda bien de lui donner. La gorge toujours nouée, elle ne se sentait pas capable de trop parler. Le regard toujours sec et distant, elle avait néanmoins l’impression d’avoir joué les avaleuses de sabre novices.
Elle lui en parlerait plus tard, c’est ce qu’elle lui dit. Plus tard, lorsqu’ils seraient seuls. Qu’elle serait calme et qu’elle se serait fait à l’idée que le plus fidèle des compagnons d’armes qu’elle ait jamais eu venait de disparaître pour lui rendre service. Elle lui raconterait peut-être un peu de l’histoire de Wildon, pas trop, car elle ne supporterait pas de le voir s’en lasser… et qu’elle savait qu’il finirait par le faire. Puis elle irait se coucher et cela ne ferait qu’un non-dit de plus à leur actif.

En le voyant repartir, elle déglutit, le regard embrumé. Entre le dos de Lan et ses yeux humides un voile de brouillard qui se faisait intense et douloureux à mesure que gonflait son envie de fondre en larmes. Cela dura plusieurs minutes, avant qu’à nouveau Eleni ne reprenne conscience.

Mise à pied.

Un instant, Elenor écarquilla les yeux, puis elle toussa dans son poing, discrètement, et croisa les bras sur sa poitrine, son regard cette fois fixé sur Lan et Eleni. Il pouvait enrober ses propos des mots qu’il voulait, Eleni avait été prise, et il était toujours très risqué de faire à nouveau appel à ceux qui étaient pris. Bien sur, ce n’était pas n’importe quel membre mais… Mais c’était ainsi. Elle était en plus en piteux état, et à la voir, deux semaines ne seraient pas superflues. Cela laisserait à Lan le temps de réfléchir à une solution, et de prendre une décision la concernant. A présent qu’ils savaient que les Dissidents avaient dans leur rangs des Ombres, puisque quoi qu’en disent les préjugés, les militaires de la ville n’étaient pas les plus à plaindre question déductions, il faudrait, s’il désirait la garder auprès de lui plus longtemps, lui trouver une fonction plus adaptée et plus subtile. Il devrait faire en sorte qu’on attende plus la gamine sur ce plan là, sans quoi lui confier une mission aurait été meurtrier.

Elle fronça les sourcils, et hocha gravement la tête en signe d’assentiment, sans être pour autant capable de se montrer plus chaleureuse.

« C’est la meilleure chose à faire. » Sa voix était grave et sans réplique. Conclue par un soupir dépité, la sentence laissait au moins entendre que ce n’était pas de son côté qu’Eleni trouverait du réconfort, ce qui lui éviterait de voir son self-contrôl laborieux voler en éclat.
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MessageSujet: Re: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptySam 6 Nov - 16:02

    Qu'elle détestait cet état de faiblesse... Elle se sentait incapable du moindre geste, son corps répondait maladroitement à ses ordres et sa bouche ne parvenait pas à produire le moindre son. Mais la chaleur de l'endroit avait raison de ses peurs, tout comme la conscience de la merde dans laquelle elle était lui revenait de plus en plus puissamment. Malgré la fièvre, Éléni réalisait parfaitement qu'il lui fallait du temps. Elle devait prendre de la distance, parce qu'elle devait décider ce qu'elle voulait faire du Jeu, de ce Jeu qui l'avait trahie. Éléni ne pouvait continuer telle quelle : il fallait maintenant que Charis Arcarian prenne le temps de s'arrêter et de réfléchir posément à son avenir.

    Quand la voix douce d'Elandor lui annonça qu'elle était mise à pied, Éléni voulut pourtant protester : ce n'était pas à lui de prendre cette décision, et il était hors de question qu'elle cesse d'être l'ombre de la Dissidence. Elle entendit l'assentiment d'Elenor et réfréna difficilement l'absurde sensation qu'ils s'étaient ligués contre elle. Puis, elle entendit qu'il n'était question que de faire une pause de deux semaines, et elle cessa de se rebeller. Ils avaient raison sur un point : maintenant, les Conservateurs savaient qu'au moins l'une d'entre eux était capable de se travestir. Il fallait laisser l'affaire retomber. Et puis, elle était épuisée, de toute façon ; physiquement, il lui faudrait du temps pour se remettre. Ce n'était là qu'un point de vue pragmatique, car elle aurait besoin de plus de temps pour parvenir à soigner les autres blessures que lui avait apporté le Jeu de Cybel Karnimacii. Ses muscles étaient douloureux et l'élançaient, tandis qu'elle s'efforçait de conserver la tête claire et de répondre avec assurance, alors même qu'elle voulait dormir, et retrouver le confort familial.

    Le confort familial... il était temps pour Charis Arcarian de faire face à ses responsabilités, comme une adulte. Il était temps pour elle de cesser son mensonge, le seul qu'elle ait jamais osé faire à son père et à sa mère. Elle devait les affronter, leur dire en face qui elle était. Ce serait sa manière de s'affranchir de son enfance. Elle ne cacherait plus sa situation à ceux qu'elle aimait tellement, et qui comptaient plus que tout pour elle. Elle n'était plus la petite fille qui se dissimulait en riant sous cape, Éléni n'était plus l'adolescente aussi vive que le vent... Charis Arcarian avait des résolutions à prendre, parce qu'Éléni, à dater de ce jour, n'était plus sous l'emprise du Jeu. À l'avenir, si elle choisissait de continuer à soutenir la Dissidence, ce serait un choix mûr et motivé, une conviction.

    Et là, elle avait la Volonté, malgré son cerveau qui refusait de tourner à vitesse normale et ses lèvres qui murmuraient sans force, de garder son secret, parce qu'elle avait ses parents à protéger. Elle connaissait Elandor : il n'accepterait jamais de la laisser retourner seule chez elle, et de toute façon, elle en était incapable. En fait, rien que l'idée de devoir quitter le lit qui l'accueillait lui donnait la nausée. Un enfant aurait eu plus de force qu'elle... c'était dur à digérer. Avec effort, elle répondit :

    - Pas chez moi...

    La véhémence de l'affirmation la surprit elle-même. Elandor refuserait également de l'amener dans une planque, parce qu'elle pouvait tout aussi bien y dépérir loin de soins. Quant à l'amener chez Grand-Mère, la Dissidente qui l'avait tiré de la mort, c'était tout aussi impossible : tous les Dissidents sauraient alors l'identité d'Éléni, parce que la vieille ne préserverait pas son anonymat. C'était un véritable casse-tête, mais la jeune fille eut soudain l'idée qui allait la tirer de ce mauvais pas. Elle n'avait qu'à lui donner directement l'adresse de l'ancienne maison Arcarian. Elle n'avait qu'à lui dire qu'il s'agissait de son véritable QG, celui qu'elle lui avait toujours caché, et ce serait vrai, tout en protégeant l'identité de sa famille. Lentement, en donnant à ses paroles un accent de vérité – la fièvre était son avantage : qui mentait dans un état de faiblesse aussi avancé ? – Éléni reprit laborieusement :

    - Pas chez moi... je vais te dire où... est mon véritable QG... mais tu dois me... promettre... que tu ne viendras jamais m'y chercher... à moins... d'un danger de mort...

    Pour une fois, elle se réjouissait d'être une Noble de Rang, parce que le déménagement de sa famille donnait encore plus de crédit à son histoire. La maison était censée être déserte, simplement conservée pour les quelques affaires d'Enlil Arcarian. En résumé, une parfaite planque – une de plus. Elle termina dans un souffle :

    - Conduis-moi... à la maison Arcarian du Quartier Commerçant... Les domestiques sont... achetés. Ils s'occuperont de moi... Dépose-moi simplement... devant l'entrée de service... et puis pars, s'il te plaît...

    Quel orgueil dans ces paroles... Éléni ne s'en rendit compte qu'au moment où elle les prononçait. Puis, elle regarda Elandor, droit dans les yeux, forçant son regard à le fixer, mais parvenant à peine à ne pas ciller, et offrant seulement un regard trouble, rendu brillant par la fièvre :

    - Je... j'ai protégé la Dissidence. Je te remercie... de m'avoir protégée...

    Elle se laissa retomber sur l'oreiller. Ses paroles sonnaient comme un adieu, alors que tel n'était pas le cas. Je reprendrai contact avec toi, Elandor. Parce que tu restes l'homme qu'il nous faut. Mais quand elle reprendrait contact avec lui, elle ne serait plus la même.
    Elle ne jouerait plus.
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Elandor Arlanii
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MessageSujet: Re: Jeu et fin de partie   Jeu et fin de partie EmptyJeu 11 Nov - 20:34

Lance fut rassuré de voir qu’Elenor le soutenait mais un peu étonné par la froideur de sa réponse.
Un instant, il hésita sur la marche à suivre. Etait-il trop gentil avec son bras droit ? Il avait une certaine confiance dans les jugements d’Elenor et si elle estimait qu’il devait sévir davantage, il serait bien obligé d’en prendre compte.
Elle n’aurait jamais dû y aller seule, elle avait paniqué inutilement. Le Dissident n’était qu’un homme parmi tant d’autre et elle avait foncé tête baissée. Mais n’avaient-ils pas fait de même pour la sauver, elle ? ! Il essaya de se persuader du contraire. Elle n’aurait pas résisté à la torture. Comment pouvait-il alors lui laisser connaître autant de secrets ? ! Le danger lui apparaissait seulement mais il ne pouvait se résoudre à la réduire au silence, la pensée refusait même d’atteindre son cerveau. Il faudrait donc qu’il lui trouve un rôle de l’ombre. Eléni allait devoir arrêter de s’exposer … Et elle n’allait pas aimer. Mais il ne pouvait pas se permettre de voir toutes les ficelles de la Dissidence être dévoilées.

Il eut soudain l’impression de porter le monde sur son dos. Mine de rien, la course-poursuite avait été épuisante et les décisions qu’il s’apprêtait à prendre étaient trop délicates pour qu’il reste serein.
Il frotta un instant ses joues à la barbe rugueuse qu’il n’avait pas pris le temps de raser ce matin-là non plus puis frictionna frénétiquement la cicatrice de son œil gauche.
Et merde !

Fort heureusement pour lui, Eléni le tira d’une difficile réflexion en reprenant la parole.
Il tiqua quand elle refusa qu’il la ramène chez elle. Si elle croyait qu’il allait l’abandonner au coin d’une rue, elle se fourrait le doigt dans l’œil !
Ah non … Elle le connaissait mieux qu’il ne l’imaginait.
Il acquiesça. Il ne connaissait absolument pas la maison Arcarian mais elle le guiderait. Et il n’oublierait jamais l’adresse, quoiqu’elle en dise …
Il la laissa poursuivre, tiqua à peine sur la fin. Avec Elenor, elle était la seule à pouvoir s’adresser à lui ainsi, comme à un ami plutôt qu’à un Chef. N’était-ce pas trop dangereux ? D’un côté, cela lui assurait une parfaite entente avec ses généraux mais, de l’autre, cela apportait un certain danger. Elles pouvaient le contredire, l’influencer, le modifier.

Il ne répondit pas mais songea qu’elle n’avait pas totalement protégé la Dissidence. Elle avait certes sauvé un pion mais elle avait mis en danger la tour et ainsi failli exposer le roi.
Elle ferma à nouveau les yeux, épuisée, et il n’eut alors pas le cœur de le lui reprocher.
Cependant, il fallait partir. Il n’avait aucun moyen de lui prodiguer les soins nécessaires dans cette planque et elle serait bien mieux dans le quartier bourgeois.

Elle essaya de se lever, il la soutint puis décida finalement de la porter. Ils seraient plus rapides ainsi même s’ils perdraient un peu en discrétion.
Il couvrit son visage, enveloppa Eléni dans un vêtement sombre et revêtit lui-même une cape sombre. Le jour était tombé, leur assurant la protection de la nuit.

Elenor les devança, vérifiant la sécurité des lieux puis les abandonna après leur avoir donné le signal du départ. Ils se retrouveraient chez eux plus tard. Chez eux … L’idée était devenue presque naturelle mais Lance ne put s’empêcher d’en sourire. Ils formaient un étrange couple … Et, pour l’instant, la partie féminine ne semblait pas vouloir engager le dialogue. Il lui faudrait faire preuve de tact en rentrant ce soir-là …

Il s’engagea dans le dédale des ruelles, guidé par la voix étouffée de la jeune fille recroquevillée dans ses bras.
Ils arrivèrent enfin. Il longea le mur d’enceinte et, sous ses directives la déposa sur le pas de la porte de derrière. Elle chancelait légèrement sur ses pieds mais se retint farouchement au chambranle de la porte.
Avant qu’elle ne frappe, il lui glissa quelques mots.
Il n’avait pas le choix …

« Eléni … Avant que tu ne partes … Il faut que je te dise quelque chose. Je ne veux plus jamais que tu fasses ça, ce n’est pas à toi de faire ce genre de mission. Tu es trop précieuse et tu sais trop de choses pour te mettre ainsi en danger. »

Il n’insista pas, elle comprendrait … Et, de toutes façons, ils en reparleraient. Quand elle serait prête.

« A bientôt. »

Il s’éloigna sans la laisser répondre. Il ne voulait pas flancher.
Il s’arrêta à quelques rues, juste avant que la fine silhouette ne soit cachée à sa vue.
Il la regarda frapper à la porte, parler un instant sans qu’il n’entende aucun mot puis entrer, soutenue par une personne au corps et au visage cachés dans l’ombre.
Soit, il respecterait son intimité. Mais il commençait à prendre conscience du fait qu’il ne savait absolument rien d’une des rares personnes à connaître sa véritable identité …
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