Les Tables d'Olaria
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 La Belle est humide, le Clochard est absent.

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Elenor Jagharii
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MessageSujet: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptySam 28 Aoû - 21:38

    La pluie avait fini par se déclarer sur Edor Adeï. En fin de matinée, peu de temps après son départ du Ceste. Son fardeau, essentiellement composé de textile, n’avait pas perdu de temps pour s’en gorger et voir son poids doubler. Elle n’en courait pas moins le plus lestement possible, sans s’arrêter plus d’une minute ou deux. Elle les avait repérés dans la rue, puis ne les avait plus vus. Supposant qu’ils avaient opté pour une traque plus discrète, elle avait pris la décision de les faire tourner en rond toute la journée durant, voire la nuit. Elenor avait toujours eu de bonnes jambes, et son endurance n’était pas à plaindre.

    Mais avec la pluie, la donne avait sérieusement changé…

    En milieu d’après-midi, sa vitesse avait commencé à décroître, et elle se prenait à faire des pauses de plus en plus régulières… La douleur physique avait pour elle de lui faire oublier pour quelques instants au moins celle, plus lancinante, qui tenait son cœur. La perte, le vide qu’elle avait créé par ses propres mots. Le regard de Sieben, lorsqu’elle était partie. Homme blessé, homme aimé. Homme qui la veille encore lui avait prouvé son amour devant l’âtre de son auberge…
    Et elle avait brisé son cœur, piétinant dans le même temps le sien propre. Foulant au pied des mois de cohabitation, de générosité et de sacrifices.
    Foulant au pied l’amour de l’homme qui l’avait soutenue, lorsqu’elle avait été blessée. Cet homme qui l’avait enlevée à ses parents, qui était prêt à tout pour la protéger, pour la garder.

    Poignardé, trahi…

    L’égoïsme était, selon les critères de Lan, la meilleure chose à faire… Et pourtant, elle n’avait plus d’autre envie, alors que les semelles de ses cuissardes battaient le pavé, que celle de plonger dans l’écluse pour n’en plus sortir. A mesure qu’elle courait, sa peine grandissait. A mesure que les souvenirs revenaient, un à un. Avec la distance grandissait l’amour, et quand bien même les dernières semaines avaient été compliquées pour leur couple, elle perdait en volonté, à chaque mètre. Et le besoin de rebrousser chemin, de retrouver l’asile confortable de ses bras, d’épancher ses larmes et de faire de cette histoire un mauvais songe se faisait de plus en plus sentir.

    Mais elle ne rebrousserait pas chemin. Elle endurerait la douleur et la détresse seule. Et Sieben souffrirait de ne pas avoir choisi la bonne femme. Puis il l’oublierait.
    Elle avait beaucoup pensé à Lan, ces derniers temps. Mais ça n’était rien à côté de la houle qui habitait alors son sein. L’ami serait-il seulement capable de la consoler ? Ce soir, quelques coups et plusieurs pintes n’y suffiraient pas.

    La gorge serrée, les côtes lancinantes de points de côté et les yeux rougis par les larmes et la pluie, c’est presque avec soulagement qu’elle vit le ciel s’obscurcir. Divaguant toujours à bon rythme dans les Bas Quartiers, n’ayant plus vu de trace de ses poursuivants depuis un moment, elle décida d’abandonner la course, et de gagner la tanière de Lan. Tout ce qui lui restait à faire, aujourd’hui. S’abriter, retrouver le sec et l’alcool… Tenter d’oublier pour quelques heures et attendre le lendemain, que la douleur soit plus grande, et la rage éclose.

    Elle fit encore quelques détours, le dos au supplice et les jambes courbaturées, avant d’arriver à l’arrière de la planque de Lan, dans la coursive qui menait (à condition d’entrer par effraction dans l’immeuble mitoyen) directement dans la cour de la minuscule maisonnette. A bout de force, elle trouva néanmoins celle d’ouvrir une vieille fenêtre branlante, d’y jeter son paquetage et de se glisser à sa suite. De là, ravie de voir qu’une partie de la famille dormait déjà, elle se glissa sans un bruit à l’arrière de la maison, puis dans la cour… Et enfin, arriva au pied du mur de Lan. Un sifflement, étouffé par la pluie… Il ne l’entendrait pas.
    Rictus de douleur aux lèvres, elle reprit son paquetage lourd comme un âne mort, et le fit retrouver avec un manque certain de contenance son épaule. Une armure n’était pas aussi lourde à porter.

    Elle trouva une fenêtre aux vitres opaques… Trop haute pour que, dans son état, elle ne s’y glisse aisément… Le plan fonctionna plus ou moins bien. Il lui fallut s’y reprendre à deux fois, tant elle était épuisée, pour se hisser à l’intérieur et forcer la fenêtre. Elle y parvint néanmoins, se réceptionnant sur une épaule non sans un glapissement de douleur. Sitôt au sec, elle vit une flaque d’eau s’étendre sous elle. Grognement, rictus découvrant ses dents, elle se releva et s’offrit enfin le luxe d’examiner l’intérieur… Vu l’état d’abandon avancé des lieux, elle n’avait plus aucun doute quant à son propriétaire. Il n’était pas plus négligé qu’un noble rendu à lui-même. Elle l’avait appris à ses dépends, devant à l’armée le strict minimum de tenue qu’il fallait pour ne pas avoir terminé en brochettes au menu de Sieben. Ici… elle ferait des efforts.
    Elle ne lui avait rien demandé, avant de faire le déplacement, et le convaincre de l’héberger, compte tenu de son comportement lors de leurs retrouvailles, de sa réaction devant leur proximité, la laissait indécise. Accepterait-il de voir se renforcer ce lien… ? Ou bien s’en effaroucherait-il ?

    Elle affronta de nouveau la pluie pour, à travers la fenêtre, agripper son sac et le hisser à son tour. Trop lourd. Il retomba avec une mollesse paresseuse, et, enfin, Elenor s’autorisa un soupir.

    La pièce dans laquelle elle était arrivée devait être la chambre. Enfin… une chambre.
    Un soupir de dépit devant le lit unique, et son état. Il était propre, quoi que poussiéreux, et à l’odeur elle n’avait pas trop peur d’y trouver des puces mais… Elle s’était habituée au confort d’une auberge bourgeoise.
    Elle refermant la petite fenêtre encrassée, elle étouffa légèrement le son tonitruant de la pluie, ce qui n’était pas un mal. Elle avait froid, mal de partout et ne désirait rien tant qu’un bain chaud et un repas qui ne devait pas l’être moins. Un feu… De la compagnie. Déjà, le calme revenu, elle se sentait assaillie d’images qu’elle ne pourrait repousser. Des souvenirs de la matinée, de… questions.

    Déglutissant, ses pieds se traînant au rythme de pas las, elle ouvrit la porte qui séparait la chambre du reste de la maison. Petite, peu entretenue et austère… La cheminé abritait des braises depuis longtemps éteinte, et elle se demanda même depuis combien de temps il n’était plus venu là… Si cela se trouvait, il lui faudrait même plusieurs jours pour la trouver ici… L’angoisse la saisit à cette idée. Pour y pallier, elle poursuivit son investigation et trouva la salle d’eau. Au moins pourrait-elle avoir une hygiène correcte. Il y avait là de quoi se baigner sommairement. Elle sentirait toujours meilleur que les Olarils…

    Le tour étant vite fait, elle regagna la plus grande pièce, le séjour, et y tourna en rond quelques minutes. Puis, se sentant sombrer de seconde en seconde, elle réalisa qu’elle ne pourrait l’attendre. Insensible devant le sol qu’elle avait littéralement inondé, partout où elle était allée, elle délaça ses cuissardes pour les pousser dans un coin de la pièce. Jambes libérées, pantalon à moitié humide, protégé en bas par le cuir qui le recouvrait, elle poussa un léger soupir de dépit… Elle avait espéré, sincèrement, que son ami serait là pour l’accueillir. Elle n’avait pas prévu la froideur de cette planque. Un feu, un sourire auraient suffit à son soulagement. Au moins à un soulagement provistoire. Elle se débarrassa également du foulard qui masquait la moitié de son visage, de sa capeline puis se dirigea dans la chambre. N’y tenant plus, elle s’effondra sur le lit. Elle le tremperait, mais n’était plus capable de fournir davantage d’efforts… Tout juste ôta-t-elle ses chausses, se glissant sous les draps aux prises d’un léger malaise… ils étaient ceux d’un autre, mais il ne lui en tiendrait pas rigueur…

    Le temps qu’il lui fallut pour s’endormir était ridicule. Plus vite qu’un chaton. Sitôt étendue, et tout juste recouverte de sa chemise et de ses sous-vêtements, elle sombra dans un sommeil agité…

      « Ma douce… réveille-toi… »
      Il est au-dessus d’elle. La première nuit qu’elle passe chez lui. Elle s’est endormie rapidement, encore sous l’effet de quelques mixtures. Quelques heures auparavant, elle était encore chez ses parents, sous l’effet du pavot… Encore fragile, en proie à la déprime. Mais il était là. Il l’avait emportée sous le nez de ses parents. Il la protégeait. Mieux que les princes, dans les contes. Mieux que tous les nobles qu’il lui avait été donné de rencontrer. Plus franc, plus solide… Plus sincère. Elle ne s’était jamais sentie aussi bien que lorsqu’elle était entrée dans la grande salle vide du Ceste. Il l’avait dans ses bras, et elle avait entonné, dans le vague provoqué par le pavot, une marche nuptiale. Il avait ri, secoué la tête, et l’avait déposée devant l’âtre. Elle s’y était endormie… Jusqu’à ce qu’au lendemain elle ne le retrouve, penché sur elle.
      « Je te protègerais. Je t’aiderais et avec moi, tu pourras guérir. »

      « Je t’aime, mon Elenor. »


    Dans son sommeil, elle s’agitait beaucoup. Etendue, percluse de douleur, ses membres étaient parfois agités de spasmes inconscients. En dormant, elle avait repoussé les draps jusqu’à ses reins, découvrant grâce à sa chemise évasée le haut de ses épaules tatouées, sa nuque, et le bas de ses hanches où l’immense poisson qui colorait son dos voyait ses nageoires s’échouer. Cheveux d’ében doucement étalés sur l’oreiller, elle avait agrippé celui-ci avec férocité.

    C’est ainsi que Lan la trouva.



Dernière édition par Elenor Jagharii le Dim 3 Oct - 16:16, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptyLun 6 Sep - 11:01

Lance pestait. La pluie lui en donnait la confirmation : ses bottes étaient bel et bien trouées. Le sol détrempé était devenu spongieux sous ses pas, le simple chemin de terre ayant remplacé les chaussées pavées lorsqu’il avait tourné au coin de la rue.
Le ciel avait cessé d’être clément dans la matinée, confirmant la menace des lourds nuages gris de ces derniers jours.
Mais un tel déluge …
A présent que le soleil avait décliné, le monde tout entier se déclinait en teintes de gris. Cette ambiance irréelle, associée au bruit lancinant de la pluie, avait quelque chose d’infiniment déprimant et l’humeur du crieur ne cessait de décliner.
Son pantalon lui collait à la peau, entravant ses mouvements, sa cape gorgée de pluie pesait sur son dos douloureux et l’eau de son capuchon dégoulinait sur son visage et dans son cou.
Foutue pluie !

De fait, la journée avait été bien plus longue que prévue … Faire le pied de grue pendant une heure était supportable par temps sec. Lorsque l’humidité vous rongeait les os, c’était tout de suite moins agréable. La plupart de ses hommes n’étaient pas venus aux rendez-vous fixés et le peu d’informations qu’il avait recueillies n’étaient pas des plus réjouissantes. Le manque d’approvisionnement commençait à se faire sentir, surtout chez les commerçants et concernait donc un bon nombre de Dissidents. Fort heureusement, cela avait permis au marché noir de se développer encore un peu plus, accumulant les richesses illégales de Lance et de ses compagnons. Et, au sein de la Dissidence, une solidarité s’était déjà mise en place, les plus nécessiteux étant assurés de toujours trouver quelqu’un pour les soutenir. Elandor voulait avoir le soutient de ses hommes et ne pouvait se permettre d’en perdre … Un peu d’argent, de la nourriture, un toit pour être au sec …
Foutue pluie !

Lance pressa le pas. Il avait prévu de rentrer chez lui ce soir-là mais le temps le forçait à s’y réfugier plus tôt que prévu. Depuis qu’il avait vu Elenor et qu’un de ses hommes lui avait transmis l’adresse, il y passait tous les jours. Mais ses espoirs avaient toujours été déçus pour l’instant …
Et ce soir … Comment penser à autre chose qu’à éviter les flaques d’eau sur le sol ?
Le Dissident n’aspirait plus qu’à une chose : rentrer, faire un feu, se sécher et, enfin, s’écrouler de ton son long sur son lit pour goûter à un repos bien mérité.

Il arriva devant la maison défraîchie, poussa la porte … qui refusa de s’ouvrir. Même s’il ne fermait pas à clé -il n’y avait rien d’autre à voler que de vieux meubles bons à jeter au feu-, l’humidité avait fait gonfler le bois et il dut s’y prendre à plusieurs fois.
C’est donc pestant et grommelant de plus belle qu’il entra dans la pièce principale, ôtant au passage sa cape détrempée. Il ébouriffa ses cheveux et essaya vainement d’ôter le surplus d’eau qui s’y accrochait et dégoulinait dans son dos, le faisant frissonner un peu plus.
Foutue pluie !

Mécaniquement, l’Arlanii se dirigea vers la cheminée, entassa vieux tracts, brindilles et bûches puis alluma le tout. L’armée lui avait finalement enseigné bien plus que l’art du combat …
Ses bottes finirent devant l’âtre, les chances qu’elles soient sèches le lendemain étant tout de même très minces, sa chemise en boule sur une chaise et il s’apprêtait à faire de même avec son pantalon lorsque son regard glissa au sol. Sur le parquet disjoint, quelqu’un avait laissé des traces de pas, mélange de terre et d’eau, tellement visibles que Lance fut furieux de ne pas les avoir vues plus tôt.
Il allait devoir redoubler d’attention pour pallier les nombreuses maladresses qu’il commettait ces derniers temps.

Se saisissant des premières armes lui tombant sous la main, à savoir son arbalète d’une main et une épée au tranchant rouillé de l’autre, il suivit les traces jusqu’à sa chambre.

Eléni ? Impossible ! Elle l’aurait attendu dans le salon et aurait pris le temps de faire un feu … De plus, ils n’avaient pas prévu de se rencontrer ce jour-là et Therdone seule savait l’effet de la pluie sur son déguisement.
Elenor ? Le cœur d’Elandor s’accéléra. Si ça avait un homme du Conseil, il aurait été cent fois plus discret et n’aurait pas attendu pour lui sauter dessus. Peu de Dissidents connaissaient l’emplacement de cette planque et encore moins oseraient y pénétrer sans y avoir inviter.
Restait … Elenor.

Derrière la porte, il retint son souffle durant quelques instants. Seul le bruit violent des gouttes qui frappaient le toit lui parvint.
Du pied, il poussa lentement le battant laissé entrouvert. Un corps, enroulé dans ses couvertures, une masse de cheveux noirs étendue sur l’oreiller.
Elenor …
Il n’aurait su dire s’il était soulagé ou mal à l’aise. Elle était revenue … Vers lui.

Il s’approcha lentement, posa son arbalète sur le lit, souleva le rideau d’ébène. Son visage était loin d’être paisible. Elle se retourna brusquement, arrachant Elandor à la contemplation de ses traits tendus. Il souleva un coin du drap pour aviser sa tenue. Ca devenait une habitude, qu’Elenor se déshabille devant lui … Les draps étaient humides et il se demanda s’il ne devait pas la réveiller. Allait-elle attraper froid ? !
Revenant dans la pièce principale, il abandonna ses armes dans un coin et entreprit d’augmenter la puissance du feu. Malgré tout, cela ne suffirait pas à chauffer la chambre, il le savait …
Il découvrit ses vêtements dans un coin de la pièce et s’insulta copieusement pour ne pas les avoir remarqué plus tôt, eux non plus. Certes, ses cheveux mouillés lui tombaient sur le devant du visage mais tout de même, il n’était pas aveugle ! Voilà qui lui apprendrait à se sentir trop en sécurité ici …
Une fois leurs vêtements étendus à proximité du feu, il plaça deux chaises devant la cheminée et attendit, indécis.
Finalement, il retourna la voir. Elle s’agitait, gémissait, tremblotait.
Ainsi, elle s’était décidée à quitter son aubergiste. Pourquoi maintenant ? En la regardant, Lance s’étonna de ne ressentir aucune frustration, aucun agacement alors qu’il l’attendait depuis plusieurs jours. Non, juste une impression de tristesse. Il commençait à mesurer ce qui avait dû être, pour elle, un déchirement. Après tout, lui aussi savait ce que c’était que d’abandonner sa vie sans vraiment l’avoir voulu …
Peut-être fallait-il l’arracher à ce sommeil qui la hantait ? Au moins, avec lui, elle aurait un semblant de réconfort.

Se laissant quelques minutes de répit, il se changea, enfilant pantalon et chemise secs puis sorti toutes les couvertures qu’il possédait.
Il s’approcha du lit, tâta encore une fois les draps, la chemise d’Elenor, ses cheveux. Tous imbibés d’eau.
Puisqu’il le fallait …
Il hésita. Devait-il la réveiller brusquement, par de petites claques sur les joues ? L’embrasser, comme il l’avait fait tant de fois pour une autre ? En définitive, il choisit simplement de lui secouer le bras.
Elle ouvrit des yeux humides et sembla quelque peu désorientée.

« Alors, belle endormie ? On se permet de tremper les draps d’un autre ? ! »

Il lui sourit, n’attendant pas vraiment de réponse.
Il la prit doucement dans ses bras, sans lui laisser le temps de se débattre. Elle semblait presque fragile, si légère … Il la porta jusqu’à l’une des chaises posées devant le feu, lui rapporta une chemise sèche –quelle chance pour elle qu’il en ait racheté-, l’aida à l’enfiler, posant à peine le regard sur son corps dénudé. Elle ferait ce qu’elle voulait de ses sous-vêtements, il n’avait pas pour habitude de dévêtir une femme sans avoir d’idées derrière la tête. Il l’enveloppa dans une couverture et la laissa là, prostrée, avant de s’occuper du sac qu’elle avait emporté.
Bientôt, toutes les pièces furent envahies de linge humide et Lance eut l’étrange impression de s’être transformé en domestique …
Foutue pluie !
Mais il se vengerait d’Elenor plus tard … Après tout, ils allaient devoir se partager les tâches ménagères …

Quand il n’eut plus rien d’autre à faire, il s’avança timidement vers elle, redoutant sa réaction. Fallait-il lui parler ? La laisser tranquille ?
Rapprochant sa chaise de la sienne, il posa sa main sur son épaule, un regard plus inquiet qu’inquisiteur posé sur elle. Sa main suivit la courbe de son bras, fouilla parmi les couvertures, trouva sa main, la serra.
Il ne trouvait aucun mot à dire. Juste lui signifier, par ce simple geste, qu’il était là.


Dernière édition par Elandor Arlanii le Jeu 9 Sep - 5:48, édité 1 fois
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Elenor Jagharii
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MessageSujet: Re: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptyLun 6 Sep - 17:00

      Quelques longues minutes de sommeil de plus. Des minutes qui retraçaient, fantasmaient, romançaient des mois de relation. Des minutes qui sublimaient une histoire qui pourrait être commune à beaucoup de monde, pourtant. Elenor avait rencontré un homme qui l’avait laissée indifférente. Puis son histoire l’avait intriguée, touchée, et elle s’était laissé prendre au piège. Incongru, déplacé, elle n’avait pourtant jamais été si entière que dans le lit de Sieben. Jamais si soulagée, détendue qu’à l’aube, alors qu’elle grommelait des insultes à l’attention de sa gueule de bois.
      Puis elle avait vécu sous son toit et ce qui s’était fait habitudes se transforma tout naturellement en routine.

      Une routine étrange, bizarre, inconfortable parfois mais qui rapidement se fait indispensable. Jusqu’au jour où on la menace, jusqu’au jour où l’on se bat pour elle. Jusqu’au jour où dans le sang des rues des bas quartiers un lien doit se rompre.

      Et pourtant, c’est si… facile.

      Elle est partie, elle a couru sous la pluie. Quelques mots, quelques instants et ce qui a été n’est plus. Elenor et Sieben ne sont plus. Seuls demeurent un informateur et Sipik. Sipik redoutable bras armé. Sipik qui a laissé sous la pluie couler des larmes paniquées… Et pourtant, elle a marché jusque là, et aujourd’hui elle demande l’asile à un homme…

      Rupture.




    Le contact sur son bras était chaud. Elle se laissa éveiller sans lutter. De même la main sur son front pour écarter ses cheveux agglutinés en mèches humides autour de son visage. Elle riva au regard adouci de Lan des yeux troubles, empâtés par le sommeil et les pleurs qui l’avaient précédé. Lèvres scellées, elle saisit les mots puis soupira. Elle s’était attendue à des claques, à des réflexions… Elle s’était attendue à ce qu’il la chasse de son lit sans le ménagement qu’il avait instauré entre eux depuis leurs retrouvailles. Ce n’était pas Sieben, qui l’éveillait d’un baiser, faisant fi des insultes et des jurons.

    Pourtant, elle était soulagée que Lan la réveille. Un retour à la réalité, assorti de la promesse d’avancer. A son côté ? Elle lui rendit faiblement son sourire, avant de se cabrer en se sentant attirée. Il la prenait dans ses bras. C’était inhabituel, c’était étrange et déplacé… Comme les balbutiements de sa relation avec Sieben. Peut-être était-ce là le destin d’Elenor ? Evoluer dans l’incongru et l’inattendu. Une fois dans ses bras, pourtant, il ne lui laissa guère le loisir de se débattre, et elle était toujours trop faible et trop épuisée pour lui résister.
    Dans la chambre, venue couper l’odeur humide de Lan, elle perçut celle du feu qu’il avait allumé avant d’en sentir la chaleur. Les yeux fermés sur un soupir, elle appuya son front à son épaule, ses cheveux regroupés en mèches toujours humides dans sa nuque.

    Le salon, la chaise et le feu qui l’hypnotisait littéralement. Floue d’avoir trop pleuré, elle se laissa faire sans combattre. La chemise humide quitta son dos, sa poitrine, ses bras sans qu’elle n’oppose la moindre résistance. Tatouages offerts au regard de Lan, elle ne s’en inquiétait pas. Le poisson, énorme et coloré dans son dos, le dragon sur son bras, ces symboles noirs imbriqués les uns dans les autres… Loup hurlant sur sa poitrine, lion Jagharii sur son ventre… Son corps était un tableau las et passif sous les mains de son ami. Plus immobile, plus passif qu'il ne l'avait jamais été. Bientôt recouvert, elle n’avait qu’à peine bougé, et ne changea d’attitude que pour crisper dans les couvertures qui vinrent l’envelopper des mains farouches. La chaleur était la bienvenue… Pour sécher, et pour offrir à son âme un semblant de réconfort. Elle n’avait plus de Volonté, elle n’avait plus rien pour tenir d’autre que cette chaise et l’étau moelleux et chaud de l’étoffe. Doucement, elle regroupa ses jambes nues contre sa poitrine, les entoura de ses bras et se laissa aller à observer l’âtre tandis qu’il s’activait dans son dos. Elle l’entendit dans la chambre, et devina qu’il défaisait son sac de jute. En principe, elle aurait du se lever et l’aider mais… Elle n’en fit rien. La chaleur sur ses tibias et sur son visage monopolisait toutes ses fonctions. Un spectacle dont elle aurait été bien en peine de se défaire. Essentiel, incontournable. Elle buvait littéralement la chaleur, sentant alors ses membres, petit à petit, perdre de leur lourdeur. Elle avait sommeil, et besoin d’encore un peu de repos mais… Mais Lan était là…

    Lan… il était où ? Elle se tourna finalement en l’entendant approcher et lui adressa un sourire hésitant tandis qu’il s’installait à son côté. La main sur son épaule lui arracha un frisson, son regard également. Il avait l’air inquiet… pourtant, il ne fallait pas. Il ne fallait pas, elle avait choisi de quitter Sieben pour vivre à ses côtés. Choisi de quitter le confort d’une vie au Ceste pour l’illégalité, la clandestinité de celle qu’il avait à lui offrir. S’il acceptait de vivre à ses côtés, alors il ne devait pas s’inquiéter. Il l’avait dit, Elenor était une femme forte, qui se relèverait de tout. De tout.

    Et puis, aujourd’hui Lan était en vie, et le soulagement qu’elle avait ressentit était à la hauteur de la confiance qu’elle lui accordait à présent. Regards et silences ponctués par le crépitement soyeux du feu, elle suivit d’un œil la main qui descendait pour fourrager sous les couvertures et trouver la sienne. A nouveau, un frisson. Cette chaleur là, elle n’y était pas habituée. Et pourtant elle l’acceptait volontiers. Ses doigts, sitôt enserrés par la main de Lan, s’y crispèrent et la retinrent, comme en otage. Elle tira légèrement dessus, un contact intime et discret. Ils étaient seuls, et pourtant c’était comme si elle le cachait. Comme si, à leur vue, elle reculerait. Sa main ancrée à celle de l’ami, elle se laissa aller doucement vers lui, sa tempe trouvant son épaule.

    « J’ai laissé Sieben. J’ai fui. »

    La voix enrouée, l’aveu lui étreignit la gorge. Tournant légèrement son visage pour l’enfouir dans l’épaule de Lan, mains toujours scellées, elle ferma les yeux, fronça les sourcils.

    « Je n’avais nulle autre abri que le tien. »

    Alors je suis venue. Je suis venue vivre à ton côté. J’ai quitté mon aubergiste pour toi, tu es content ?

    Il y avait de l’amertume dans les pensées d’Elenor. Pas nécessairement dirigées contre Lan, mais surtout contre elle.

    Parce qu’au fond, elle avait peut-être voulu ça. Elle n’attendait que l’occasion de partir du Ceste, de quitter l’immobilisme dans lequel elle s’enlisait. Et lui représentait la meilleure opportunité qu’elle ait jamais eue. Mais pourquoi ? Ce n’était pas uniquement affaire de dissidence. Lan n’accueillait pas une dissidente, ce soir. En quoi alors pouvait-il représenter une réelle évolution ? Il était l’ami qui n’avait jamais pu être complet, car engoncé dans une retenue tacite. Le simple fait que la proximité qui s’était instaurée à leurs retrouvailles ait pu y changer quelque chose suffisait-il à lui laisser entrevoir un lendemain plus souriant ? Pourtant, toujours aux prises d’une douleur indicible, elle sentait poindre en elle un sentiment de soulagement, ténu. Elle n’était pas seule.

    Le murmure sourd de la pluie lui parvenait de dehors. Avec lui, la caresse moelleuse du feu sur sa joue, celle, plus rêche, et plus essentielle de sa main serrée. Il avait une odeur différente, une présence différente.

    Elle avait envie de pleurer, mais elle n’en fit rien, lèvres scellées.
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MessageSujet: Re: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptySam 11 Sep - 5:41

Lance fixait le feu d’un œil éteint. Pas question de garder son regard posé sur elle, pas question de la couver. Il y avait comme une gêne palpable qui l’enchaînait. Il sentit sa tête se poser sur son épaule, se retint de tressaillir. La prendre dans ses bras avait été si facile l’autre jour … Mais à présent ? Il se sentait guindé, et la main d’Elenor le brûlait. Ce contact, si agréable, si doux, si sincère … Mais cette nouvelle proximité, qu’allaient-ils en faire ? Elle allait vivre ici. Il y avait un seul lit, trois pièces. Ils allaient s’entre-déchirer … Ou devenir amants.
L’idée incongrue avait jaillie, brutale, et refusait de s’effacer. Il revoyait son corps, à demi-nu, les innombrables tatouages dont on avait envie de suivre les contours du bout des doigts. C’était ce qu’il faisait chaque soir, son aubergiste, dans l’antre sécurisant de leur chambre ? Ou bien, avec le temps, n’y avait-il plus prêté attention ?

Elle parla, la gorge de l’Arlanii se serra. Il se sentait incapable de répondre.
Au fond de ses prunelles, les flammes valsaient de plus belle, ballet hypnotique. Loin de l’apaiser, cette danse entraînait ses pensées avec elle, les faisant tournoyer, voler en l’air puis s’éteindre ou, au contraire, revenir au bois pour brûler de plus belle.

Elle avait quitté son homme, son amant, son amour sans doute. Que peut-on répondre à ça ? Elandor n’avait aucune envie de briser le court silence qui s’instaura ensuite. L’idée le laisser de marbre extérieurement, comme pour mieux cacher le feu qui le dévorait. Que ressentait-il réellement ? Il avait Elenor près de lui, c’était une aubaine pour la Dissidence et sans doute aussi pour Lance. Mais Elandor … Qu’en pensait-il ? Elle avait été son amie la plus proche ou, du moins, la plus sincère. Et elle l’était toujours … Mais pouvait-il endosser cette responsabilité qu’il prenait en l’accueillant ? Celle de la guérir, d’être là pour elle ? A quel moment leur relation allait-elle mettre en péril la Dissidence ? Jamais ?! Ils avaient souvent travaillé ensemble, ils savaient être efficace mais vivre à deux … Elandor songea à toutes les autres planques où il pouvait se réfugier la nuit. Mais c’était l’abandonner, elle avait besoin de lui …

« Je n’avais nulle autre abri que le tien. »

Il n’était pas son Sieben. Il ne serait sans doute pas la hauteur de la tâche ; il n’en avait pas la patiente … Ils s’engueuleraient, c’était une évidence. Ils se hurleraient dessus, ne seraient pas d’accord.
Mais peut-être cela lui permettrait-il de se sentir en vie, enfin ?
Car il pourrait l’entraîner, il pourrait lui parler, des craintes qu’il n’osait même pas aborder avec Eléni, de son passé, des changements qui s’étaient opérés en lui. D’Elle.
A ce rythme-là, ils deviendraient deux âmes en peine pleurant sur leurs amours passées.
Impossible …
Il leur fallait rebondir, aller de l’avant, se hisser vers le haut !

« Tu as bien fait de venir. »
Je crois …

Il se sentait légèrement solennel, cela l’agaçait. Ne penser à rien, se laisser aller. Lance essaya de décontracter les muscles de son dos et de ses épaules tout en bougeant le moins possible pour ne pas déranger celle qui s’était appuyée sur lui.
Se laisser aller …
Il posa sa tête sur celle d’Elenor.
Avoir de la compagnie n’était a priori pas pour lui déplaire mais sa compagne était définitivement femme et même si elle n’avait de réellement féminin que la voix et les formes, cela suffisait à rendre la situation plus complexe que Lance ne l’aurait voulu. Accueillir un ami ou même un Dissident inconnu n’aurait pas posé de problème puisqu’il n’aurait pas eu à changer ses habitudes. Mais une femme … Il allait falloir améliorer la propreté de la bicoque, la rendre agréable alors qu’elle était seulement vivable … Il allait falloir se faire plus discret dans ses attitudes masculines, respecter son intimité …
Mais à quoi pensait-il donc ? ! C’était ELENOR ! Elle avait été soldat, elle connaissait tout ça ! Elle savait vivre avec des hommes, elle saurait vivre avec lui. Il allait juste falloir du temps pour qu’ils prennent leurs marques et puis, tout irait bien.

Lance s’agaçait. D’où lui venait cette capacité nouvelle à tergiverser, à se poser milles questions ? Elandor était un fonceur. Certes, cela ne l’avait pas mené bien loin mais, au moins, il avait l’esprit tranquille.
Retrouver cette force d’antan, l’amadouer, la transformer jusqu’à en faire un atout de taille. Lance avait confiance en lui et en ses capacités. Mais les doutes se faisaient plus présents.
La question revenait, lancinante. A quel point avait-il changé ?

Elenor bougea légèrement, ramenant ses pensées vers le présent.
Et elle ? Après tout ce qu’elle avait vécu, comment avait-elle changé ? Etait-elle devenue comme toutes les femmes dans la tourmente, avide de tout geste, de toute tendresse à recevoir ?

Leurs entraînements lui manquaient. Leurs insultes aussi. Sale paon prétentieux, petite garce … Il voulait son piquant, sa malice, pour mieux retrouver leurs joutes verbales.
C’était sans doute égoïste mais il n’avait aucune envie de passer de longues soirées d’hiver, collés l’un contre l’autre devant l’âtre, à regarder le feu décliner et en regrettant le passé qui s’éteignait avec lui. Alors il ne parlerait de rien. Ni de Bellone, ni de l’aubergiste, ni du passé, ni du futur. Juste le présent, rassurant et entier. Si elle abordait le sujet, il serait là pour elle, il essaierait … Mais il n’était pas encore prêt à voir en lui cet homme consolateur et mélancolique.

« Demain, on commence l’entraînement. »
Demain, on se concentre sur le corps plutôt que sur l’esprit. On oublie nos peines et on va de l’avant.
Je ne nous laisserai pas tomber au fond du gouffre.


Comme d’habitude, il pensait à lui, seulement à lui et à ce qu’il ne se sentait pas capable de supporter.
Mais au fond, cela servait aussi la Dissidence. Un chef et son bras armé, volontaires et sûrs d’eux, plutôt que rongés par leur passé et des amours déçues.
La Dissidence … Qu’il avait faillit oublier ses derniers temps.

« Je ne peux pas me permettre de vivre sur le passé. »
Sa voix était un murmure, presque une excuse. Elle se fit plus ferme.
« La Dissidence a besoin que j’aille de l’avant. Pas que je me retourne sans cesse en arrière. »
Il voulait une règle tacite, un accord. Elenor faisait partie de son passé, il ne la voulait pas à ses côtés. Il voulait Sipik, celle qui servirait sa vengeance aussi fidèlement qu’elle l’avait servi, lui.
Avait-elle seulement conscience qu’une fois de plus, il n’agissait, au fond, que pour lui ? Que pour sentir, enfin, le goût puissant de la victoire ?
Peut-être Lance changeait-il malgré lui, peut-être s’ouvrait-il au monde, peut-être même réussissait-il à émouvoir un peu l’ancien Noble qui sommeillait. Mais Elandor, lui, voulait seulement prendre sa revanche et retrouver son pouvoir. Une fois que ce serait fait, il pourrait réaliser les rêves de grandeur qu’il avait pour les Ilédors …
Mais en attendant, ce n’était pas ses ambitions qui le soutenaient, c’était juste la colère et la haine …

Jusqu’où es-tu prête à partager ma haine ?
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Elenor Jagharii
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MessageSujet: Re: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptyDim 12 Sep - 8:08

    La tête contre son épaule, elle s’était laissé aller. Seule sa main demeurait crispée, quand tout le reste de son corps n’était plus que mollesse, épuisement. Elle sentait son odeur, celle de la pluie et celle du feu de bois… Elle aurait pu rester ici longtemps. Cuver son malheur comme l’on cuve du vin, puis se relever et, doucement, revivre. En douceur. Le lendemain, elle serait debout à l’aube. Le lendemain, elle était prête à reprendre la lutte. Elle lui préparerait un petit déjeuner frugal, pour se faire pardonner cette intrusion.

    Mais demain.

    Ce soir, Elenor n’était rien de plus qu’un amas transi de peine et de désillusions.

    Elle avait combattu, pour Sieben. Elle avait presque tué, peut-être même avait-elle ôté la vie, si les employés de Xander n’en avaient pas réchappé… Elle avait lutté, hurlé, pleuré, déchiré sa chair et celle d’autrui pour se raccrocher à cette relation qui lui avait été salutaire… Et aujourd’hui, peut-être même sans s’en rendre compte, elle avait saccagé tout cela d’un regard. Elle lui avait tacitement dit adieu. Elle l’avait abandonné, pour Lan.

    Pour Lan ?

    Il parla, lui dit qu’elle avait bien fait de venir. La voix de Lan grogna contre tout son être, tant elle avait été vidée de ses forces. Son corps ne semblait plus capable que de donner aux mots un écho. Une résonnance. Réceptionner, traiter, rendre l’information… Puis la laisser aller dans le vide. Des mots, jetés au feu par son esprit embrumé. Doucement, pourtant, elle ouvrit les yeux et à son tour se laissa porter par la danse sensuelle des flammes. La tranquillité qui les enveloppait était étrange. Pour eux, elle était surnaturelle, allait à l’encontre de tout ce qu’ils savaient l’un de l’autre, de tout ce qu’ils s’étaient dit. Une tranquillité, une paix partagée qui ne pouvait être tout à fait la leur. Et elle le savait.
    La main de Lan perdait en fermeté, son cœur battait vite, son corps se mouvait doucement. Quitter sa crispation était difficile, pour lui, et il en était réduit à se couler contre elle comme un serpent. Désireux de ne pas être démasqué. En vain.

    Pourtant, il posa sa tête sur celle d’Elenor, l’enveloppa un peu plus. Elle ne sut pas si elle appréciait ou non. Toute brute qu’elle était, Elenor était dotée d’une certaine empathie, en particulier pour ce qui était du langage du corps, qu’elle connaissait mieux que quiconque. Et en l’enveloppant ainsi, il ne l’enveloppait que de sa tension qu’il refoulait, de ses doutes, des aléas de sa réflexion. Elle déglutit péniblement, les mots glissés par l’ami comme en échos à ses sensations. Briser l’instant, renier la douceur.

    Entraînement, souffrances, insultes. Elle le savait, elle retrouverait ainsi une partie de son énergie. Il avait raison. Raison d’ignorer le changement, raison de réfuter le sens potentiel de sa venue. Ils n’avaient toujours été bons que dans la bataille et les chamailleries… Toute essentielle qu’elle pourrait devenir, la tendresse ne serait jamais entre eux qu’une étrangère. Séduisante, mais incongrue.

    Effrayante, surtout.

    Terrifiante.

    Il ne voulait pas vivre dans le passé.

    Elle se raidit, et doucement ses doigts quittèrent la main de Lan. Dépit, dégoût, déception. Pas envers lui, envers elle… Sa lâcheté la dégoûtait. La facilité avec laquelle elle obéissait. Avec laquelle elle réfutait ses besoins au profit de l’habitude. Car qu’est-ce qui pouvait les effrayer, là-dedans, si ce n’était la nouveauté et l’inconnu ? Il ne voulait pas vivre dans le passé ? Cette complicité étrange, ces contacts… Tout cela était nouveau et n’était pas passé. Ce qui était passé, c’était les insultes, les rires, les amants. C’était son Sieben, et sa Bellone.

    Mais il était lâche, et il avait besoin d’elle. Toute emportée qu’elle était, Elenor n’était guère stupide. Cela tombait plutôt bien, elle avait décidé d’être lâche aussi. Elle se redressa légèrement, l’obligeant à ôter sa tête sans le brusquer. Ses yeux noirs se plantèrent dans ceux de Lan, une lueur couvant allègrement en leur sein. Sans les lâcher, elle repoussa les doigts de Lan, les fit sortir de l’étoffe pour retrouver une intime solitude. A regret, visiblement. Car elle se mordit les lèvres, et car sitôt la peau séparée de celle de Lan, une brûlure parcourut ses yeux. Fugace, elle était trop épuisée pour cacher cela.

    « Demain. Lorsque j’aurais dormi, un peu… J’ai couru toute cette foutue journée sous la pluie. » Elle avait perdu sin habileté, mais elle avait toujours ses jambes : puissantes, explosives, endurantes.

    Elle cilla se défaisant, après la peau, du regard de l’Al’Faret. Il était le chef de la Dissidence, son chef… Un homme au destin trop grand pour elle… Un homme qu’elle ne pourrait plus, au mieux, que servir. Il y avait entre Lan et elle un trouble qui ne s’apaiserait que dans l’opposition et les chamailleries… Alors tout ce qui lui restait, c’était ce combat qu’elle s’était juré d’honorer.

    « Tu ne te retourneras pas sur moi, dans ce cas. » Les mots étranglés peinaient à sortir de sa gorge. Soudain privée de tout appui, elle oscilla doucement. « Je m’en remettrais. Seule s’il le faut. Je ne t’encombrerais pas, je t’ai promis de t’aider et je le ferais. » Quoi qu’il m’en coûte.

    Et alors, qu’avait-elle cru… Que ce simulacre de tendresse aurait pu un seul instant lui faire oublier Sieben ? Elle avait provoqué sa propre détresse, c’était à elle d’assumer, aujourd’hui. Et se bercer d’illusions ne les aiderait pas. Surtout pas. Leur relation devait impérativement retrouver la normalité, et là, ils évolueraient.

    A mesure que la pensée se formulait dans son crâne, elle se rendait compte de la chimère à laquelle elle se raccrochait. Le mal était fait, mais elle ferait avec. Après tout, elle n’était plus à une déception près, et elle vivrait plus facilement avec celle-là qu’avec les autres. Elle apprendrait la solitude, et retrouverait avec ce qu’il restait de ce petit noble enfariné le sens des convenances.

    Pour ce qui était du reste, elle l’enfouirait plus profond, jusqu’à n’en plus pouvoir.
    « Je ne cesserais de me battre que lorsque tu auras tout obtenu. » Les mots comme un murmure, et dans son souffle une confidence : quand bien même elle se reprenait, que deviendrait-elle, alors que ce combat là aurait perdu tout son sens ?
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MessageSujet: Re: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptyJeu 16 Sep - 11:36

Elandor sentit les doigts fins quitter les siens. Le corps d’Elenor sembla se tendre sous les couvertures et il se demanda comment elle avait accueilli ses paroles.
Il se sentait repoussé mais trouva cette idée indigne de leur amitié. C’était sans doute mieux ainsi.
Elle se dégagea de lui. C’était toujours étrange, ce moment où deux corps collés l’un à l’autre se séparaient. Comment savoir qui serait le premier, qui devait l’être ? Que voulait-elle lui dire par ce rejet ? Je ne suis pas d’accord avec toi, tes paroles m’ont choqué, moi, j’ai besoin de te parler ? J’ai besoin de me secouer ? Ou, tout simplement, l’appel de ses muscles raidis et douloureux …
Elle posa son regard dans le sien, il le soutient, quelques instants. Puis il fixa une mèche brune qui s’échappait, un point au-delà de son épaule. Elle repoussa davantage sa main, il revint à ses yeux, sans vraiment savoir ce qu’il devait y lire. Elle était épuisée, elle était lasse. Mais alors qu’avait-il vu ? Un regret, une excuse ?
Il se décolla tout à fait d’elle, le froid engourdissant ce côté de lui qui s’était abreuvé de sa chaleur. Ou bien était-ce juste le sentiment qu’il aurait désiré rester encore un peu auprès d’elle ? Cette proximité chaleureuse, tendre. Mais pas tout à fait rassurante … Parce qu’inconnue, et dangereuse.

Il l’écouta parler, ouvrit la bouche pour répondre, ne trouva aucun mot. Elle ne le regardait plus alors qu’il avait à nouveau posé son regard sur ses traits, tentant de déchiffrer la souffrance, l’appel à l’aide. Mais seule la fatigue l’emportait, la laissant vidée de toutes ses forces.
Il ne se sentait pas très fier de lui.
Le ton était solennel mais la voix étranglée. Lance refusa de croire que c’était dû à autre chose qu’à la fatigue … Et pourtant, elle était en train de renoncer. Renoncer à tout ce qui avait trait à son passé et même au fait d’en parler. Il ne répondit pas. Ses paroles auraient été vaines ; il ne pouvait revenir sur ce qu’il avait dit et pourtant, il avait le sentiment que ç’aurait été la seule position capable de la soulager un peu. Lui dire que tout s’arrangerait, qu’il la soutiendrait, qu’elle pourrait évoquer sa peine. Il ne se sentait pas capable de prononcer ces mots-là.

La frustration le gagna, mordante, emportée. Ne pas savoir quoi dire, ne pas savoir quoi faire.
Tout était si simple avant ! Quand ils ne partageaient que les chamailleries, les combats et les comptes-rendus de coucherie. Qu’est-ce qui lui avait pris de faire entrer de la tendresse là-dedans ?
La solitude, l’empathie ? Il aurait préféré de loin avoir fait ça pour elle plutôt que pour lui. Mais il n’arrivait pas à en être tout à fait convaincu.
Et à présent qu’elle en avait réellement besoin, il ne pouvait lui offrir que le contact physique distant de l’obligation. Mieux valait s’abstenir …

Il comprenait sa peine mais ne parvenait pas réellement à en mesurer l’ampleur. Il ne connaissait pas Sieben, il avait seulement suivi sa vie de loin, sans jamais assister à leur intimité. Mais il restait persuadé qu’elle était mieux entre ses mains qu’entre celles de cet autre homme au destin bien ordinaire …

Tu t’en remettras seule ?
L’aveu était comme un poignard : il n’était pas en mesure de la soutenir. Parce qu’il refusait de le faire ? Parce qu’il en était incapable ? Les deux étaient sûrement mêlé. Il y avait quelque chose de l’ordre de l’abandon sans son attitude et il ne parvenait pas réellement à comprendre pourquoi. Etait-il jaloux ? Etait-il dépassé ? Ou seulement insensible ?
A nouveau les mots lui manquèrent et, pour la première fois de la conversation, il se trouva lâche. De ne rien oser, de ne pas essayer alors qu’elle était si importante à son cœur.
Il déglutit, essayant de faire descendre la boule qui lui bloquait la gorge.
Elle renonçait. A quoi ? Son amitié, son réconfort ?
L’agacement commençait à s’amplifier, contre lui-même.

« Je ne cesserais de me battre que lorsque tu auras tout obtenu. »

Lorsque j’aurai tout obtenu ? Tu te bats pour moi ? Pour ma haine, ma vengeance ? !
Il étouffa un ricanement cynique dans une grimace. Il la sacrifiait, sciemment. Comme il sacrifiait tous les Dissidents. Mais son but n’en valait-il pas la peine ? Même elle ? Même elle.
Il ne pouvait plus revenir en arrière.

La colère monta. Pure, dévastatrice. Contre lui mais surtout, après ces quelques paroles, contre elle. Elle occultait ses autres pensées, lui permettant d’éviter une douloureuse remise en questions. C’était tellement plus facile de la reporter sur les autres que de se reprocher son propre comportement.
Tu es stupide !
Tu me suis, sans réfléchir, tu me soutiens.
Et là, tu m’en veux … Parce que je ne suis pas à la hauteur, parce que je suis lâche, parce que je vous utilise tous, parce que je ne peux et ne veux rien t’offrir en échange.


Et elle avait tellement raison de lui en vouloir …
Respirer calmement, ne rien dire. L’adolescent colérique remontait parfois en lui mais il avait appris à le maîtriser, à le faire taire. Les remarques acerbes pleuvaient au fond de son crâne mais une seconde voix lui disait qu’il avait tort, que les autres n’y étaient pour rien, qu’il était seulement énervé parce que le monde ne tournait pas comme il le désirait.
Peut-être même que le fond du problème, c’était simplement qu’il se méprisait ?

Il s’agita sur son siège, se leva, sorti deux chopes, quelques fruits et un peu de pain puis les déposa sur la table.
Il n’avait pas faim, apparemment elle non plus. Il tourna quelques instants dans la pièce, revint s’asseoir, fit un geste pour lui reprendre la main mais abandonna l’idée de fouiller parmi les couvertures.

Il ne savait plus que penser. Il lui en voulait d’éviter son contact.
Il n’était pas digne de la consoler ? Il n’en était pas capable ? Toujours les mêmes phrases.
Il lui en voulait de ne pas réussir à lui rendre le sourire et de ne pas pouvoir la guérir.
Mais que pouvait-il lui proposer d’autre ? Sa vie était déjà trop compliquée … A part un entraînement sérieux qui lui redonnerait confiance en elle et un rôle important dans la Dissidence, il n’avait rien à lui offrir.
Et ton amitié, Elandor ? Elle ne la mérite pas ?
Si, bien sûr … Mais comment la lui offrir, comment la lui montrer ?
Lance était déçu, frustré.
La serrer dans ses bras était à nouveau devenu incongru et aucun mot réconfortant ne semblait vouloir franchir la barrière de ses lèvres.
Et pire encore, il se rendait compte qu’il lui en voulait de s’abandonner si facilement à ses préférences, à lui. Il lui en voulait de tout prendre sur elle si facilement. Mais ne lui avait-il pas implicitement interdit de lui en parler ?
Les flammes lui brûlaient les yeux et leur chaleur devenait plus insupportable qu’agréable.

Son corps était tendu, les muscles de ses épaules et de son dos lui faisait mal. Il se mit à frotter la légère cicatrice au coin de son œil, rare habitude encore inconnue pour Elenor.

Il se racla la gorge.
« Tu as vécu des choses très dures, moi aussi. Mais je ne veux pas nous voir comme ça en permanence, mélancoliques, vidés, le regard fixé sur un instant heureux très loin derrière nous. »
Il s’arrêta et soupira, dépité par son discours absurde puis secoua légèrement la tête, reprit.
« Si tu as envie de parler, je serai là pour t’écouter, si tu as besoin de craquer, je comprendrai. Mais je ne veux pas nous voir comme ça. C’est une soirée à part, je ne me sens pas capable de te donner beaucoup plus. »

Il souffla lentement par la bouche, comme pour extérioriser l’horreur de ses paroles. Comment prononcer de telles choses alors qu’il aurait tellement voulu pouvoir faire le contraire ?
Il se répétait, tournait autour du pot sans vraiment trouver les mots pour être sincère. Alors se taire ? Non, pas devant elle, pas au risque qu’elle comprenne de travers. Et pourtant, sa véritable pensée n’était guère reluisante …
La pousser à bout, la faire réagir … C’était stupide d’essayer cela ce soir. Et pourtant, il faudrait bien qu’elle retrouve un peu de son mordant d’autrefois. Qu’elle pense à elle, qu’elle ne vive pas que pour son combat. Ou que pour lui …

« Ta volonté est la lance, la Dissidence est son fer. Nous n’avons pas le choix, nous sommes la Dissidence ! L’Al’Faret ne peut pas se permettre d’être un fer émoussé ou rouillé … »
Se cacher derrière ses responsabilités, faire comme si ça ne dépendait pas de lui …
Quelle lâcheté.
Mais ce soir, la facilité avait un goût doux-amer et était à portée de main.

Lance se leva à nouveau, s’arrêta près d’elle, ne lui laissant voir que son profil dont les traits s’effaçaient maintenant qu’il tournait le dos au feu. Il voulut poser sa main sur son épaule, l’approcha, la frôla, et renonça. Il fixait le sol, incapable à nouveau de la regarder.

« Je suis désolé de ne pas être l’ami que tu cherches. »

Et pourtant … En était-il vraiment désolé ? Il avait choisi. Entre l’empathie et l’indifférence, il avait pris la voie de l’indifférence.
Combien de temps arriverait-il à s’y tenir ?

Sur le pas de la porte donnant à la chambre, il s’arrêta. Les seules couvertures qu’il possédait se trouvaient sur le dos d’Elenor.

« Je vais dormir dans le salon, il vaut mieux que tu prennes le lit. »
A défaut de la soutenir, il lui assurerait une qualité de vie aussi douillette qu’il pourrait se le permettre. Façon pathétique de tenter de se racheter …
Il jeta un coup d’œil aux chaises droites près de l’âtre et songea qu’il faudrait qu’il se procure un fauteuil plus confortable pour passer ses nuits.
A cet instant, rien ne lui semblait plus incongru que l’idée de se coucher près d’Elenor.
Après l’avoir abandonnée, il ne se sentait pas capable de sentir son corps chaud si proche du sien …
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MessageSujet: Re: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptyDim 26 Sep - 12:48

Elle avait sentit le malaise, la tension qui s’était tissée entre eux lorsqu’elle l’avait repoussé. Elle avait senti son regard sur elle quand elle évitait le sien. Epiée, analysée… Elle était trop faible pour contenir ses émotions, pour donner le change, et derrière l’ouragan de fatigue qui éteignait son regard, il y avait une peine, une frustration plus qu’explicite. Elle ne chercha à pas savoir ce qu’il en était pour lui. C’était trop difficile, trop compliqué. Et si elle y avait lu le même manque, le même dépit ? Et si elle avait eu l’impression que comme elle, il regrettait que ce contact chaud et humain n’ait été rompu… ? Qu’aurait-elle fait ? Elenor était une femme de chair, une femme qui n’avait jamais eu qu’une considération minime pour les bonnes mœurs, et qui privilégiait volontiers le plaisir et le désir par rapport à toute forme de bienséance.

Elle aurait tendu une main épuisée en sa direction, elle aurait effleuré ce visage si familier, et si étranger du bout des doigts. Elle aurait peut-être laissé le reste de l’exploration à ses lèvres, qui auraient volontiers découvert ses traits en un contact plus intime, plus doux. Elle aurait pu apprécier son odeur, cette chaleur qu’elle avait quittée à regret.

Ou bien, il se serait braqué, l’aurait repoussée et rien de tout cela n’aurait été.

Pour l’une comme pour l’autre de ces solutions, quelque chose aurait été brisé, et comme lui, elle en avait peur.

Elle fut cependant piqué par l’expression crispée qui accueillait ses mots. Elle faisait pourtant ce que l’Al’Faret attendait de Sipik. Elle lui offrait pourtant sur un plateau d’argent une solution, qui remettait à plus tard les questions, les hésitations, les erreurs. La considérer comme une arme, comme un outil. Le reste était son affaire, et Elenor saurait se débrouiller seule. Elle avait enduré beaucoup de choses, et cette rupture était loin d’être la pire de toute. Bien sur, elle en souffrait terriblement, et sans doute l’oreiller de Lan accueillerait-il quelques larmes silencieuses, à la faveur de la nuit.

Il l’arracha à ses pensées en se levant, si bien qu’elle en sursauta de surprise. Elle ne se retourna pas tandis qu’il s’agitait dans son dos. Elle l’entendit fouiller, elle l’entendit poser sur la table des objets. Le son la dérangeait, la ramenait à une réalité douloureuse. Elle ferma les yeux, fronça les sourcils. Sa mâchoire était plus dure que l’acier, sa crispation manifeste. Creusée par la force du geste. Il allait lui falloir des efforts considérables pour desserrer les dents… Si elle les desserrait, s’entend. Les yeux toujours clos sur son expression douloureuse, elle ne se rendit compte de son retour qu’une fois installé, et releva vers lui un regard brûlant. Ses dents n’étant pas les seuls à grincer, elle demeura figée dans son armure de laine. Elle saisit le geste qu’il esquissa, puis son abandon devant les couvertures. Elle s’en voulut, regretta, puis se morigéna intérieurement sans attendre. Elle avait installé cette distance. Elle avait fait en sorte qu’il la laisse aller, elle avait fait en sorte de ne plus le sentir si crispé et hésitant contre elle.

Cette chaleur lui faisait envie, mais elle n’en voulait pas un semblant, trop entière pour ne se livrer qu’à moitié.

Mais la chaleur avait disparu : son regard avait quelque chose de glacial. Une sorte de ressentiment… ? Il lui en voulait. Mais de quoi ? Si elle voyait très bien ce qu’elle-même pouvait se reprocher, elle avait néanmoins l’impression d’avoir fait pour lui tout ce qui était en son pouvoir. S’écarter, le libérer de cette tendresse qui le mettait mal à l’aise… Lui assurer un soutien inconditionnel, qui laissait entendre que toute compliquée que pouvait devenir leur relation, elle était là pour lui. Quelle ne lui demanderait rien.

A moins qu’il n’avait envie de toute autre chose. A moins que la découverte de tout un pan de l’autre qu’ils avaient ignoré jusque là lui brûlait les doigts, tout comme à elle ?

Puis il se racla la gorge, et il parla…

Ses yeux s’écarquillèrent doucement, avant de faire le chemin inverse pour se plisser. Ceux qui avaient droit à ce regard là, en général, ne s’en vantaient pas longtemps.

Des mots lâchés sans préméditation, comme la plus violente des gifles. Il avait peur. Il avait peur d’elle. Il avait peur de la suivre dans la mélancolie, peur de se voir affaibli par la tristesse d’Elenor.
Ce n’était plus seulement de la lâcheté.

Il avait changé, son visage plus vénérable de quelques rides, un charme plus viril à son service, une compréhension plus appréciable du monde dans lequel il évoluait… Et pourtant, sous le verni fripé de Lance, elle retrouvait au moment le moins propice Elandor. Elle retrouvait le paon enfariné et indifférent. Elle retrouvait celui qu’elle insultait copieusement, celui qu’elle prenait plaisir à rosser.

Et ça ne lui fit pas plaisir. Il n’avait pas choisi le meilleur moment pour cela. Entendit-il ses dents crisser, alors qu’il continuait, s’emportait, donnait de la voix comme un gosse qui sent venir l’engueulade ? A quoi bon hausser le ton, elle savait ce qu’était la dissidence. La croire capable d’oublier ça était faire insulte à son intelligence. Ses mots étaient déplacés, comme une excuse ridicule pour sa lâcheté. La froideur, elle la comprenait, la partageait. Cette pseudo-faiblesse digne des plus ridicules nobliaux, elle ne la pardonnait pas, jamais. Ses responsabilités n’avaient rien à voir avec ce qui l’inquiétait. Ce dont il avait peur, c’était d’elle, de cette chaleur, peut-être de l’envie qu’elle suscitait chez lui. Ce dont il avait peur, c’était de perdre le contrôle sur une relation qu’ils avaient scrupuleusement encadrée de limites jusque là. Et il choisissait la facilité.

Lorsqu’il se leva, elle s’autorisa un petit souffle, sec, comme celui d’un chat agacé. Un feulement silencieux qui ne trahissait que la détente soudaine de sa mâchoire crispée. Elle sentait l’électricité de ce contact, auprès de son épaule, et étouffa un ricanement lorsqu’il se ravisa. Ridicule, ridicule.

Il s’excusait. Elle releva vers lui ces mêmes yeux plissés. Elle avait du mal à le croire, mais mis ses doutes sur le compte de la fatigue et de l’énervement. Demain, demain tout irait mieux, les choses retrouveraient leur place. Les propos de Lan seraient enfouis dans une partie scellée de sa mémoire, avec tout ce que le destin avait voulu qu’elle mette derrière elle. Sa main, sa carrière, Sieben, cette soirée. Elenor était une femme forte, mais c’était essentiellement grâce à cette capacité d’affronter les choses en les éludant. S’il lui fallait vivre avec les petits drames de sa vie, elle s’effondrerait, tout bonnement.

Il se trouvait sur le pas de la porte, près, sans doute, à fuir un peu plus loin. Instaurer de la distance, nier. Elle soutint son regard avec une certaine gravité. Elle accepta le lit d’un hochement de tête, sans pour autant bouger.

Finalement, elle soupira, contraignant ses dents à se desserrer.

A son tour, elle se leva, ses longues jambes s’échappant de l’amas de couvertures. Amas qui, lorsqu’elle se tint droite, glissa en un drapé maladroit. Elle cilla, puis s’en débarrassa avec des gestes qu’elle maîtrisait mal. Elle était vidée. Il y en avait deux. Très bien.
Chemise et sous-vêtement pour toute protection contre le froid, elle frissonna. Le large col d’homme dénudait une bonne partie de sa gorge et de son épaule, dévoilant sous la teinte fade du tissu la myriades de teintes que l’on avait appliqué à sa chair. Pigments riches, vifs. A la lueur des flammes, ils se moiraient d’une certaine vie, un tableau ondulant, mordoré. Le loup qui se trouvait au-dessus de son sein, hurlant à la lune, imprimait à son cou comme une respiration lente, précise. Qui n’avait rien à voir avec le vague et la faiblesse de ses gestes, ni avec le feu ardent de ses yeux plissés. L’une des couvertures gagna dans un geste sec le dossier d’une chaise, trahissant l’agacement que les propos de Lan avaient suscité en elle. La chaise, sous le choc, manqua de peu de se renverser, mais elle n’en fit rien. Elle replia celle qu’elle gardait avec des gestes lents, pour la regrouper sur son bras droit. Tant pis pour son agilité. Elle s’approcha de lui, sans détours. Releva vers lui un masque presque impassible puis, de nouveau, sa mâchoire sembla se contracter.

L’instant d’après, Lan avait subit un revers rageur. Sa main gauche n’était peut-être plus propre à saisir le pommeau d’une épée, mais elle pouvait toujours lui infliger un soufflet retentissant. Ses yeux noirs braqués sur le profil qu’elle venait de frapper, elle prit une profonde inspiration, sa poitrine se soulevant sous l’étoffe.

« Ne m’insulte plus. »

Pas comme ça, pas de cette façon insidieuse, vile.

« Tu as beaucoup changé, Lan, et moi aussi. Mais je ne suis pas cet agneau à qui tu penses offrir le gîte. »

Ca valait pour la peur de se rouiller, pour la peur de sombrer avec elle. Elle se ressaisirait, et l’idée même qu’il puisse supposer que non la révoltait. Elle s’était relevée de bien pire. Respecter sa peine ne l’obligeait pas pour autant à s’abîmer dans sa détresse. Non, les abymes d’Elenor, il n’y aurait pas droit.

Finalement, sans même esquisser un semblant d’excuse pour la gifle qu’elle venait de lui balancer, s’attendant presque à ce qu’il la saisisse, et se venge du coup, elle fit mine de le contourner.
A l’idée qu’il puisse enserrer ses poignets et le lui faire payer, une chaleur naquît en son sein. Alors elle comprit. Elle en mourrait d’envie. Mais ce ne serait pas ce soir. L’abcès se crèverait, mais plus tard. Plusieurs jours, plusieurs semaines. Des mois, peut-être, de non-dits, avant de se sentir assez forts pour accepter, rejeter, avancer.

Alors qu’elle passait à côté de lui, elle chercha son regard, épaule contre épaule. Ils étaient tout près, et il pouvait sentir son souffle dans son cou. Un souffle brûlant, sifflant entre ses dents serrées. Elle éleva néanmoins sa main gauche et l’effleura du bout des doigts. Contrairement à lui, elle ne s’était pas sentie obligée de se retenir. Un dernier contact, en cette soirée si étrange. Demain serait différent, demain, la caresse ne serait plus. Elle ne serait plus qu’un souvenir soufflé comme un lambeau de fumée.
Ses doigts faibles s’adaptèrent au relief de son visage.

Sa voix était sombre, comme un grondement menaçant.

« Demain, j’irais mieux. Toi aussi. Ce soir la fatigue l’emporte, mais tu n’as rien à craindre. »
Et pourtant, ses doigts s’attardaient là où, l’instant d’avant, elle l’avait frappé. Elle se tourna à peine, ses lèvres trouvant son épaule. Elle y déposa un baiser léger, tellement léger qu’il pouvait même douter que ce contact ait bien été.
« Tu choisiras. Plus tard. »

Une affirmation comme une énigme. Que choisirait-il ? Abandonner cette indifférence ? Se rendre, ou au contraire élever autour de lui plus de murailles encore ? Le futur employé lui laissait cependant entendre que ni lui, ni elle n’étaient en mesure de faire quoi que ce soit dans cet état. Avec un peu de chance, ce sera naturel, ils pourraient trouver une solution à ce malaise sans avoir besoin d’en parler.
En tout cas, elle n’avait plus peur de ce moment là. Elle attendrait, mais elle le supporterait. Une épreuve de plus, mais qu’elle ne rechignait pas à relever. Sans doute avait-elle tord. Sans doute cette détermination qu’il ne lui connaissait que trop empêchait-elle les hommes de la ménager. Sans doute devait-elle à cette force apparente beaucoup de déceptions, de mésaventures… il n’avait pas été rare qu’elle se brûle les ailes aux hommes trop ardents.
Malgré tout, elle n’était pas inquiète. Ignorant tout à fait ce dont il était question, elle se tiendrait prête quand il aurait décidé de laisser derrière lui ce passé qui lui faisait tellement peur.

« Bonne nuit, mon ami. »

Puis elle détacha son épaule de la sienne, et ses doigts quittèrent son visage comme s’ils ne l’avaient jamais touché. Avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, elle se glissa dans la chambre et balança sur le lit la couverture. Un dernier regard au profil de Lan, puis elle alla se coucher.

Même dans cet état, elle allait dormir comme une souche.

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MessageSujet: Re: La Belle est humide, le Clochard est absent.   La Belle est humide, le Clochard est absent. EmptyLun 27 Sep - 16:40

Se sentir impuissant, rester silencieux ; ça n’était pas dans les habitudes d’Elandor. Et si Lance avait appris à se taire pour rester discret, il n’en était pas moins capable d’ouvrir la bouche pour défendre les causes qu’il soutenait et qui lui tenait à cœur. Quelle était donc la partie de lui-même qui se murait à présent dans un mutisme déplacé ?
S’il en avait eu l’habitude, il se serait mordu la joue ou la langue jusqu’au sang, comme pour trouver dans la douleur la force de ne pas fléchir. Mais ça n’était pas le cas. A la place, il serra son poing droit, forçant sur les deux doigts raidis qui refusaient de bouger.

Il revoyait le regard d’Elenor quand il s’était rassit près d’elle. L’étonnement, la consternation, le dépit et le ressentiment.
Soit. Tu me méprises, tu me détestes. Et tu as raison …
Comme si le fait d’avoir la grandeur d’âme d’accepter cette haine aller l’empêcher de se tourmenter en y repensant. La grandeur d’âme ? On est quelqu’un de bien lorsque l’on accepte une colère non méritée de la part d’un ami. Mais pour le coup, il aurait dû subir bien pire que ça …
Arrête de me regarder avec ses yeux-là.
Il se rappelait son malaise, la panique qui avait commencé à monter alors qu’elle avait serré les dents davantage encore.
Parle-moi ! Réagis ! Dis-moi ce que tu penses !
Comment deviner qu’elle avait percé à jour des pensées qu’il refusait même de reconnaître ? Et comment deviner qu’elle choisirait de le mépriser plutôt que de l’aider à s’en dépêtrer ?

Il avait saisit son soupir de mépris lorsqu’il s’était levé. L’agacement avait reprit de la force.
Certes, il réagissait comme un imbécile, mais elle n’avait pas pour autant le droit de le mépriser !
Il lui tournait le dos, elle ne pouvait pas le voir.
Il s’appuya un instant contre le chambranle de la porte, souffla silencieusement, jugulant la réaction violente qui ne demandait qu’à s’exprimer.
Il avait honte, il se savait en tort. Pourtant, la colère refusait de s’apaiser et, au contraire, il lui en voulait.
La fatigue obscurcissait son jugement et il ne savait plus vraiment pourquoi il réagissait ainsi, pourquoi il avait parlé, ni même ce qu’il avait pensé.
Mais c’était fait.
Peut-être, à cet instant, aurait-il pu désamorcer cette bombe à retardement qu’il venait de placer à l’intérieur de cette maison, ancien havre de paix et seule protection contre les démons de l’ancien Gardan ? Il aurait pu courir vers elle, la serrer dans ses bras, s’excuser. Non pas de ne pas être celui qu’elle voulait mais de ses paroles ; lui dire qu’il regrettait, qu’il ne savait pas comment réagir. Lui expliquer sa gêne, ses peurs …
Il aurait pu, oui … Sans doute leur relation aurait-elle alors pu être plus saine, et ainsi, il se serait évité plusieurs mois d’illusions et de bienséance forcée.
Mais ça n’était pas son genre, pas maintenant qu’il était allé aussi loin. Sa fierté lui interdisait de revenir sur ses pas. Après tout, n’avait-il pas toujours accepté la responsabilité de ses actes, du moins, le peu de temps qu’il avait gouverné ?
Lance résonnait sans cesse sur son expérience politique. Il niait l’existence même d’une relation plus compliquée, parce qu’empreinte de sentiments. En tant que Gardan Edorta, il fallait assumer tous ses discours sans jamais revenir en arrière sous peine de perdre sa crédibilité.
Il en était autrement en amitié mais Elandor n’avait pas envie de s’engouffrer dans une réflexion plus profonde et plus douloureuse.
Ses principaux amis n’avaient jamais été que des Nobliaux désireux d’approcher un peu sa gloire et de briller à travers lui. Même en tant que Lance, il n’avait pu trouver personnes sur qui compter. Trop de secrets embourbaient sa vie. Même Eléni ne pouvait pas tout comprendre …
Mais Elenor ? Elle était cet espoir, ce futur. Il n’avait pas l’habitude. L’attachement est fait de concession et de pardon. Comment le savoir alors qu’il n’avait connu que des amitiés factices où il fallait juste impressionner sa cours de lèche-bottes ?
Il n’y avait que Bellone qui ait réussi à faire naître autre chose en lui. Mais cela s’était fait progressivement, sans même qu’il n’ait à se poser de questions. Là, il vivait avec Elenor. Et elle allait mal … Il ne pouvait pas se permettre de tergiverser pendant des mois …
Et les deux femmes n’avaient rien à voir entre elles. Bellone pouvait attendre, accepter ses erreurs et les corriger insidieusement. Elenor était moins prompte à pardonner. Ses fautes, elle les lui lancerait au visage lorsqu’il s’y attendrait le moins. Et surtout, Elenor ne l’aimait pas. Seul l’amour avait permit à la rousse de supporter ses défauts et son comportement grossier.

Elle ne répondit pas à sa proposition, se contentant d’un hochement de tête. Chacune de ses réactions faisait monter un flot de fureur au creux de la gorge du chef dissident mais il la muselait, peu désireux d’envenimer la situation. Se rendait-elle seulement compte des efforts qu’il fournissait ? Un autre qu’elle se serait déjà retrouvé sous la pluie, ses affaires éparpillées dans la boue. Elandor n’était pas compréhensif, Elandor n’était pas patient. Même lorsqu’il se trompait, il n’avait jamais tort. Les autres devaient plier les genoux devant lui et ramper au sol. Elenor savait tout cela. Comment pouvait-elle lui en demander autant ? ! Au nom de l’amitié ? Ne pouvait-elle pas faire des efforts, elle aussi ?
La mauvaise fois était apparemment la seule chose qui permettait à Elandor de ne pas se jeter à ses pieds pour lui demander de lui pardonner.

Elle se leva et sa fierté mal placée le quitta un instant, alors qu’il admirait la longueur de ses jambes qui s’échappaient des couvertures. Il s’abîma dans la contemplation de sa poitrine, à peine voilée par sa chemise, à lui. Il n’avait jamais rien vu d’aussi charmant à l’intérieur d’un de ses vêtements. Bellone n’était pas femme à emprunter les affaires de son amant au petit matin. Il reconnaissait certains tatouages, d’autres lui semblaient étrangers. Il eut subitement l’envie de la déshabiller pour les contempler à loisir.
Son irritation s’effaça, à mesure que son désir grandissait et, durant un instant, il plana bien plus haut que le toit de la bicoque où son véritable corps s’empêtrait dans une dispute sans fin.
Le bruit sourd de la couverture jetée sur la chaise et le vacillement de celle-ci le tira de sa rêverie et il leva les yeux à temps pour rencontrer ceux d’Elenor, déterminés, alors qu’elle se dirigeait vers lui.
Elle s’approcha un peu plus de lui, il déglutit, à des années lumières d’imaginer ce qui allait se produire.

La gifle le surprit et il ne put empêcher sa tête de valser. Il resta un instant ainsi, n’offrant que son profil effaré à Elenor, un souffle sourd s’échappant de ses lèvres.
Qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Avait-elle surpris son regard ?! Voulait-elle ainsi lui signifier qu’il était immoral de sa part qu’il la considère ainsi ? Pourtant, autrefois …
Il mit quelque seconde à comprendre que sa première idée était absurde.
La voix rageuse lui fit tourner à la tête. Il ne répondit pas et n’esquissa pas un seul geste pour répliquer. La féminité de celle qui l’avait frappé n’avait rien à voir là-dedans. L’étonnement l’empêchait de réagir correctement et une voix, au fond de lui, grondait qu’elle avait eu raison.
L’insulter ? Il l’avait insultée ? ! Sans doute, oui, même si c’était sans vraiment le vouloir.
Soit. Si je n’aurai pas dû, je comprends que tu réagisses comme ça.
Au moins, elle réagissait … Dans ce coup, il y avait quelque chose de l’ancienne Elenor et de leur relation passée. Au cœur de la tourmente, cette idée le rassura. Tout n’était pas perdu ; si elle prenait encore la peine de le punir, c’est qu’elle accordait de l’importance à ce qu’il disait et faisait.

« Tu as beaucoup changé, Lan, et moi aussi. Mais je ne suis pas cet agneau à qui tu penses offrir le gîte. »

Sa réplique le glaça. Elle avait visé bien plus juste avec ses mots qu’avec sa main.
Il se sentit incapable de réagir et la laissa le contourner sans esquisser un seule geste. Aucun mouvement pour la retenir, aucun mouvement pour lui demander de s’expliquer, pour s’excuser, pour la retenir et l’empêcher de partir fâchée. Son regard évitait tout contact avec elle et il ne perçut pas le sien, brûlant, qui l’enveloppait alors qu’elle ralentissait. Il fixait intensément le mur d’en face, cherchant en vain les ressources nécessaires pour faire bouger ses muscles qui semblaient figés dans la glace.
Le souffle chaud d’Elenor le fit frissonner. Il se sentait passif, impuissant. Ca n’était pas son genre, ça n’était pas son rôle.
Elle maîtrisait la situation.
Et loin de l’humilier, cette situation lui plut, parce qu’il sentait la rage qui régnait entre eux et qu’il avait l’intuition qu’un rien pouvait faire soudainement basculer la situation en une toute autre ambiance …
Il se vit lui saisir le bras, trop fortement pour être doux, avec une sorte de violence animale qui commençait à grandir depuis son bas ventre.
Il ne fit rien.
Il se vit lui répondre, sa voix grave résonnant étrangement dans la pièce. Pour lui dire quoi ? Reste ?
Il ne fit rien.

Puis il sentit la chaleur de ses doigts sur son visage. Il retient son souffle, comme pour retenir cet instant, comme si, inconsciemment, il ne voulait pas risquer de le briser.
Ses lèvres se posèrent sur son épaule, il frémit. Il aspira goulûment l’air qu’il s’était refusé jusque là, et son souffle chaud fit voler les dernières mèches sombres qui s’étaient attardées contre lui, effleurant la peau de celle qui allait le quitter.

« Tu n’as rien à craindre.
Tu choisiras. Plus tard. »


Il n’entendit pas son au revoir, il perçut seulement son corps qui se détachait du sien. C’était la deuxième fois ce soir. Et il ne pouvait plus se faire d’illusion. C’était bien plus douloureux que ça n’aurait dû l’être …
Elle le quitta tout à fait, il l’entendit s’étendre sur le lit. Il resta immobile un long moment.

Qu’avait-elle voulu dire ?
Je n’ai rien à craindre. Tu ne vas pas me frapper ? Tu ne vas plus me toucher ?
Je ne crains rien. Et je ne te crains pas, toi.

Seulement, ce baiser … Cette soirée …
Il avait peur que tout dégénère. Dans quelle direction ?
Mais bon sang, qu’avait-il à perdre ?
Je n’ai pas besoin qu’on me protège, je n’ai pas besoin qu’on me ménage. TU es la femme à protéger, Elenor, JE devrais prononcer ces mots …
Sa réaction était puérile mais il avait l’impression étrange qu’elle menait la barque où ils venaient de prendre place, côte à côte.
JE choisirai plus tard … Choisir quoi ? ! L’avenir de NOTRE relation ? De changer, de m’excuser ? !
Elle n’avait pas le droit de faire peser l’intégralité de la responsabilité de leur bonheur sur ses épaules à lui.
Et pourtant, c’était elle qui avait besoin de réconfort …Alors quoi ? Briser son armure, la forcer à craquer ? Après ce qu’il avait dit ? !
« Tu choisiras. » Une façon de lui dire que tous les torts étaient de son côté ? Ou bien que lui seul pouvait faire évoluer la situation ? Ou bien encore qu’elle le laissait prendre les rênes ? Il était peu probable qu’Elenor se laisse faire passivement … C’était donc à lui de tout faire pour arranger les choses.
Dommage qu’il ne s’en sente pas capable pour l’instant … Tout ce qu’il pouvait lui offrir, c’était d’oublier cette soirée, de ne plus jamais en parler et de faire comme si ça n’était jamais arrivé. Il ne pouvait qu’espérer qu’elle oublierait vite. Ou qu’elle ferait semblant …

Il passa une main sur son visage, suivit un instant le même chemin que les doigts qui venaient de quitter sa peau. Sa paume était moite, presque tremblante, trop crispée pour être adroite. Il tourna la tête vers le lit, ne vit qu’une silhouette étendue sous les couvertures.

Il se vit s’approcher de la table et balancer au sol tout ce qu’il y avait déposé quelques minutes plus tôt. Il crut voir le sursaut qui animerait Elenor lorsque le bruit tonitruant éclaterait dans la nuit.
Il n’en fit rien.
Il se vit aussi entrer dans la chambre, se coucher près d’elle et … Et quoi ? Son esprit refusait d’aller plus loin. Il avait encore le sentiment de trahir Bellone.
Il s’approcha de l’armoire, sorti une bouteille, un verre. Ses doigts tremblaient un peu. Mais ce devait juste être la colère, la frustration. Ou la honte ?
Ses lèvres effleurèrent le liquide, le goût fort et âcre envahit sa bouche sans que cela ne l’apaise pour autant. Il avala le contenu d’un geste et s’étonna de ne trouver aucun apaisement dans l’alcool.

Son regard s’accrocha à la fenêtre, suivit les gouttes qui serpentaient sur le carreau. Au moins, elle serait propre …
La pluie … L’eau sur son visage, sur son corps. Se laver. Se purifier, devenir un autre.
Il s’approcha de la porte, enfila ses bottes, grimaça de les sentir froides et détrempées, sortit.
Il resta un instant immobile, le temps que ses vêtements, chemise et pantalon, se gorgent d’eau, et que ses cheveux se plaquent sur son visage.
Parfois, rester sous la pluie vous fait vous sentir vivant, libre, détaché de toute entrave. Comme si, exposés à la fureur du ciel, vous arriviez à effleurer le sens de la vie.
Il n’en fut rien. Si le contact glacé de l’eau apaisa la brûlure que les paroles d’Elenor lui avaient infligé, il ne se sentit pas soulahé pour autant.
Il s’avança dans la rue. Ses pas hésitants s’accélérèrent et il se mit à trottiner puis à courir franchement. Il glissa un grand nombre de fois mais ne s’étala dans la boue qu’à une seule reprise, ce qui lui permit de hurler sa fureur aux éléments qui l’humiliaient plutôt que de se retourner contre lui-même.
Les paroles d’Elenor hantaient ses pas et le martèlement de ses bottes sur les pavés n’arrivaient pas à en couvrir le bruit.

Il rentra épuisé, trempé mais pas plus serein qu’en partant.
Néanmoins, il était déterminé. A se faire pardonner, à être un colocataire exemplaire, discret mais attentionné.
Il fit le moins de bruit possible, poussa la porte sans la claquer, ôta ses bottes, se déshabilla et s’approcha de la chambre à pas de loup. Elle dormait profondément et il resta un instant à la regarder, jugulant le flot d’émotions qui l’envahissait et qu’il n’avait nullement envie de comprendre. Désir, regret, soulagement.
Elle était là … Pour le meilleur et pour le pire.
Il raviva le feu qui n’en avait pas besoin. Dans la pièce principale, la chaleur était toute relative mais il se sentait au sec et n’avait pas vraiment froid.
Il trouva tout de même un drap sec et s’enroula dedans pour cacher sa nudité.
Auparavant, il n’aurait pas été si gêné que cela à l’idée qu’Elenor le découvre nu. Il était beau et bien fait, et l’idée de savoir qu’elle l’aurait détaillé sous toutes les coutures aurait eu un certain charme.
Mais après ce soir-là, il savait que plus jamais il ne pourrait se laisser aller ainsi.

Une impulsion subite le prit et il chercha frénétiquement de quoi écrire. Là, une plume à peine taillée, ici, un reste d’encre pas encore tout à fait sèche. Des parchemins traînaient, éparses, il en saisit un, s’attabla devant, réfléchit.
Il n’avait pas écrit depuis longtemps, du moins, aucun texte personnel. Lance était gaucher mais sa main droite retrouva naturellement ses automatismes.
J’ai eu tort, je suis désolé.
Une hésitation, une tache noire s’étala à l’endroit où il avait posé la plume.
Je tiens à toi.
Il soupira, fit mine de poser la plume, la reprit.
Je vais arrêter de craindre le passé, je ne vais plus avoir peur de voir évoluer notre relation.
Et je vais choisir de changer. Pour le meilleur.


A travers ce flot de bons sentiments, il songea que jamais, pas même pour la Dissidence, il n’avait émis ce genre de proposition. Changer … Dans quel sens ? Abandonner son but ? Certainement pas ! Changer suffisamment pour le servir alors ?
Il aurait voulu coucher ses idées sur le papier, les démêler, trouver une ligne de conduite à suivre. Mais il se sentait dépassé. L’écriture n’y ferait rien.
Elandor n’avait jamais vraiment été un cérébral. La seule femme à qui il avait écrit était Bellone. Il avait su trouver des mots magnifiques, faire renaître l’instinct poétique le plus pur. Mais jamais, avant cet instant, il n’avait eu le désir, et le besoin, de coucher ses impressions sur le papier. C’était étranger, nouveau … Et terriblement désuet songea-t-il.
Il ne trouverait pas l’apaisement non plus de cette façon-là …
Sa tranquillité d’esprit le fuirait-elle à jamais, punition pour son geste et ses paroles abjectes ?
Il écrasa rageusement le parchemin et lança la boule ainsi formée dans la cheminée.
Sa tête commençait à bourdonner et sa paupière inférieure battait par saccades. Il était tant qu’il dorme. Ou qu’il essaie …
Depuis son meurtre, l’insomnie était devenue une nouvelle amie.

La maisonnette était envahie de linge qui séchait et il espéra que le temps serait plus clément au petit matin …
Il s’assit devant le feu, le dos déjà endolori par le dossier raide de la chaise. Dehors, les premières lueurs de l’aube naissaient, mais il ne put regarder le soleil se lever. Il s’endormit tant bien que mal, emprisonné dans sa couverture et se réveillant en sursaut dès que son corps menaçait de tomber. Finalement, il s’allongea à même le sol et profita d’un sommeil léger qui, il le savait, ne serait pas réparateur.

Demain … Demain, il serait bien temps de penser.
Et de mettre de côté ses états d’âme, du moins le temps de se consacrer entièrement à la Dissidence.
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