Alecto sortait du Ceste Clouté. En réalité, elle se demandait encore que penser de sa rencontre avec Eléni, et de leur discussion. Elle avait eu le sentiment qu'elles n'avaient pas réussi à se comprendre tout de suite, que la différence entre elles étaient profondes. Pourtant, l'Assassin était convaincue qu'elles avaient un idéal commun. Du moins l'envie d'un monde meilleur...
Toute à ses pensées, l'Olarile marchait sans vraiment se préoccuper des passants, du temps qu'il faisait, de l'heure qu'il était. Elle savait qu'elle avait faim, mais la tisane qu'elle avait bue à l'Auberge avait calé pour un temps son estomac.
C'était cependant la fin pour elle d'une période incertaine, d'attente de la Dissidence. Cette fois, elle était fixée, et cette dernière pensée la remotiva. Fichue d'un sentiment plus léger désormais, elle accéléra le pas pour regagner l'Auberge où elle avait réservé une chambre pour quelques jours, avant d'éventuellement en changer, selon ce que donnerait cette entrevue avec Eléni.
Un choc dans son épaule la fit relever la tête, se stopper et même, percuttée, reculer d'un pas. Assez pour sentir la boue souiller ses chausses ce qui l'ennuya immédiatement... La saleté l'avait toujours dégoûtée, Alecto chercha d'un regard déterminé la source de cette maladresse. L'homme regardait ses propres chaussures, semblait d'humeur noire, ce qui s'averra exact lorsqu'il éleva la voix.
Le débit était tel, que l'Olarile n'eut pas le temps de réagir. Elle qui était pourtant aguerrie dans ce domaine, resta immobile face à celui qui, plus haut qu'elle, grommelait, grimaçait, en appelait aux passants... Jusqu'à l'insulter enfin. Sa peau, ses symboles religieux sur le visage, sa corpulence. Il ne sembla rien n'ignorer de son apparence première, et elle reçut ces vulgarités en pleine poitrine. Quel beau spécimen d'Ilédor ! Ah ça ! Elle pensa même qu'il s'en prenait à ses origines, et dut faire appel à beaucoup de sang-froid pour ne rien laisser paraître.
Autour d'eux, une petite foule s'était attroupée, curieuse, amusée maintenant. Certains l'interpelaient, d'autres encourageaient l'Ilédor. L'humiliation était grande. Alecto resta silencieuse, fixant le visage de celui qui sembla, enfin, disposé à se taire.
« Pardonnez ma maladresse. » Fit-elle finalement, contre toute attente, laissant les curieux bouche-bée. Et sans doute déçus. Elle eut un mouvement de tête humble, et s'écarta pour le laisser passer.
Se faisant, alors qu'il mettait de la distance entre eux, la foule se disperça, mécontente de ne pas avoir assisté à une persiflade ou mieux encore, une querelle animée, une bagarre par miracle ! Mais non...
Et elle se dissimula dans la masse, les regards se détournèrent d'elle, elle redevint une ombre. A bonne distance, elle suivit cet impudent, et lorsqu'il tourna à une bifurcation, prit la même direction. La ruelle était vide, quelques tonneaux de l'échoppe d'un vigneron l'encombraient seulement. Un chat errant passa en courant, sans qu'elle n'en soit inquiétée.
Alors qu'elle s'assurait qu'ils étaient bien seuls, Alecto l'interpela.
« Hé, toi. » En à peine quelques mouvements, elle était face à lui, lui barrant la route. Son visage exprimait la même neutralité... mais ses yeux s'étaient fais menaçants.
« On essaye d'éviter d'insulter les êtres différents de soi, normalement. » Reprit-elle sa formule, la voix sombre. « Excuse-toi sur le champ. » Alecto avait la mine de quelqu'un qui, malgré une corpulence et une apparence chétive, avait une totale confiance en ses capacités. Ses yeux avaient l'audace de ceux qui savent leur potentiel. Aucune prétention. Juste la maîtrise, sans être pédante.