La Secte

Amiguel Garthesia s'empara de sa canne avec difficulté, et se hissa depuis sa couche. Cela faisait une semaine que la catastrophe avait eu lieu, quatre jours qu'il avait été ramené au campement, et soigné. Sa volonté avait été telle qu'il avait pu persuader la femme qui s'occupait de lui de le laisser se procurer une béquille de fortune pour marcher, et se déplacer comme il l'entendait.

Certes, il était loin d'être guérit, mais, comme si Panpale avait décidé de veiller sur lui et sa santé, comme s'il était effectivement l'instrument de ce Dieu qui n'en n'était pas un, il était apte à bouger. Sa lucidité était retrouvée, il était déterminé.

La visite d'Oril lui avait fourni de quoi se motiver, celle d'Ergan l'avait revigoré.

En grinçant les dents sous l'effet de la douleur - chaque mouvement tirait d'une manière ou d'une autre sur le haut de son crâne, qui était pansé, et dont la cicatrisation prendrait encore quelques jours. De plus, le bras qui tenait la béquille était son bras valide, ce qui faisait que le bras bandé pendait lamentablement le long de son corps. La scène fut comique lorsqu'il se força à faireu n pas devant l'autre, et qu'il manqua de se rammasser la tête la première dans la terre battue du sol de sa tente.

Il grogna et rétéra l'expérience ,cette fois avec succès. Son esprit analytique assimila rapidement le mouvement à produire, et il sortit de son " dortoir " avec prudence. UN Pélégon passa par là et le remarqua. Il le regarda d'abord d'un air surpris, puis haussa les épaules, comme s'il jugeait que ce jeune Garthésia avait l'esprit frappé par une fougue irrationnelle. Les jeunes étaient tous pareils, après tout: ce qui comptait, c'était de ne pas rester inactif malgré les blessures et les douleurs.

En effet, pour Amiguel, il s'agissait de ne pas rester inactif.
Cependant, il n'était pas comme les autres jeunes.

Il sillonna le camp, rencontrant des enfants qui le saluèrent poliment, des adultes d'âge mûr qu'il dut saluer poliment même s'il n'en avait cure, et des connaissances qui le reconnurent malgré son aspect momifique.
Il s'arrêta à un moment donné. Machian tournoyait loin au-dessus de sa tête, il avait vu qu'il était sorti. Il esquissa un sourire.

Pourquoi Amiguel sortait-il maintenant de son état de torpeur ?
Tout simplement parce qu'il voulait rencontrer Lysandre. La rencontrer, et lui parler et lui faire part des révélations d'Oril, ainsi que de ses projets. Et surtout, de sa vision objective de ce qui allait suivre.

* Lysandre a droit à une protection, un bras armé, et je le serai. Je le lui ai promis le soir de la fête d'Hegoa, et c'est maintenant que je dois accomplir ma promesse. Tant parce que c'est nécessaire pour ce qui reste d'Arestim que pour mes propres intérêts. *

Il reprit sa marche, escorté depuis les airs par l'Aigle, et traversa un certain nombres de petits chemin sinueux entre les tentes de fortune, pour enfin arriver devant celle qui correspondait à la description qu'on lui en avait faite. Le lieu de repos du Chef malaimé et brisé.

Il prit son souffle et parcourut les derniers mètres, et, sans préambule, écarta les pans de la tente. Il vit qu'elle était seule. C'était tant mieux, il ne souhaitait pas être dérangé par un Nydearin trop actif ou une Luminara trop inquiète.
Il lui adressa un sourire, et s'élança brusquement à son côté, manquant de s'étaler à nouveau. Il la prit dans ses bras avec délicatesse et l'étreignit avec respect et conviction, en faisant attention à ne pas lui causer de souffrance physique en la soulevant de sa couche.

- Nous voilà tous deux dans un bien triste état, Lysandre !

Le geste allait sûrement la surprendre. C'était calculé. Il voulait lui donner l'image d'un homme qui tenait à elle, et surtout, qui avait manqué de passer une nuit avec elle. Ce qui pour le moment était le cas.
Il la reposa doucement sur sa couche, et rit doucement de sa propre remarque.
Puis il posa sa béquille sur le côté et s'installa dans une lenteur intenable sur un siège posé là, tout près.

- J'ai été très heureux d'apprendre que vous étiez sauve. Moi-même, j'ai manqué de ne pas échapper à la mort, et cela se voit certainement.

Il rit de nouveau, mais cette fois le rire coupa court alors qu'il s'assombrit.

- Arestim...

Il n'alla pas plus loin, le reste de sa phrase était implicite, et laissait entendre que c'était effroyable, qu'il regrettait amèrement le déroulement des choses et que s'il avait pu fairem achine arrière et changer le cours des événements, il l'aurait fait. Mais qu'aurait pu-t-il faire face à Hegoa ?
Ce fut du moins ce que Lysandre du comprendre.

Lysandre tourna la tête brusquement lorsque les pas approchèrent, puis lorsque les pans du voile se soulevèrent pour laisser passer un Amiguel amoché. Il avait été gravement blessé, lui aussi, et comme de nombreux Olarils, par les ires de la Gérax. Il peinait à se déplacer et constata qu'elle n'était pas en reste. Sa respiration était encore difficile et amoindrie, elle s'efforçait de ne pas inspirer trop fort pour éviter tout mouvement brusque de son buste. Ce fut en effet l'étonnement que le Garthésia cherche à se précipité -d'une vitesse toute relative vu son état- pour la serrer dans ses bras. Plutôt malvenu, du moins songeait-elle qu'il se montrerait moins tactile, vu son état de santé et le sien... Mais elle eut un sourire amusé, peut-être fut-elle également agréablement convaincue d'avoir encore quelques soutiens parmi les Survivants.

" Nous devons louer les Dieux d'être dans un état qui nous permet encore d'être conscient. " Souffla l'Hirune, bien qu'elle puisse depuis plusieurs jours douter que les Dieux ne se soient montrés cléments envers elle.

Après tout, ils avaient souhaité détruire Arestim et il ne restait aujourd'hui que la Désolation, le Malheur et ils se faisaient bien silencieux, depuis les Foudres des Monts. Elle savait certaines tentes fragiles, tant qu'il leur arrivait de tomber, malgré le savoir-faire des Olarils qui s'efforçaient de garder le Campement en ordre, accueillant et le plus organisé possible. Mais il n'était pas le moment de remettre en question la bienveillance actuelle des Divinités... Ce n'était pas judicieux de douter lorsqu'on a le plus besoin d'eux.

" J'ai peine à croire qu'Arestim n'est plus... Ce campement est désormais notre seul abri... " Mais elle savait également qu'un campement n'est qu'éphémère, et qu'il faudrait rapidement se poser d'autres questions, prendre d'autres décisions. Cependant, elle ne voulait les prendre à la hâte.

En se redressant, la jeune femme sentit son aine tirer, mouvement cependant nécessaire pour qu'elle puisse s'asseoir correctement et elle répéta des gestes que, désormais, elle prenait l'habitude d'effectuer. Elle tirait délicatement sur une bande épaisse, comme une bretelle sous sa tunique, sur son épaule... Ce n'était pas tant douloureux, mais les points qu'on lui avait piqué dans la peau avaient la fâcheuse tendance à s'agripper dans les bandages de lin. Les cicatrices brûlèrent un instant, puis elle réussit à les placer au mieux, pour pouvoir être dispensée de ce geste pour un petit moment.

Du menton, elle désigna une outre sur la table, toute proche. Elle était ébréchée au boulot, mais Lysandre insista.

" Certaines bénédictions ne nous sont pas amputées. " Un vin clair, sans doute pas fameux, reposait, mais il était offert de bon coeur. C'était l'une des méthodes qu'avaient trouvés les Guérisseurs pour faire passer la douleur ... " Il pique un peu. " Avoua Lysandre avec un sourire déçu, avant de reprendre une mine plus grave.

" Les nouvelles aspirations mises au grand jour, de la part de plusieurs Olarils, ne t'auront pas échappées, n'est-ce pas ? " Souffla la Chasseresse, en tendant la main pour se saisir de l'outre, sans attendre qu'Amiguel ne la devance. Elle but une gorgée et fit la grimace. Oui, il piquait un peu.

Amiguel émit une légère grimace lorsqu'elle but une goulée de vinasse et qu'elle lui avoua qu'il n'était pas fameux. Il n'était déjà pas un grand buveur, imaginer un vin piquant et vieillot n'était pas faisable.

Lysandre reposa l'outre après avoir engagé la conversation sur le sujet de l'opposition naissante. La nouvelle opposition, avec son lot de revendications et de problèmes. En effet, ça ne lui avait pas échappé. Il décida d'enchaîner sur ce sujet.

- Oui, mon cousin, Ergan Dialon, m'a informé que quelques individus se manifestent alors que vous êtes dans la position de faiblesse la pire qu'il était envisageable. On a mentionné le nom d'Arngrim Edorta. Et celui du Pontife Filialanël.

Il s'arrêta, le visage sombre et grave.

- Ils profitent de la détresse des Olarils pour soulever les mécontentements et les détourner contre vous. J'ai perdu mes parents dans la catastrophe, Lysandre...

Il laissa sa phrase en suspens. Il n'avait rien à dire de plus à ce sujet. Il ne souhaitait pas faire partager son deuil à Lysandre, elle avait d'autres soucis en tête, et les problèmes des Olarils dans leur ensemble étaient d'un ordre supérieur pour le Chef qu'elle était.
Quelques secondes s'écoulèrent, il cherchait ses mots, semblablement.

- Oril Elanessë est passé me voir, car je voulais le remercier de m'avoir tiré d'un mauvais pas.

A l'annonce de ce Garde précis, que Lysandre et lui avaient cotoyé au moins une fois en commun, et dans les circonstances peu enviables qu'avaient été celles de la mort de Zephir Garthesia, il savait qu'elle comprendrait l'étendue de la révélation avant même qu'il ne développe. Tout simplement parce qu'il ne disait jamais rien au hasard, et qu'elle avait certainement dû le comprendre avec le temps.

- Eldar est mort, c'est donc lui qui est chargé de la Garde de manière officieuse et provisoire.

Il lui annonça la mort d'Eldar de manière neutre, ne sachant pas si Lysandre avait été mise au courant.

- Il m'a... évoqué l'existence de cette Section de l'ombre que le Chef de la garde avait mise au point avec vous. C'était bien pensé, et un bon moyen de vous prémunir des dangers qui ont commencé à rôder autour de vous après les événements qui ont précédé les jeux de Bakarne... et qui s'en sont suivis.

Il lui adressa un sourire lui signifiant grosso-modo qu'il comprenait pourquoi elle ne l'avait pas mis dans la confidence et que de toute façon ça lui importait peu.

- Ne blâmez pas Oril, c'est un bon Garde qui fait son travail avec sérieux et qui m'a dit ce qu'il m'a dit parce que je lui ai confié quelques informations à notre sujet. Et il ne l'a pas fait avec légèreté, il m'a signifié la confiance qu'il avait en moi.

Il tenta de se tendre sur son siège, et attrapa avec difficulté un bout de peau qui se trouvait sur un support non loin de là. Un bout de peau usagé qui ne servirait plus à rien une fois qu'il en aurait fini avec lui. Il le montra simplement à Lysandre et le déchira en trois parties. Il présenta un premier morceau, pui successivement les deux autres à mesure qu'il parlait:

- Voici comment je vois les choses. Actuellement, ceux qui profitent du chaos issu de la catastrophe sont scindés en deux: d'une part, on a le Pontife qui vous dénonce en tant qu'élément déclencheur de la colère des Dieux, et d'autre part, on a Arngrim, petit frère de Laclaos, qui, par tradition, s'oppose à vous, et qui semble-t-il désire voir ce qui se passe de l'autre côté de la Gerax, en laissant totalement derrière lui Arestim et son Histoire. Ces deux entités ne sont pas nécessairement unies, au contraire, elles sont bien distinctes. D'un côté, on a le désir de rester ici et de reconstruire dans le culte des Dieux et la sévérité de la religion, et de l'autre, on a un désir nouveau de négation et de départ définitif.

Il posa les deux bouts de peau de bête à terre en grimaçant sous la douleur, puis désigna le dernier morceau, qui semblait plus petit.

- Enfin, il y a vous, et ceux qui vous soutiennent encore. Je ne sais pas vraiment si ce groupe est conséquent ou non... Mais il semble être en infériorité numérique par rapport aux deux autres groupes réunis. Je pense que vous avez compris, comme moi, que nous sommes en équilibre sur un fil invisible. Pour ma part, je pense qu'il est primordial d'assurer une reconstruction solide et définitive sur l'ancienne Arestim, ou du moins ne pas nous éloigner de notre lieu de vie initial aussi loin que le recquière la vision d'Arngrim. Après, et seulement après, nous pourrons nous demander si on ne peut pas voir ce qui se passe ailleurs et chercher à en tirer profit pour nous prémunir d'une telle catastrophe pour les temps à venir. Et pour cela, il faut que votre pouvoir retrouve de son aplomb et soit renforcé.

Il s'arrêta à nouveau: il fallait choisir ses mots avec prudence, car il savait Lysandre assez soupe au lait lorsqu'il s'agissait d'évoquer son Pouvoir sur les Olarils et sa façon d'agir. Mais il savait également qu'elle comprenait qu'il ne souhaitait que son bien.

- Et pour commencer, je suggère que vous légitimiez une nouvelle fois la Section de l'ombre.

Avant qu'elle ne réagisse, il enchaîna:

- Vous êtes certainement réticente à l'idée d'espionner nos frères et soeurs, et d'autant plus lorsqu'il s'agit d'espionner des gens qui vous soupçonnent d'être trop sur la défensive, mais je pense que c'est une base.

Il soupira:

- Si vous me déléguez à cette tâche, je ferai en sorte de constituer une troupe de gens de confiance, qui croient en vous et en ce que vous pouvez apporter à Arestim. Je ne vous crois en rien responsable de tous nos malheurs, ce serait une folie. Non... Tout ce que nous pouvons faire c'est nous souder et repartir, ensemble, sur de nouvelles bases.

Il fronça les sourcils, l'air furieux.

- Cette Section de l'ombre ne sera pas de trop, il faut que vous puissiez avoir une longueur d'avance sur le Pontife et sur le petit frère de Laclaos. Eux ne se priveront pas pour vous porter des coups dans le dos, j'en ai la certitude.

Puis son visage s'adoucit:

- Mais ce ne sera qu'un début, c'est pourquoi j'aimerais que vous répondiez à ce sujet.

Vraisemblablement, Amiguel n'était pas amateur de piquette. Elle haussa les épaules et but une nouvelle gorgée, suivie à nouveau d'une moue. Il n'était pas excellent, ce n'était pas un grand cru, mais Lysandre sentait que ses mouvements et surtout, ses paroles allaient engager une nouvelle attaque de la douleur, qui sommeillait plus ou moins. Autant tout de suite la couvrir par une légère ivresse... Et c'était de loin la plus efficace des solutions : les tisanes étaient sympathiques mais peu puissantes, car les plantes les plus adéquates se trouvaient en miettes parmi les décombres. Il faudrait attendre le printemps et l'éclosion des jeunes pousses de ces herbes médicinales pour qu'elle puisse bénéficier de potions adaptées à ses maux... Ce qui voulait dire, dans plusieurs semaines.

Deux ou trois gorgées, pas plus, et la Chasseresse poussa plus loin d'outre, afin de la rendre inaccessible. Ce n'était pas la peine de s'enivrer sous peine d'être incapable de parler. Elle se sentait mieux, dès lors, plus détendue et surtout, moins assaillie par la souffrance physique. La douleur mentale, cependant, était bien présente, et notamment lorsqu'Amiguel évoquait les faits nouveaux.

" Je sais qu'Oril est un bon Garde. " Fit-elle immédiatement, même si elle ne niait pas avoir grimacé lorsqu'elle apprit qu'il avait parlé au Garthésia de l'existence de cette garde spéciale, invisible et inconnue de tous. Lysandre savait pourtant que l'homme n'était pas mauvais et qu'il n'avait sans doute agi qu'en songeant bien faire. Elle s'étonnait qu'il fasse confiance à Amiguel, qui ne jouissait pas d'une excellente réputation, mais ils étaient cousins, après tout...

" Kal'Berrick est un être fourbe, il a attendu bien des années avant de sortir au grand jour ses ambitions... Tout comme Arngrim, qui avait longtemps soutenu le choix de son frère Laclaos... " Ressentait-elle plus amertume envers le Pontife qu'envers le parent de l'ancien Chef ? La Chasseresse ne savait pas réellement. Les deux hommes, pour elle, avaient profité de son coma et de ses blessures pour prendre une part du pouvoir qu'elle laissait libre, et cette tactique était inadmissible, basse et sournoise. Indigne de personnes voulant gouverner les Olarils. Elle ne savait pas les réelles motivations de chacun, les causes des décisions prises, mais sa jeunesse ne s'encombrait pas de ces détails. Ils avaient été des profiteurs, et c'était tout ce qui comptait.

" Tu veux donc prendre en charge la reconstitution ... " Elle ne termina pas sa phrase, Amiguel ne la laissant pas parler, il était trop pressé de clairement exprimer ses opinions et elle se tut, l'air plus renfrogné. A vrai dire, pensible, elle se souvenait de ce que son époux lui avait communiqué peu de temps avant... Ce Serpent de Pontife voulait une garde religieuse, pour son pouvoir à lui. Et avec la mort d'Eldar, son plus proche soldat et un soutien fidèle, elle craignait que cette petite milice divine, dirigée par Kal'Barrick, soit un peu trop représentée. Elle acquiesça lentement, comme pour elle-même.

" Je ne veux pas que l'existence de cette Garde secrète puissent arriver aux oreilles de quiconque, mais il sera hors de question d'espionner les Olarils. " Elle reprit difficilement sa respiration et plissa le front sous la douleur. "Nous avons autre chose à faire que de manigancer et nous épier ! Nous avons des plaies à bander et des morts à prier ! " Elle s'emportait, et plus son souffle s'accélérait, plus elle sentait l'envie de boire encore, maigre consolation, faible espoir de faire passer ces maux trop puissants.

Mais elle se calma, rapidement, comme passe un orage. Certes, ces intrigues ne devaient pas être leur préoccupation première, mais ils se devaient d'y penser sérieusement, pour mettre en place dès à présent ce qui plus tard serait sans doute bénéfique. Sous peine de voir le Religieux prendre trop d'importance.

" Si je te donne une telle opportunité, tu auras à suivre les conseils d'Oril. " Imposa-t-elle en relevant les yeux pour les planter dans les siens, ferme. " Il avait toute la confiance d'Eldar, et la mienne aussi, et il saura mieux que toi, en tant que Garde, reconnaître ceux qui pourront être volontaires. " Elle ne remettait pas en cause la volonté ou la capacité d'Amiguel, simplement, elle savait qu'un Garde était plus à même de juger un Garde. Tout comme il avait à mesurer les Commerçants mieux que quiconque. La Chasseresse glissa son regard de l'outre jusqu'à la petite ouverture de la tente qui volait légèrement ; elle s'assurait que personne n'était aux alentours.

" Nos avis diffèrent sur l'avenir que tu vois ici pour notre Peuple. Mais ce n'est pas le moment d'en parler. " Souffla-t-elle, avant de lui laisser la parole : visiblement, il avait eu du temps, lui aussi, pour réfléchir à quelle place adopter dans cette nouvelle communauté... Il ne manquait pas de ressources, ni de rapidité. Là où d'autres préféraient prendre le temps de deuil, certains étaient prompts à vite recréer les intrigues qui auraient dû être détruites...

Amiguel approuva d'un léger signe de la tête lorsque Lysandre s'emporta à propos de la notion d'espionnage. Il s'excusa brièvement.

- Pardonnez-moi, Lysandre, j'aurais du le formuler autrement.

Il approuva à nouveau, lorsqu'elle lui imposa de consulter Oril pour constituer la nouvelle Section. Il répondit tout aussi calmement:

- Il était dans mon intention de l'inclure également dans la Section. Je reconnais qu'il sera de bon conseil et que son expérience sera appréciable et appréciée.

Lorsqu'elle acheva sa réponse sur une note de contradiction, il laissa le silence retomber un moment autour d'eux. Au-dehors, quelques Olarils s'apprêtaient à passer à table dans les tentes voisines, et faisaient un bruit de conséquence. Ils ne pouvaient pas entendre leur conversation.
Il avait l'aval du Chef pour reconstituer la Section de l'ombre, c'était pour le moment l'essentiel. Cependant, il souhaitait aborder un autre sujet.

Amiguel réfléchit un instant avant de reprendre.

- En êtes-vous certaine ?

Il se tordit le cou pour observer entre les pans de la tente et ne discerna personne dans les parages.

- Je ne voulais pas dire par là que je souhaitais prendre en charge la reconstruction, non, sauf si vous décidez et m'ordonnez d'agir de la sorte, auquel cas j'obéirai. Je ne faisais qu'apporter mon point de vue sur la situation actuelle et les besoins directs qui en découlent immédiatement.

Il se tut un moment, l'air soucieux.

- Nous ne pouvons pas abandonner Arestim et son Histoire derrière nous comme cela... C'est là que nous avons grandi et c'est là que nous devons continuer à vivre. Cependant je pense sincèrement que nous devrions nous pencher sur la problématique soulevée par Anrgrim...

Il porta sa main valide sous son menton avant de reprendre, observant la toile de la tente sans vraiment la regarder.

- Il y a quelque chose d'intéressant, dans son idée. Peut-être que nous pourrions... apprendre autre chose.

L'expression était lourde d'implicite. Lui avait pleine conscience de ce qu'il entendait par là. A Lysandre de comprendre ce qu'elle pourrait en tirer.

- Mais d'abord, il est impératif de songer à reconstruire Arestim, du moins est-ce ma conviction. Il faut pour cela établir une manière de faire, en parallèle avec le conflit d'intérêt qui s'annonce.

Il reporta son regard sur son Chef.

- Qu'en pensez-vous ?

Lysandre acquiesça distraitement la tête. Elle repensait en effet aux différents murmures quelle avait entendu à propos d'Arngrim et de ce qu'il semblait vouloir annoncer à l'ensemble des Survivants. Mais comment elle ne souhaitait pas s'étendre sur le sujet, le Chef d'Arestim Dominae leva la main pour indiquer que la discussion, à ce sujet, n'était pas pour tout de suite, et finit par conclure :

" Je ne laisserai pas le frère de Laclaos et le Pontife recréer ce climat infecte que la Gérax a détruit. Si tout n'est que ruine et désolation, le déchainement des Dieux aura au moins eu pour bienfait de nous offrir la possibilité de repartir sur des bases plus saines. " Imposa-t-elle. Et la perspective de voir de nouveaux des oppositions sournoises, des plans et des stratégies la rendait nerveuse, hargneuse même, car elle n'avait pas l'intention de les laisser reproduire le chaos des derniers temps d'Arestim.

" Je conçois pourtant les théories et les messages d'Arngrim, et c'est pourquoi je dois lui rendre visite. Tout comme je discuterai avec Kal'Berrick. Quant à notre avenir, je peux comprendre que tu souhaites, comme beaucoup des survivants de cette catastrophe, reconstruire Arestim sur les cendres de ce qui fut. Nous aurons le temps d'en discuter plus tard..."

Elle laissa un instant un silence, observa le vin si peu goûteux sans pourtant reprendre quelques lampées de piquette. Certes, la douleur ne s'arrangeait pas, mais il faudrait bien s'y habituer... Elle promettait d'être présente dans son corps pendant encore bien longtemps. En se redressant, Lysandre signifiait alors qu'il était temps de se quitter : elle devait voir Arngrim, c'était décidé, et ne pas remettre à plus tard cette entrevue. Il fallait faire vite, car avant toute décision, les tombeaux des Olarils ayant péri sous les foudres de la Gérax devaient être creusés.

Mais avant cela, elle avait encore quelque chose à répondre :

" La gestion pratique du campement est l'affaire d'Ergan Dialon. S'il est satisfaisant dans son rôle, les reconstructions pourront être de son fait. " Lysandre fit quelques pas vers l'ouverture de la tente, et d'un geste, l'invita à sortir, un petit signe de tête ponctua son mouvement. " Je serai à ta disposition si tu rencontres des problèmes pour la constitution de la Garde. Et je veux être consultée pour toute décision. " Alors que le début de la phrase était amicale, la fin semblait bien plus rigide. Mais elle ne voulait pas qu'en plus de cette garde religieuse, sa propre garde se montre illégitime.

Le regard d'Amiguel se perdit dans le lointain lorsque Lysandre prononça ces quelques mots:

- Je serai à ta disposition si tu rencontres des problèmes pour la constitution de la Garde. Et je veux être consultée pour toute décision.

Il acquiesça d'un signe de la tête, mais ses idées étaient à des années lumières de là. Et si Lysandre se trouvait dans l'incapacité d'être consultée ? Et si lui-même était dans l'inpossiblité de la joindre à propos d'un décision cruciale ? Ces occasions risquaient de se présenter. Dans ces cas précis, il serait obligé d'agir seul. Puis, il n'aurait qu'à se justifier, ce serait tout.

Et puis, Ergan Dialon... " De son fait "... Peut-être que oui. Peut-être que non. La reconstruction passerait par lui, aussi. Il imprimerait la nouvelle Arestim de sa marque. Ergan Dialon était son cousin, et, il l'avait senti, il était de la même veine que lui. Il aimait le pouvoir acquis et redoutait de le perdre. C'était une faille à exploiter. Ce trouble était parfait pour assurer sa propre position et se servir de celle du Dialon.

Amiguel se releva avec difficulté, s'empara de sa béquille et se pencha vers Lysandre. Il déposa, naturellement, un baiser sur son front. A croire que les feux de la Gerax avaient littéralement changé sa manière de percevoir les gens et d'agir avec eux.
Puis il se redressa, fit volte-face et se dirigea, chancelant, vers la sortie de la tente.

- J'essaierai de ne pas vous décevoir, Lysandre.

Puis il sortit. Haut dans le ciel, Machian volait en cercles nerveux.