Politique d'administration

Amiguel observait l'entrée de la tente. Il était allongé sur sa couche, au repos. La visite d'Oril s'était avérée fructueuse. Il partait d'un bon pied. Désormais, il avait toutes les cartes en main... Il était maître dans son domaine, et, même depuis son état d'allitement, il pourrait jouer ses atouts en toute connaissance de cause.
La seule chose qui lui manquait, désormais, c'était l'accès aux données chiffrées résultant de la catastrophe. Cela lui permettrait de connaître le rapport de force entre les Opposants à Lysandre et ses Partisans. Quels leaders ? Quelles ambitions ? Quels agissements ?

Machian s'était envolé dans la matinée et n'était plus revenu. Sans doute avait-il besoin de chasser. Toujours est-il qu'Amiguel ne s'en soucia pas et qu'il se concentra sur les événements récents.

* La Gérax s'est réveillée. La masse va avoir deux options: renier les Dieux ou croire à leur toute puissance furieuse. Il faut que les Olarils renoncent à leur croyance archaïque pour qu'ils puissent avancer. Je m'en chargerai tôt ou tard. Ensuite, la question est de savoir comment Lysandre va réagir. J'ai bien l'impression qu'elle n'est pas apte à se mouvoir et à se représenter elle-même. Cela va pencher en sa défaveur. Même si Nydearin devient son porte-parole, elle va perdre davantage de crédibilité, et certains vont profiter de sa faiblesse pour augementer leur ascendant sur la masse. A partir de là, est-ce que je dois moi aussi renoncer à la soutenir... ? *

Il médita longuement à la question. Il ne savait pas comment allaient évoluer les choses. De plus, il avait le pouvoir indirect de renforcer la position de Lysandre. Il avait déjà agi en sa faveur. Il serait bête de renoncer après cela. Au contraire, si Lysandre sortait victorieuse d'une telle épreuve...

* Il faut à présent que je rencontre un certain nombre de personnes. Certaines viendront facilement, mais pour d'autres, ce sera moins simple... Il faudra attendre que je puisse me déplacer. D'ici quelques semaines. Une ou deux si je me repose plus qui'l ne le faut. Ensuite, si tout se passe comme je l'ai planifié... *

Un léger sourire en coin éclata sur son visage. Il n'avait rien perdu de sa superbe, même dans la blessure. Amiguel Garthesia était toujours le Malin.

* Vesper est mort, ainsi qu'Eldar. Vesper représentait un gêne moindre dans ses derniers temps de vie, mais Eldar avait été lui un réel problème à échelle durable. Problème totalement réglé, désormais. *

Il ne subsistait plus aucun obstacle à ses projets. Hormis des moucherons du type de Sorastrata ou de Luminara... Il les balaierait aisément, aucun doute. Restait à savoir qui d'autre pouvait à présent faire surface de chaos ambiant et profiter de la faiblesse de Lysandre pour faire prévaloir son charisme ou son ambition politique. Si de telles personnes se manifestaient, il faudrait également s'attacher à les réduire à néant, ou alors à les utiliser de manière subtile avant de s'en débarrasser.
Amiguel ne craignait rien. Il se sentait tout puissant, même dans son état précaire. Son optimisme était à la hauteur de sa mégalomanie. Il sentait qu'il avait le contrôle de la situation. Et cela se résumait en un seul nom...

Soudain, du bruit le tira de ses pensées sournoises. Il fronça les sourcils lorsque quelqu'un pénétra dans sa tente: Ergan Dialon, l'administrateur Garthésia. Son cousin par la mère.
Il ouvrit un instant la bouche, surpris, mais aucun son ne sortit. Ce serait à Ergan d'entamer la discussion.

Depuis le matin, Ergan Dialon arpentait le campement, et se lançait dans la tâche énorme d’organiser le chaos qui avait suivi la Catastrophe. On le voyait très souvent, s’appuyant sur son bâton avec sa démarche dissymétrique en train de donner des ordres secs par ci, et des directives par là. Il faisait autant preuve de douceur que de fermeté dans la conduite des opérations. Dans son élément, l’Administrateur avait fait le bilan de ce qui avait été sauvé par la Catastrophe. Un des plus gros chantiers était l’estimation des pertes. On n’avait toujours aucune idée du nombre de morts, mais on ne commencerait à compter qu’à partir du moment où l’on serait sûr qu’il n’y aurait plus aucun survivant, à savoir incessamment sous peu. On n’avait pas vraiment d’idée non plus de ce qui avait été sauvé. Le moment venu, il faudrait de toute façon rassembler sous une seule direction toutes les possessions de tout le monde, afin de pouvoir les redistribuer.

Ce travail, s’il convenait parfaitement à Ergan Dialon, grâce à ses capacités exceptionnelles dans ce domaine, n’était pas non plus de tout repos. Malgré le temps qui s’était passé, personne n’avait vraiment relevé la tête et il était impossible de tirer d’eux des renseignements valables comme l’estimation du nombre de membres de leurs familles qui avaient disparus. Combien de fois Ergan Dialon n’avait il pas dû gérer les crises de larmes de ceux qui avaient perdu une mère, un frère ou un autre membre de leur famille. Les gens partageaient leurs états d’âme avec l’Administrateur qui à chaque fois était profondément gêné par cette situation. Il préférait encore faire l’inventaire de ce qui avait été sauvé. Puis il confiait à quelqu’un le soin de rendre les affaires à leur véritable propriétaire. Ce matin, on venait de fouiller la maison d’Amiguel Garthésia, qui aux dernières nouvelles avait été retrouvé dans un sale état mais vivant. Les équipes de déblaiement, montées par Nydearin et gérées par Ergan avaient retrouvé dans ce qui fut autrefois la chambre d’Amiguel l’armoire de vêtements défoncée, mais les vêtements eux même intacts, et un coffret qui contenait toutes les pierres précieuses de celui-ci. L’homme qui l’avait découvert avait tenté de le dissimuler sous son manteau, mais il n’avait pas échappé au regard de l’Administrateur. L’homme avait été renvoyé.

Pour éviter des situations de ce type, et surtout pour faire une pause, Ergan Dialon avait pris la décision de rendre les affaires en personne à cet homme. Il avait pris le sac de vêtements et le coffret, puis en s’appuyant sur son bâton de marche avait boité jusqu’à la tente d’Amiguel. La première chose qu’il avait fait était retenir où se situait chaque famille dans le campement. Il ne tarda pas à écarter le pan de la tente du Cousin.

Le Cousin Amiguel. Cousin par sa mère. Comme la plupart des Garthésia, Ergan l’avait souvent évité, et il fallait compter avec le fait qu’ils avaient une différence d’âge d’au moins quinze ans. On lui avait certes dit des choses sur son compte, mais Ergan avait pour principe de ne jamais croire en ce qu’il n’avait pas constaté de ses propres yeux. Dans le domaine de la gestion, c’était important. Dans le domaine relationnel, ca l’était souvent. Pour l’instant Amiguel avait l’air de ce qu’il était : un convalescent qui sort d’un cataclysme. Le boiteux et le convalescent se regardèrent un moment en chien de faience. Puis Ergan Dialon fit un pas et déposa le sac par terre.

« Bonjour, Amiguel, je suis Ergan Dialon, l’Administrateur. » dit il gêné, ne sachant pas réellement comment se présenter à cet inconnu familier. Il se racla la gorge.
« Suite à quelques fouilles ce matin, nous avons pu récupérer quelques affaires t’appartenant. Il y a en sommes des vêtements et un coffret abritant tes richesses. Rien d’autre n’a été exhumé. Au moins n’y avait-il personne chez toi, c’est toujours aussi pénible de devoir dégager des corps décomposés des décombres. Une vraie folie. Et je suis censé superviser l’organisation de tout ce chaos. »

Il déposa le sac sur le lit pour qu’Amiguel puisse inspecter le contenu.

* Rien d'autre ? *

Amiguel adressa un sourire reconnaissant à son cousin et se redressa doucement sur son lit, ce qui l'élança douloureusement. Mais il souhaitait inspecter ce qu'on lui amenait. C'était important.
L'inventaire correspondait à ce que lui avait annoncé Ergan. Il souleva avec prudence le sac et le déposa à ses côtés, puis s'allongea à nouveau.
Observant son cousin de ses deux yeux légèrement empreint de démence, il ne parla pas pendant un court moment.

Ergan Dialon avait une position de choix parmi les Garthesia, et était administrateur familial, ce qui était une tâche conséquente pour une famille aussi portée sur les chiffres, les inventaires et le recèle que la Guilde des commerçants.
Et, visiblement, celui ou celle qui dirigeait le campement le temps que Lysandre se remette totalement avait constaté sa compétence.

* Mes cousins ne sont pas tous des idiots, c'est très bien. *

Il s'était déjà posé cette question à plusieurs reprise. Les plus importantes, lors de sa rencontre avec Zéphir, et pendant l'entrevue qu'il avait eue suite au désastre qu'avaient constitué les jeux de Bakarne avec Nydearin.

Amiguel daigna enfin parler. Sa voix douce s'éleva dans la tente.

- Oui, je vivais seul. Il aurait été plutôt étrange de découvrir qu'un individu séjournait chez moi pendant la catastrophe.

Il tendit son bras valide vers la petite table de nuit installée à la droite de son lit et s'empara d'une outre. Il but quelques gorgées d'eau et la reposé, avant de déclarer:

- C'est bien que vous m'ayez apporté ça,cousin, surtout les gemmes. Je suis conscient que l'heure n'est plus à la négoce, mais ce qui reste d'Arestim repartira tôt ou tard sur d'autres bases, et chacun devra retourner à la place qui lui est dûe.

* Et la place qui m'est dûe, c'est celle du Sommet. *

Il lui désigna la chaise mitée sur laquelle Machian s'était perché quelques heures plus tôt.

- Installez-vous. C'est l'occasion de faire connaissance.

Malgré ses bandages et sa paralysie passagère, Amiguel conservait tout son charisme et toute sa prestance. Etre passé près de la mort avait peut-être même renforcé son côté " présent ", superbe. Il observa l'individu qui se trouvait en face de lui. Etrangement, il le fit penser au défunt Zéphir. Un homme simple à barbe. Cette pensée lui imposa de retenir un sourire amusé.
Il ne connaissait pas ce cousin. Pas du tout. Il ignorait tout de son mal à développer ses sentiments et à les exprimer. Il ne connaissait pas son malaise. Il voulait savoir de quoi il retournait. Il occupait une place importante au sein de l'Arestim de l'après-catastrophe, et était donc digne de considération. Peut-être même pourrait-il lui être utile. Comme Zéphir. Comme Nydearin.
Lorsque l'Administrateur se fut installé, il reprit la parole:

- Et qui vous a chargé de cette sombre tâche ? Je reconnais que vous étiez le mieux placé pour ça, mais c'est sacrément imposant.

Il rit doucement.

- Je suppose également que la personne qui vous a chargé de cette mission a trouvé de quoi vous satisfaire en contrepartie, car c'est du sang Garthesia qui coule dans vos veines, le sang de l'échange.

Il plongea son regard d'acier dans celui, sombre, d'Ergan. Attendant une réponse.

Ergan Dialon se mit à détailler l’homme qui lui faisait ainsi face. Bien qu’amoché, Amiguel restait plein d’assurance, et pour lui la convalescence n’était qu’un état transitoire. Il se sentit analysé par le regard de son cousin, mais l’Administrateur était tout à fait capable de le supporter. Bien souvent c’était lui qui devait jauger les gens pour savoir si cela valait la peine de les recruter ou pas. Aurait-il recruté Amiguel ? Tout dépendait de quel poste. Bien qu’étant beaucoup moins sensible que la plupart des gens, Ergan Dialon entendait tout de même au plus profond de ses entrailles une sorte d’avertissement. Mais il était si ténu, négligeable. Il n’empêche, pour un convalescent, Amiguel ne semblait pas traumatisé.

- Oui, je vivais seul. Il aurait été plutôt étrange de découvrir qu'un individu séjournait chez moi pendant la catastrophe.

Bien que le Dialon n’ait jamais fait attention aux rumeurs, il ne pouvait pas nier qu’il avait entendu parler de ceux qui fuyaient ce Garthésia. On parlait de folie, du fait qu’il était héritier de Panpale. Là encore, Ergan Dialon préféra prendre ces rumeurs avec beaucoup de prudence et vérifier par lui-même. Pour l’instant, rien de particulièrement effrayant, mis à part quelques petits détails. En toute circonstance, Ergan Dialon était très professionnel, et avait un esprit carré. Tant qu’il n’aurait aucune raison de s’inquiéter d’Amiguel, il ne le ferait pas. Il chassa pour de bon toutes ces pensées.

- C'est bien que vous m'ayez apporté ça,cousin, surtout les gemmes. Je suis conscient que l'heure n'est plus à la négoce, mais ce qui reste d'Arestim repartira tôt ou tard sur d'autres bases, et chacun devra retourner à la place qui lui est dûe.

Au moins, son cousin ne perdait pas le nord. Il réflechissait à l’avenir. C’était reposant après tous les malheureux. Ergan Dialon repensa en frissonnant à cette mère de famille qui s’était accroché à lui pour pleurer sur son épaule. Effrayé, il avait failli la frapper. Heureusement, il avait réussi à se maîtriser et n’avait fait que sursauter. Au moins, ce genre de chose n’arriverait pas à Amiguel. Quelle place serait donc dûe à Amiguel ? Avant la catastrophe, il détenait un commerce, ce qui était très rare à son âge, et il tournait à peu près rond. Amiguel tenterait donc de remonter son commerce. Sauf si… les rumeurs à propos de son appétit étaient vraies et dans ce cas, ce serait plus haut. Impossible de savoir. Pour son cas personnel, Ergan Dialon espérait sincèrement qu’il resterait à un poste comme celui qu’il avait actuellement.

- Installez-vous. C'est l'occasion de faire connaissance.

Ergan Dialon s’assit sans rechigner. Faire connaissance. Il n’était pas contre, ce serait une pause appréciable dans sa journée de fou. Et puis, il était temps qu’il revienne dans le monde normal et qu’il s’intéresse aux autres. A presque trente-sept ans, il était plus que temps.

- Et qui vous a chargé de cette sombre tâche ? Je reconnais que vous étiez le mieux placé pour ça, mais c'est sacrément imposant. Je suppose également que la personne qui vous a chargé de cette mission a trouvé de quoi vous satisfaire en contrepartie, car c'est du sang Garthesia qui coule dans vos veines, le sang de l'échange.

Comment lui répondre ? Comment pouvait il lui dire qu’en échange de ce poste Nydearin lui avait offert la résurrection ? Quelle plus grande contrepartie au monde pouvait exister ?

Nydearin lui avait offert une raison de vivre. Car c’était bien plus qu’un passe temps que la gestion, c’était sa vie, son monde, sa raison d’exister. Il était né pour gérer. C’était le seul domaine où son handicap mental ne le gênait pas, et même l’avantageait. Lorsque Nydearin lui avait proposé d’administrer ce qui restait des Olarils, il ne lui avait pas confié une occupation. Il lui avait confié une seconde chance, une deuxième vie. Mais Ergan Dialon était trop rentré en lui-même pour confier tout ca. C’était trop personnel.

« Nydearin Hirune a eu la gentillesse de me proposer ce poste, en connaissant mes capacités dans ce domaine. Quand on a l’occasion de sortir de son lit, on n’hésite pas n’est ce pas ? Il avait besoin d'un gérant et moi j'avais besoin de... d'occupation »

Ergan Dialon se permit un petit sourire ironique. Cependant, il avait mal maîtrisé son ton, et on avait pu entendre la reconnaissance qui imprégnait les mots.

Amiguel Garthesia écouta parler l'homme qui se trouvait en face de lui. Aux première paroles, il tiqua intérieurement.
Nydearin Hirune ?
Il avait bien entendu, ce nom n'était des plus courants. Leur cousin commun avait donc décidé de nommer Ergan Dialon administrateur de ce qui restait d'Arestim Dominae. Dès lors, on pouvait en déduire que c'était Nydearin qui se chargeait du campement et de la direction des opérations le temps que Lysandre se remette. Cela confirmait l'impression qu'il avait ressentie lors de leur tout premier entretien. Le Grand Prêtre d'Hésione était bien plus prompt à aspirer au Pouvoir qu'il ne le laissait paraître.

* La gentillesse ou l'habile manoeuvre ? *

N'importe quel Olaril aurait pu prendre ses actions pour un dévouement héroïque, une suppléance nécessaire et providentielle. Personne ne savait de quoi il retournait réellement. En revanche, Amiguel, lui, savait.

* Il va falloir que je surveille ça de près... *

Puis son attention se porta sur le ton étrange qu'avait pris la voix du cousin administrateur. Il ne sut d'abord pas concrètement le détermina, puis décida simplement de l'assimiler par défaut à de la reconnaissance. L'hésitation dans la rhétorique d'Ergan indiquait également qu'il avait modelé la réalité de ses propos à sa façon.
Il prit la parole.

- Je suppose qu'il est judicieux de la part de notre cousin de vous avoir choisi, vous êtes de loin l'homme de la situation.

Puis il haussa un sourcil, l'air troublé.

- Mais qu'entendez-vous donc par ce " besoin d'occupation " ? Pardonnez-moi, mais, il me semble que vous boitiez... N'étiez-vous pas en convalescence ?

Il lui sourit, engageant. Rien, dans l'attitude d'Amiguel, ne révélait de mauvaises intentions. Au contraire, c'était un parfait cousin qui s'intéressait un peu à la vie d'un membre de sa famille. Le seul hic résidait dans la sempiternelle lueur étrange de son regard...

Ergan Dialon tiqua franchement face aux questions. Elles étaient personnelles, elles étaient presque une agression. L’Administrateur hésitait entre une réaction de panique et une réaction de colère. Il regarda son cousin histoire de voir si c’était réellement son intention. Un sourire engageant, une pose détendue. A priori, non, Amiguel n’avait pas voulu l’agresser en étant aussi inquisiteur. Puis Ergan se rendit compte que de toute façon, ses limites personnelles à lui étaient loin d’être celles des autres et se maîtrisa.

Il fit un sourire forcé. Il fallait répondre aux questions. En étant le moins personnel possible, car se rapprocher trop de quelqu’un était toujours une torture pour cet handicapé du relationnel. Se concentrer sur autre chose, détourner la conversation… Ou bien tout simplement affronter la question, et en ressortir vainqueur en ayant repoussé ses limites.

« Vous êtes trop gentil, cousin. Il est vrai que j’ai certaines capacités dans ce domaine, mais elles ne sont rien sans le travail. Et malgré tout, il y a beaucoup de travail. J’étais libre. Effectivement je ne suis pas sorti indemne des secousses. Outre mon… »

Son ton se brisa au milieu de sa phrase. Puis, légèrement enroué, il reprit :

« Mon fils qui y est resté, j’ai également eu un accident de charrette et je me suis retrouvé boiteux. Par la suite et bien… J’étais on va dire traumatisé et j’ai eu quelque peu du mal à remonter la pente comme beaucoup de monde. Mais du point de vue physique, mis à part ma jambe, tout allait bien »

Il insista sur le « comme beaucoup de monde », en prenant bien garde d’être inclus dans la « normalité ». Il venait déjà de se dévoiler beaucoup trop à son goût, il ne fallait pas en plus qu’il passe pour un marginal. Il était déjà assez suspect d'avoir de telles capacités dans le domaine de la gestion pour ne pas rajouter cette barrière entre lui et les autres.

« Nydearin connaissant ma réputation, est venu me tirer de ma torpeur. Actuellement Lysandre n’est pas en état d’assurer totalement son rôle, et son mari n’était pas vraiment à l’aise avec les petits détails de logistique. Ce n’est pas son métier. En revanche c’était le mien. Il ne faut pas chercher plus loin la raison. Avec un bâton, une jambe boiteuse est supportable hein ? »

Ergan Dialon rit sans conviction. Evidemment, il avait laissé filtrer pas mal d’informations en quelques phrases, mais l’Administrateur n’en avait cure et surtout était bien plus gêné d’avoir été aussi personnel plutôt que d’avoir laissé filtré des informations pareilles. Il avait un sourire crispé encore.

« Et vous cousin, comment vous êtes vous sortis de cette catastrophe ? Votre convalescence durera encore longtemps ? »

Ca y est, on ne parlait plus de lui, Ergan Dialon fut soulagé.

Amiguel avait écouté attentivement d'Ergan Dialon. En apprendre un peu plus sur une personne que l'on jugeait intéressante était toujours fructueux, et il comptait tôt ou tard exploiter ces précieuses informations, mais pas maintenant. Ergan, en plus de lui en apprendre sur lui-même, lui avait également confirmé que c'était Nydearin qui s'occupait du campement Olaril.

Il rit en coeur avec son cousin, avec un peu plus de conviction que lui, cependant, y mêlant condoléance et compréhension. La mort du fils de Dialon correspondait à la mort d'un membre de sa famille. Il se devait d'avoir bonne figure.

- Vous avez toute ma sympathie pour la tragédie qui vous a frappé.

Il avait commencé par ces quelques mots pour répondre à la question qui lui était adressée. Puis il poursuivit d'un air sombre.

- Ma mère, votre tante, a péri avec mon père pendant ma catastrophe. Je ne sais pas quand, ni comment, mais on m'a rapporté la découverte de leurs corps... Ma consoloation réside dans le fait que, jusque dans la mort, ils sont restés aimants et ensemble.

Il laissa planer un silence gêner au cours duquel une atmosphère étrange règna. Il semblait profondément touché par cette perte, mais se montrait également comme un homme fort qui surmontait les difficultés de ce type et passait outre son chagrin pour penser à aller de l'avant.
Enfin, il décida de répondre précisément à la question, quoique que ce fut tout relatif:

- ... Je ne sais plus vraiment. Il me semble que j'ai beaucoup marché, que je suis tombé dans une crevasse, depuis laquelle je ne sais pas comment je me suis tiré. Ca reste très flou... Mon esprit a refoulé ce passage, le choc était trop violent. Le seul souvenir précis qu'il me reste de cette avanture est la silhouette d'Oril Elanessë, lorsque celui-ci m'a récupéré non loin d'ici.

Il adressa un sourire triste à Ergan.

- Je ne le remercierai jamais assez.

Puis il laissa le silence planer à nouveau, avant de passer à un tout autre sujet. A l'extérieur, le vent se leva et siffla sur la tente, comme annonciateur d'une prophétie véridique.

- Il va falloir reconstruire Arestim, en faisant le deuil de nos proches disparus. Les choses vont changer, Ergan, et il faut des gens impulsent ces changements, pour le bien de tous. Arestim ne peut pas totalement redevenir ce qu'elle a été, je pense que vous en êtes conscient...

Il sembla chercher ses mots. Peut-être était-ce simplement une pause rhétorique.

- Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Je ne sais pas, et je ne me sens pas à même de juger. Vous, qu'en pensez-vous ?

Amiguel dévoilait un peu de l'intelligence et de la pensée dont il était capable. Il attendait qu'Ergan fasse de même. Un début de plan commençait à germer dans son esprit le concernant.

Ergan Dialon ressentit un petit malaise face à l’annonce de la mort des parents d’Amiguel. Lui-même avait appris depuis quelques jours que ses frères Wilhelm et Jormand, ainsi que sa sœur Galan était morts dans les décombres du magasin. Ses propres parents étaient en état de choc, et il ne fallait pas parler de sa dernière sœur qui était carrément murée depuis la mort de son frère jumeau. La rencontre entre Ergan et sa famille avait été très dure à vivre, car l’Administrateur était là à titre purement professionnel, et il avait dû soutenir sa famille, alors que lui-même était encore bien fragile. Cela faisait des années qu’il ne voyait plus vraiment tout le reste de la famille Dialon, et en apprenant la mort de ses frères, il avait appris également l’existence de neveux et nièces. Et la première chose qu’il avait dû faire en tant qu’Oncle avait été de les consoler.

C’est pourquoi lorsqu’Amiguel évoqua la mort de ses parents à lui, Ergan Dialon frissonna. Ce n’était pas tant la mort qui dérangeait l’Administrateur, c’était le deuil. Le deuil, avec ces émotions incontrôlées, cet abandon des vivants. Le deuil, qui régnait en maître depuis la catastrophe. Un mort n’était jamais qu’un mort. Un endeuillé, c’était un fou projetant sa peine aux quatre vents. Et forcément l’administrateur Dialon devait gérer ca aussi. Dans des situations comme celles-là, il se renfermait rapidement en lui-même et ne présentait plus qu’une coquille d’huître à l’extérieur.

C’est à peu près ce qu’il fit face à Amiguel. Tout le temps qu’Amiguel raconta son sauvetage et ses sentiments sur la mort de ses parents, Ergan Dialon resta de marbre, le visage immobile. C’était une simple protection. Tout au plus se permit il un sourire mince, lorsque son cousin remercia Oril Elanessë. C’était de la politesse.

Puis on passa à un sujet bien plus brûlant.

- Il va falloir reconstruire Arestim, en faisant le deuil de nos proches disparus. Les choses vont changer, Ergan, et il faut des gens impulsent ces changements, pour le bien de tous. Arestim ne peut pas totalement redevenir ce qu'elle a été, je pense que vous en êtes conscient... Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Je ne sais pas, et je ne me sens pas à même de juger. Vous, qu'en pensez-vous ?

Un instinct avertit Ergan : La question était loin d’être innocente. On le jaugeait, il était observé. Comment faudrait il réagir ? La réponse fut simple : le plus naturellement du monde, la seule limite étant les projets dont lui avait fait part Nydearin, qui eux devaient rester secrets, et qu’Ergan ne devaient même pas laisser soupçonner.

Il s’accorda un temps de réflexion. Un temps assez long. Son esprit combinait les projets à toute vitesse.

« Nous sommes encore dans l’état d’urgence. Mais il faudra bientôt abandonner les recherches de survivants et effectivement faire le deuil. J’ai déjà lancé le recensement des morts et disparus. Après, pour moi la priorité sera de survivre à l’hiver. Nous devrons je le crains tout mettre en commun et distribuer. Que deviendra Arestim entre temps ? Je ne sais pas. Des nouvelles têtes profitent de l’alitement de Lysandre pour se lever. Le petit frère de Laclaos hier a appelé à l’exil. On m’a rapporté que Kal’berrik Filianel, le Pontife qui jusqu’ici s’était peu montré, prêchait assez violemment contre Lysandre.

Ces gens là impulsent le changement, mais dans des directions différentes, ce qui fragilise encore plus la cohérence des Olarils. Il faut compter désormais aussi avec Nydearin. La situation politique s’est singulièrement compliquée depuis la Gérax. Avant les opposants existaient, mais n’avaient pas de chef ni de direction claires. Depuis la catastrophe, c’est comme si une pression avait été supprimée. Moi-même bien sûr j’ai rarement été d’accord avec Lysandre, elle a fait à mon sens plusieurs erreurs de gestion et surtout des erreurs stratégiques et politiques. Mais je ne crois pas qu’elle puisse concentrer sur elle tous les malheurs de la terre.

Que deviendra Arestim ? Tout dépendra de qui prendra finalement la domination. L’avenir n’est pas du tout tracé. Si Arngrim Edorta prend l’ascendant, il exilera notre peuple par delà la Gérax, sans aucune préparation. Si c’est le Pontife, je crains qu’il n’évince Lysandre pour se mettre à sa place, et installe alors une façon de diriger qui ne soit beaucoup plus strict que ce qu’on ait connu jusqu’ici. Quant à Nydearin, il a quelques alliés et beaucoup d’ennemis…

C’est pourquoi je me concentre surtout sur ma tâche. Nydearin a su m’apprécier, il n’est pas sûr que les autres en fassent autant et maintenant que je suis à ma place, je ne supporterais pas je crois d’être évincé pour quelqu’un de moins compétent mais plus loyal. »

Et c’était vrai. Ergan Dialon ne supporterait pas que l’on remette en cause ses compétences. Il serait prêt à en mourir. Il avait goûté d’une certaine façon au pouvoir. Et quand le pouvoir nous abandonne, on en meurt. Il se rendit compte d’une partie de sa personnalité dont il ne s’était pas rendu compte jusqu’ici : la soif de reconnaissance.

Mais jusqu’où pouvait aller l’âme humaine ? D’une façon ou d’une autre, il était désormais imbriqué dans les évènements.

L'esprit d'Amiguel Garthesia partit en trombe. Décidément, Ergan Dialon était un précieux informateur, qui lui donnait les bonnes nouvelles au bon moment, précisément et sans superflu. Il avait eu une très bonne idée de lui apporter personnellement le peu des effets personnels qui lui restaient.

Le petit frère de Laclaos... Sans doute un intrigant de piètre envergure qui cherchait à faire parler de lui... A moins que ? Appeler à l'exil n'était pas une mince déclaration... Surtout que cela relevait de sa propre idée. Il n'aimait pas cela. Cela le privait de sa supériorité intellectuelle. Non pas qu'il en doutait, car il était convaincu que personne n'avait pu atteindre un tel degré de conscience pour imaginer que les Dieux ne soient qu'humains et venant d'une autre contrée, pas même Arngrim Edorta. Mais si l'opération se réalisait, le constat serait fait, et la gloire ne lui revenait pas. Il faudrait enrayer le phénomène, ou alors suivre le mouvement, bien se placer et frapper fort au moment voulu.
Le Pontife Kal'Berrik également, ne devait être qu'un personnage de seconde zone. Il n'avait jamais été présent plus qu'il avait été nécessaire, et son rôle n'avait été que de la figuration. A moins que là encore, une volonté et des appuis plus puissants ne se dissimulent derrière cette agitation soudaine.

Amiguel médiata longuement ces aveux, et décida de porter son attention sur ces piailleurs dès qu'il en aurait l'occasion. Les réduire à néant, ou... s'en servir subtilement. Une vocation, un axe, une droiture.

Ensuite Nydearin... Nydearin revenait avec une force redondante dans la conversation, il paraissait clair que son importance physique avait clairement et considérablement prit de l'ampleur, et ce de manière surprenante. Amiguel doutait de sa capacité à la mettre en sourdine lorsque Lysandre reprendrait du poil de la bête. Plus contraignant qu'ennuyeux, cela constituait une certaine gêne.
Une gêne qu'il serait toujours en mesure de balayer en temps voulu.

Amiguel esquissa un sourire. A haute voix, il déclara:

- Ceux qui détiennent un pouvoir refusent de s'en séparer, cela va dans l'ordre naturel des choses. Je comprend votre position, mais je vous suggère de ne pas trop vous attacher à votre position, ni de pousser les choses à l'excès. Si vous veniez à être destitué de votre statut de Gestionnaire, il ne faudrait pas que vous agissiez à l'extrême.

C'était un comble, lui que le Pouvoir attirait comme un aimant, qui désirait dominer les autres pour les conduire dans la voie qu'il imaginait la meilleure et se procurer la Gloire, mais qui prodiguait des conseils de modéré, de désintéressé.
Il poursuivit son propos:

- Toutefois, vous pourriez toujours assurer vos arrières et empêcher que quoi que ce soit ne vous porte atteinte...

Il laissa son cousin méditer sur la question. Il avait parlé avec fluidité, et enchaînait sur un autre sujet, laissant sous-entendre qu'il y avait des voies, des chemins qui permettaient d'asseoir son pouvoir et sa position.

- Ces hommes que vous citez impulsent le changement dans une voie que vous jugez mauvaise. L'est-elle pour autant ?

Un léger sourire se dessina sur le coin de ses lèvres.

- La morale et la marche à suivre est une question de point de vue, elles ne sont pas immuables et varient en fonction des temps, des lieux et des personnes. Arestim a subit un déchaînement des forces naturelles.

Notez qu'il ne mentionna pas le terme " divines ".

- De fait, il y aura un changement politique, c'est inévitable. Est-ce un mal d'espérer trouver meilleure pitence par-delà la Gerax ? Est-ce un mal de tenter d'apaiser la colère des Dieux en imposant un mode de vie et des valeurs strictes pour nous guider vers la voie de la pureté ? Encore, est-ce un mal d'essayer de changer le mode de fonctionnement d'Arestim en profondeur ?

Il émit un petit rire douloureux.

- On ne peut pas se permettre, en tant qu'Olarils, de juger de cela. Tout comme on ne peut pas se permettre de juger le système qui a été mis en place jusqu'à présent. Rien de tout cela ne dépend des individus. En revanche, tout dépend de la société. C'est la société olarile qui juge et connaît les bons aboutissements de ses décisions. Lysandre conduit la société. Je pense sincèrement que Lysandre va devoir changer sa façon de faire, muter le système olaril pour convenir aux attentes nouvelles, combler le coeur vide des victimes et panser les plaies spirituelles des veuves et des orphelins.

Silence. L'orateur parlait bien.

- Je suis un soutien inébranlable de Lysandre, et j'apporterai mon aide à chacune de ses actions tant qu'elles ne transgresseront pas ma vision des choses, car en effet, elle ne peut être tenue responsable des récents événements, encore moins de tous les maux du monde. C'est aussi une victime, comme nous autre.

Cette phrase prenait tout son sens en elle-même. Tout était relatif dans l'esprit d'Amiguel, et son propos pouvait revêtir tous les sens possibles et imaginables. Mais lui seul avait une idée précise de ce qu'il entendait par là.

- Je suppose que vous voyez où je veux en venir. Vous, Nydearin, et ces réformateurs de l'ombre cherchez à instaurer quelque chose de nouveau. Un nouvel ordre, qui passe d'abord par la reconstitution des pièces du puzzle éparpillé qu'est devenu Arestim Dominae. Je suis même persuadé que d'autres encore se lèveront. Pour ma part, j'aiderai Lysandre à mener les Olarils d'une main de fer, par tous les moyens qui me sont possible, et afin que l'ordre nouveau naisse des cendres de l'ancienne Arestim.

* Et plus encore... *

Il acheva enfin son discours.

- Ensuite, le changement se poursuivra, Arestim grandira, s'élèvera... Et des personnes comme vous prendront de l'importance à mesure que la croissance de notre communauté prendra de l'ampleur.

Il ne mentionna pas la suite de son idée. Elle résidait en l'exil proposé par Arngrim Edorta.

Amiguel entama un discours, et très vite, Ergan se retrouva embarqué dans une suite de raisonnements d’une logique implacable qui ne lui laissait pas d’autre choix que d’accepter ce qui était dit.

La première chose que son cousin dit fut de ne pas trop s’accrocher à son poste. Ergan Dialon était d’accord avec sa tête, mais pour le reste, c’était le contraire : ce poste était quasiment le seul travail qu’il pourrait décrocher avant longtemps, et il avait une valeur particulière, comme si toute sa vie n’avait été faite que pour ce poste. Ne pas agir de façon extrême était facile à dire, mais impossible à faire.

- Toutefois, vous pourriez toujours assurer vos arrières et empêcher que quoi que ce soit ne vous porte atteinte...

La phrase fit tiquer l’Administrateur. Qu’est ce que cela signifiait ? Manger dans plusieurs râteliers ? Amiguel développa sa pensée et Ergan Dialon se retrouva une nouvelle fois embarqué dans un raisonnement implacable et intouchable. Non rien ne prouvait que Arngrim Edorat et Kal’Berrik Filianël avaient tort, mais ce qu’il y avait de plus profond chez Ergan Dialon s’y opposait : l’Administrateur était un homme qui avait besoin de beaucoup de points de repères, et de plus de stabilité que les autres. C’est pour ça que tout ce qui touchait à l’exil le rendait nerveux. Du jour au lendemain s’arracher du familier pour aller dans l’inconnu… C’était au dessus des forces d’Ergan Dialon.

La seule idée sur laquelle il fut complètement en harmonie avec son cousin, c’est lorsqu’on parla des changements politiques irrévocables à venir. Oui, on ne pourrait plus diriger Arestim comme avant, on ne pourrait pas faire comme si rien ne s’était passé, et de toutes façons, les rivalités étaient déjà trop présentes pour revenir en arrière.

Dans la dernière partie du discours, une question particulière tourmenta l’administrateur Dialon. De quel côté était Amiguel ? Il prêchait autant pour chacun des trois camps, tenait des propos neutres au possible et au final n’affirmait aucune position. L’esprit d’Ergan Dialon étant fait pour diviser le monde en catégories et sous catégories, Amiguel y était « inclassable » et c’était très irritant. Il se concentra d’autant sur ses propos. De quel côté était il et que voulait il faire ?

Oui, Lysandre devait relever cette nation en deuil qu’était Olaria, et il n’y avait aucun problème. Amiguel semblait être un de ses partisans les plus convaincus, ce qui jurait avec la neutralité qu’il avait affiché précédemment. Cela gênait beaucoup l’Administrateur.

Il ne buta pas particulièrement sur le terme de « victime » appliquée à Lysandre, car Ergan Dialon attribua d’autorité une signification au mot, et n’en changea pas. Lysandre était victime physique de la Gérax et victime morale des opposants qui la frappaient plus ou moins dans le dos. Point barre.

Amiguel parlait de « nouvel ordre », pas de difficultés particulières, mais ce qu’il décrivait était flou. Des têtes surgissaient de partout, d’accord. Et tous travailleraient à la reconstruction d’Arestim ? Moins d’accord. Il y avait des intêrets contradictoires, et personne ne travaillait vraiment dans la même direction, ils s’annulaient les uns les autres.

La place qu’Amiguel s’attribua, aux côtés de Lysandre à co diriger « d’une main de fer » le fit franchement tiquer. Et quelle serait la place de Nydearin ? Qui était donc ce cousin pour être aussi sûr de lui ? Ergan Dialon commença à regarder Amiguel d’un autre regard…

A la fin du discours d’Amiguel, bien que globalement Ergan ne pouvait pas ne pas être d’accord, il était mal à l’aise avec ces idées. Et ce qui le gênait le plus, c’était le positionnement exact d’Amiguel, toujours pas classable en catégories et sous-catégories.

« Et bien Cousin, il est difficile de s’élever contre votre logique, mais… quel rôle exact prendriez vous ? »

C’était un test, une occasion de voir ce que voulait cet Amiguel qui venait de lui dévoiler des choses qui l’incitaient à la prudence. En aurait il trop dit ?

Amiguel observa son cousion d'un air sidéré, comme étonné par sa question. Mais enréalité, il n'en était rien. Il s'était attendu à cela, et avait d'ors-et-déjà préparé une réponse.
Quelle position occuperait-il, lui-même ? Il avait volontairement passé sous silence sa personne individuelle pendant son discours, dans le but de scuciter l'attention de l'Administrateur.

De manière primordiale, il voyait plusieurs évolutions dans le déroulement des événements à venir. D'une part, les mécontentements pouvaient être rassemblés par une seul et unique personne et conduire cette personne au Pouvoir, par la simple force des choses, le renversement de Lysandre, l'élimination radicale des opposants à ce coup d'état, et peut-être même une guerre civile au sein des lambeaux d'une civilisation brisée, un bain de sang superflu qui n'aurait qu'une seule issu: la fin du règne de Lysandre, et le début du règne de leader opposé à elle. La fin d'un despotisme pour le commencement d'un autre, pas forcément meilleur, pas forcément plus mauvais.
C'était ce à quoi il avait pensé lorsqu'il avait eu 14 ans. Une pensée fugace, qui n'avait rien à voir avec ses plans et ses ambitions politiques actuelles, mais qui relevait de sa nature prompte à la Domination.

D'autre part, Lysandre pouvait également peu à peu les problème et tout rentrerait dans l'ordre avec le temps. Peut-être pas sous son règne, mais en étalant les tâches sur plusieurs générations, en nommant des successeurs loyaux et fidèles à sa ligne de conduite, droits et disciplinés. Les oppositions seraient d'abord réduites, amoindries, puis progressivement tues et proscrites, pour que tous adhèrent à l'engagement solennel de Lysandre et de sa lignée.
C'était quelque chose qui était encore possible du temps d'Eldar, et avant le déchaînement du volcan. Le Chef de la Garde aurait - Amiguel en était persuadé - affublé ses hommes d'un pouvoir de plus en plus conséquent, sur ordre de Lysandre, et la sécurité, l'ordre et le calme se seraient installés, comblant les mécontentements et les frustrations. C'était désormais inenvisageable, mais ça l'était déjà à l'époque, car Amiguel souhaitait avoir sa part de Gloire dans l'affaire, et ce n'était certainement pas sur plusieurs générations que cela se produirait.

Une autre éventualité consistait en le morcellement des parties des survivants, la désintégration progressive de la société et la fin de l'administration. A cause des oppositions, des opinions et des idées divergeantes. Le retour à la barbarie et à l'errance dans les plaines. A proscrire. Amiguel ne pouvait pas guider vers la lumière un peuple encore plus régressif que ce qu'il n'était déjà.

Enfin, il restait le changement profond, puissant et irrévocable. Un changement impulsé par les actions concrètes et visibles de Lysandre, soutenues par son action discrète mais tout autant importante. Jusqu'à ce que...

De manière secondaire, Amiguel ne se départissait pas de son aspiration ultime et de ses idées fondamentales: le passage de la Gerax et la découverte de la vérité sur les " Dieux ".
Le reste de son plan était bien plus sombre et sournois, nous décidons donc de le passer sous silence pour le moment.

Amiguel décida pour la première fois de confier une partie de ses convictions personnelles à autrui. C'était le moment. Le processus était lancé.

- Il y a quelque chose derrière la Gerax, Ergan, j'en ai la certitude. J'aimerais être la personne à l'origine de la découverte de ce quelque chose. Et quel est ce quelque chose, me demanderez-vous ?

Il afficha un petit sourire énigmatique.

- La Terre des Dieux.

Il n'en dit pas plus. C'était à Ergan d'écouter, d'analyser et d'interpréter la réalité à sa façon. Il le jugeait intelligent, et il était convaincu qu'il comprendrait, même s'il le passait sous silence, l'étendu de son propos.
Calme, il posa son regard presque apaisé d'avoir parlé d'une telle pensée novatrice à quelqu'un.

Qu’entendait donc Amiguel par aller sur la Terre des Dieux ?

Certes c’était une vieille légende que derrière la Gérax commençait un autre monde, mais pour quelqu’un d’aussi terre à terre qu’Ergan, derrière la Gérax, c’était derrière la Gérax. Son cousin s’était tu, en le regardant un peu fixement. De toute évidence, il attendait une réponse, et une réponse à la hauteur. Encore un test.

Il faudrait revenir à la bonne vieille analyse au mot par mot. S’il suivait cette analyse littérale, Ergan Dialon en arrivait à la conclusion suivante : Amiguel était un doux rêveur à la recherche d’absolu qui poursuivait une sorte de quête personnelle. Irrecevable, vu ce qu’il avait entraperçu d’Amiguel. Il ne s’était pas montré jusqu’ici particulièrement enclin à la rêverie.

Ergan Dialon construisit un deuxième raisonnement en prenant pour base des implications politiques. Cela rejoignait ces histoires de départ et d’exil. Cette thèse lui plaisait beaucoup. Elle avait le mérite de s’imbriquer dans le précédent discours d’Amiguel où il n’avait pas dénigré ce genre de solution. Sauf qu’il n’en parlait pas, il parlait juste de découvrir ce qu’il y avait derrière la Gérax. Et de le découvrir le premier. Un projet personnel qui ne cadrait tout d’un coup plus avec ce qu’Ergan pensait.

A moins qu’Amiguel n’ait des arrières pensées plus politiques et qu’il comptait mener une expédition vers la Gérax avec lui à sa tête. Et pourquoi pas le peuple Olaril tout entier ? Non non non, ca ne cadrait pas, quelque chose ne collait pas. Dans la tête de l’Administrateur tout allait à la vitesse de la pensée, mais quoi qu’il fasse, il y avait toujours quelque chose qui le séparait de la vérité.

Il admit arbitrairement qu’Amiguel comptait monter un projet d’exploration qui avait pour but d’aller au-delà de la Gérax. Cela servait de point de départ à la suite du raisonnement : Qu’espérait il trouver là bas ?

Soit il trouvait le paradis et y installerait Arestim, et tout le prestige lui reviendrait, soit il rencontrerait les « dieux » et négocierait avec eux, et tout le prestige lui reviendrait également. Soit il n’était pas du tout croyant, et il monterait sa propre faction.

La dernière idée qui passa par la tête d’Ergan Dialon fut qu’Amiguel voulait tuer tous les Olarils pour les envoyer au plus vite auprès de dieux. Là, il se dit qu’il était temps d’arrêter de gamberger.

« La Terre des Dieux ? En somme vous voudriez partir dès que vous serez prêt, pour faire comme… Arngrim Edorta. Pour faire quoi ? Gagner du prestige ? Montrer la voie du renouveau ? »

Ergan Dialon venait d’être frappé par le fait que dans la longue tirade qu’Amiguel lui avait servi, il avait cité Nydearin, Lysandre, le Pontife, mais pas le petit frère de Laclaos. Pourquoi cette ommission ?

Un sourire éclata sur le visage d'Amiguel. Ergan n'avait pas frappé loin de la réalité. Gagner du prestige et montrer la voie du renouveau... Peut-être, mais pas l'un sans l'autre. Une synthèse des deux.

Amiguel voulait éclairer les Olarils, les sortir de l'ignorance, leur montrer qu'ils n'étaient pas soumis à des lois divines, mais que seule la nature agissait, le hasard et les circonstances. Prouver l'existence d'une autre civilisation, plus ancienne, plus avancée... Etablir un contact, d'abord amical, puis commercial... Et enfin...

Le commerçant avait de la suite dans les idées. La Domination, le Pouvoir, le Triomphe... Tout cela était synonyme pour lui. Il ne laissait pas de place au doute ou à l'errance intellectuel. Tout était clair: les "Dieux" n'en étaient pas et n'étaient que des êtres humains, "d'autres Olarils", d'un lieu lointain géographiquement, mais tellement proche intrinsèquement. Ils avaient eu la chance de venir d'une civilisation ancienne, donc avancée, dotée de l'écriture et de la lecture, de l'art de forger les métaux inconnus et de les extraire du sol.
Le bracelet qu'il portait à son bras gauche en était la preuve: le métal était issu de ce qu'avaient amené les Dieux avec eux. La sculpture, en revanche, avait été l'oeuvre d'un Olaril dont le nom avait été oublié, et était médiocre, par ailleurs. L'un des ancêtres d'Amiguel se l'était procuré par X façon, et par hérédité, il s'était retrouvé entre ses mains. Il ne s'en séparait jamais: c'était le symbole de son aspiration, le symbole de son intelligence, et de sa supériorité.

Sans doute encore le pays des Dieux était doté d'autres sciences, d'autres techniques ancestrales qu'il restait aux Olarils à découvrir... Et sans doute leur société, depuis l'arrivée des "Dieux", avait-elle encore évolué.
Amiguel ne pouvait qu'espérer que cette évolution se soit portée en direction de la Décadence, et d'une Décadence des plus rapides. Il était convaincu qu'Arestim avait effectué une perpétuelle descente, une hcutte vertigineuse dans l'enracinement coutumier et traditionnel, au lieu de se servir du savoir accordé par la famille-venue-de-par-delà-la-Gerax pour s'élever, croître et emmagaziner de la connaissance, de la puissance et de la richesse. Depuis le temps, Arestim aurait dû devenir une société développée, savante et expansionniste. L'ensemble de la partie connue d'Olaria aurait dû être pacifiée, concquise et annexée, et des corps expéditionnaires auraient dû traverser la Gerax pour s'encquérir de l'inconnu.

Au lieu de cela, le déclin, la conservation du Savoir par les chefs et les érudits, la complaisance dans la tradition et la coutume. Et lorsqu'un Chef tel que Lysandre décidait de changer un peu les choses, et rien qu'un peu, le peuple se soulevait presque.
C'était inadmissible. Cela ne pouvait pas continuer.
Or, l'heure était au changement, en effet. Et c'était à Amiguel de montrer la voie.

Il tourna son visage vers Ergan et lui dit lentement:

- Je ne veux pas faire comme lui... Lui désire oublier ce côté-ci de la Gerax, du moins c'est ce que je pense lorsque vous parlez d'exil. Quant à moi, je vous parle de reconstruction d'une part, et de découverte d'autre part... Ne voyez-vous pas ?

Il émit un rire doux.

- C'est d'évolution et d'Ascension, que je vous parle, Ergan.

On entendit un puissant flappement d'ailes à l'extérieur de la tente. Machian traversa une légère ouverture des pans de la tente et vint se percher sur le pied du lit en passant en trombe devant Ergan, lui fouettant le visage de ses plumes. Il émit un piaillement. Amiguel lui adressa un signe de tête:

- Voici Machian, Ergan. Il y a quelques morceaux de viande crue dans le pot, derrière vous, et s'il est venu, c'est pour manger. Voulez-vous bien lui en donner quelques morceaux ?

C’était une solution qu’Ergan Dialon n’avait pas du tout envisagé. Reconstruire Arestim ici même, mais sur un socle fondamentalement différent. C’était encore une quatrième solution, différente des trois autres. Le Dialon se passa la main sur le front, en craignant la difficulté de la tâche qui lui était désormais attribué. Il devrait diriger une communauté divisée en trois factions, plus une qui attendait son heure et l’occasion propice. Durant l’hiver, on tâcherait de survivre et de se préparer, mais au Printemps, les oppositions allaient se déclencher toutes en même temps, et l’ambiance parmi le peuple olaril deviendrait exécrable. La Division attendra le printemps cependant.

Lysandre et Nydearin qui voulaient opérer un déplacement mûrement réflechi, Arngrim Edorta qui proposait un exil aussi rapide que possible, Kal’berrik Filianël qui n’avait pas d’autre projet que de renverser Lysandre, et maintenant Amiguel qui attendait tapi la bonne occasion de devenir un chef naturel. Il n’avait pas parlé de Lysandre dans son triomphe, et les projets qu’il avait décrit ne correspondaient pas à ceux du chef. Amiguel incarnait bel et bien un quatrième camp, qui serait loyal tant que l’on irait dans son sens à lui. Le regard d’Ergan Dialon sur lui changea radicalement, il savait maintenant à peu près à qui il avait à faire. Et il savait que compter sur ce cousin serait difficile. Tant qu’on irait dans le sens des projets d’Amiguel, il n’y aurait pas de problèmes, mais quand est ce que l’on s’en écarterai ?

Ergan Dialon se demanda s’il devait en parler à Nydearin. Il se dit qu’après tout, le mari du chef devait savoir à qui s’en tenir, Amiguel avait souvent traîné dans l’entourage de Lysandre, le couple était certainement au courant. De toute façon, ceux qui causaient actuellement le plus de tort étaient Arngrim et le Pontife. Avec une mention spéciale pour le Pontife, car lui sapaient la base du pouvoir de Lysandre tandis qu’Arngrim ne faisait que tenter de faire suivre derrière lui le plus de gens possibles. C’était peut être davantage à Nydearin de s’occuper de ce problème, mais Ergan Dialon se dit qu’il faudrait un jour ou l’autre rencontrer ces deux personnes, ne serait ce que parce qu’elles interféraient dans son travail.

Mais au fait, l’idée d’Amiguel était elle si mauvaise ? Ce qui dérangeait l’Administrateur, ce n’était pas la voie choisie par Amiguel mais le fait qu’elle soit en dehors de celle choisie par le chef, et pour quelqu’un d’aussi à cheval sur les règlements qu’est l’administrateur, c’était une erreur. Le Dialon était trop carré pour accepter les déviances. Il avait choisi son camp.

Cela dit, et si Lysandre avait tort ? Peut être… peut être qu’elle avait tort. Peut être que ce que proposait Amiguel était juste. Mais où pourrait on reconstruire Arestim ? Sur place, cela semblait difficile, autant construire une autre ville ailleurs, ce serait plus rapide, et le plus loin possible, au cas où la Gérax exploserait de nouveau. Quand à profiter de ces éventuels "dieux" ou quoi que ca puisse être, il faudrait envoyer des gens pour les chercher… Et si Amiguel était incorporé dans l’expédition d’exploration qui irait dans cette direction, malgré le fait qu'il n'y ait rien de ce côté ? Cela allait dans le sens de ses projets et on pouvait être à peu près sûr qu’il le ferait avec sérieux. En parler avec Nydearin, il n’y avait aucune raison qu’il soit d’accord.

L’aigle pénétra dans la tente et Ergan Dialon se prit son aile sur le visage. C’était très désagréable que de se faire agresser ainsi. Ergan cracha puis entendit son cousin lui demander de nourrir le rapace. Bien que l’Administrateur ne ressente pas d’attirance particulière pour l’animal, il acquiesca, prit le bol et le mit à hauteur de Machian. L’aigle commenca aussitôt à plonger la tête dedans et à se baffrer. Ergan Dialon ne le quittait pas des yeux et veillait à ce que le rapace ne s’en prenne pas à ses doigts.

« Evolution et Ascension. Un bien beau programme. Si vous êtes celui qui réussissez à le mettre en place, vous acquérerez bien plus que du prestige, vous acquéreriez du pouvoir grâce à vos relations avec les éventuelles choses qui se passent derrière la Gérax. La question que je me pose, c’est qu’en feriez vous ? »

C’était limite une question de réthorique. Le but de la question n’était pas de savoir ce que ferait Amiguel du pouvoir, mais surtout de signaler à son cousin qu’il avait compris ce qu’il cherchait. Dans ce domaine là, Ergan Dialon n’avait pas besoin de ne pas être handicapé pour comprendre.

Il détourna le regard du rapace un moment et lanca un regard appuyé sur le rapace, histoire de souligner cette idée : L’Administrateur avait compris.

Ergan avait compris quelque chose. Il avait probablement compris que le fait d'obtenir le pouvoir permettrait à Amiguel d'exercer la domination tant convoitée sur les Olarils. Mais par pure hypocrisie, il ne fallait pas répondre ouvertement à la question rhétorique, et nier tout en bloc, ou pluôt détourner la solution au problème.

Comme il l'avait toujours fait, et tel qu'il le ferait toujours.

- Gardez-vous bien d'imaginer que je détrônerai Lysandre, cousin !

Il rit doucement.

- Je ne suis pas de ceux qui mangent du pain sur son dos ou encore qui crachent calomnies et perfidies en son absence, non. Je veux aider Lysandre à atteindre cette visée que j'ai pour moi-même.

Sourire étincelant.

- Je vous l'ai dit, je suis son soutien. J'emploirai tout ce que je pourrai pour l'aider et asseoir sa position de Chef. Vous n'êtes pas sans ignorer les rumeurs qui courent dans notre dos, à tous les deux...

Silence. Machian battit des ailes et envoya valser le pot vide. Amiguel soupira et joua des pieds pour chasser l'Aigle, qui piailla et s'envola à l'extérieur.

- Il est malpoli, mais ça reste un animal libre, fier et orgueilleux. Ne faites pas attention, on ne peut pas le dresser comme un chien...

Il marqua un nouveau temps d'arrêt avant de rprendre le fil de son discours.

- Je ne peux pas vous en dire plus, et je vous demande de ne pas divulguer quoi que ce soit à l'extérieur de cette tente... Je vous fais confiance. Mais sachez simplement que Lysandre me fait confiance au même titre que Nydearin vous fait confiance. Et je vous fait confiance, comme j'espère que vous-même me fassiez confiance. Il ne serait pas judicieux de briser cet accord silencieux.

La menace était claire, tout comme elle restait implicite. Amiguel était un fin palabreur.

- Considérez que nous oeuvrons tous deux pour la paix en ce qui reste d'Arestim Dominae. Si vous avez besoin de moi, faites-le moi savoir et j'essaierai de vous être utile...

Sourire en coin, presque cynique, mais imperceptile:

- ... en quelque domaine que ce soit...

Sur ce, il se tut. La conversation était terminée, c'était à Ergan de la clore. Tout avait été dit, aussi bien explicitement qu'implicitement. L'avenir jugerait de ce qui se passerait par la suite.

Ergan Dialon eut presque mal à la tête. Dans quelle catégorie devait il classer son cousin finalement. C’était officiellement un allié, avec des idées indépendantes et il attendait son heure comme un serpent. Ami ou Ennemi ? L’Administrateur ne savait pas et ça l’énervait prodigieusement. Pourquoi faut il toujours que les choses soient si compliquées ? Peu importe, il décida de statuer sur le sort d’Amiguel plus tard.

De toute façon, il ne fallait pas oublier sa place : Ergan Dialon n’était « que » l’Administrateur, certainement pas le chef ou Nydearin. C’était à eux de s’occuper de ce genre de finesses, à eux de voir venir le vente et le danger. Et le Dialon lui, devait s’assurer que la mécanique olarile tournait rond. Il fallait rester à sa place. Lysandre elle saura bien ce qu’il en sera.

Le rapace s’agita sur la chaise, faisant sursauter Ergan qui fit un pas de côté sans précautions. Il s’appuya sur sa jambe gauche et une douleur lui fit monter les larmes aux yeux. Il faillit perdre l’équilibre pour s’être appuyé sur sa jambe blessée. Sale bête ! Il fut soulagé lorsque l’aigle ressortit de la tente.

Amiguel demanda l’indulgence envers le rapace, et continua son discours. Confiance… Lysandre avait confiance en l’Administrateur, l’Administrateur avait confiance en Lysandre, Lysandre avait elle réellement confiance en Amiguel ? En tout cas, Ergan Dialon eut du mal à se fier à ces paroles. Il y avait quelque chose de caché dessous, presque sournoisement.

« Il ne serait pas judicieux de briser cet accord silencieux. »

Depuis quand Ergan avait signé ce genre d’accord ? Depuis qu’il avait accepté de servir sous les ordres de Lysandre et Nydearin, et qu’il s’était soudain retrouvé pris dans l’engrenage de la politique Olarile. Ce n’était pas le but, mais Ergan Dialon se rendit compte qu’en acceptant cette fonction, il avait accepté de nourrir une meute de loup. Désormais, l’Administrateur se situait sur le champ de bataille, coincé entre plusieurs camps de forces inégales. Il comprit la menace qui sous tendait les paroles d’Amiguel et dut ravaler sa réponse. Ergan Dialon voulait être simplement un bon gestionnaire, pas un politicard.

L’Administrateur eut soudainement la nostalgie des chantiers et du dehors. L’atmosphère dans cette tente était presque devenue irrespirable. Où en était l’équipe numéro six, qui s’occupait de déblayer l’élevage du Sabot d’Or ? Il fallait absolument contrôler tout ca.

« J’y songerais Amiguel, le cas échéant. En attendant, quoi qu’il arrive, il faut s’installer pour l’hiver, et je dois y aller. Bonne convalescence cher cousin, et à bientôt ! »

Il prit fermement son bâton de marche et sortit de la tente en clopinant, sans même vraiment prendre le temps de saluer.