Les Feux de la Gérax (Sélène, Rissalie et Rurick)

La jeune Selene Garthésia venait d'enfourner une série de délicieux pains briochés dans son four à bois. Elle avait toujours aimé l'odeur qui se dégageait lorsque la pâte commençait à se transformer en mie Elle aimait en prendre un, encore chaud, et le grignoter, savourant la délicate sensation fondante dans sa bouche.
Elle alla remuer l'huile bouillante dans son chaudron, anticipant un nouvelle fournée de brioches. Les pieds qui maintenaient la cuve étaient bancals. Son père avait toujours dit qu'il le réparerait un jour, mais il ne l'avait jamais fait. Mais elle avait pris l'habitude. Il suffisait de ne pas remuer trop fort, et de ne pas se heurter aux rebords du chaudron. Posant sa cuiller en bois, elle s'adossa contre le mur, et défit les premiers boutons de sa robe en toile. Sa peau suait.
Quelqu'un entra. Elle entendit le son si caractéristique de la petite clochette située sur le haut de la porte. Se redressant, elle alla accueillir le client.
Il s'agissait de Rurick Timberg et de son épouse, Rissalie, née Aryassat. Fraîchement mariés sous l'oeil approbateur d'Hegoa quelques mois auparavant, le couple venait souvent lui acheter du pain. Il fallait dire que la jeune demoiselle était enceinte, et que son appétit avait doublé. Son ventre rebondit présageait une naissance prochaine. Et vu la taille, ce serait très certainement des jumeaux. Elle était bien jeune, songea Selene.

« Comment se portent les jeunes mariés ? La grossesse de Rissalie arrive très bientôt à son terme, non ? » demanda la boulangère.

Un sourire radieux se dessina sur les lèvres de Rurick, qui porta sa main sur le ventre de sa jeune femme.

« Nous sommes allés voir Jivah l'Ancienne, elle nous a dit que les bébés arriveront au printemps. » fit-il, fier.

Selene exprima sa joie. Les naissances étaient toujours source de festivité et de bonheur. Quelques bonnes nouvelles en ces temps troubles étaient bienvenus. Pour une fois depuis longtemps, les Olarils se réuniraient pour célébrer la vie, et non la mort. C'était une bonne chose.

« Puisse Hegoa vous accompagner et bénir le fruit de vos semences » déclara tSelene.

Rissalie la remercia. Ses yeux verts brillaient d'un bonheur sans limites. La parturition était quelque chose de merveilleux. Porter la vie était gratifiant.
La boulangère leur demanda ce qu'il leur ferait plaisir, ajoutant qu'elle leur offrirait une brioche quand ces dernières seraient cuites. Le couple la remercia, et échangea un baiser chaste, mais plein de tendresse.
Selene leur tourna le dos un moment, pour aller sortir ses friandises. Elle attrapa deux gros gants de cuir et ouvrit la porte en fer du four. Les brioches étaient dorées à point, et n'attendaient plus qu'à être cueillies.
Mais jamais Selene Garthésia n'en aura l'occasion.

Le sol se mit à trembler, et un grondement naquit de nul part. Le coeur de la jeune Garthésia fit des bonds, elle sentit l'enfer qui venait de déferler en ce monde.
La marmite pleine d'huile bouillante chancela et tomba sur le sol en un fracas sourd, répandant sur la jeune boulangère son liquide ardent. Le cri qu'elle poussa lui arracha les cordes vocales. Ses jambes brûlées, dont la chair fondait, perdirent leur équilibre, et le corps de la jeune femme tomba la tête la première sur le sol. L'huile s'empara de la pauvre femme qui hurla de tout son être, gesticulant comme un poisson pris à l'hameçon. Elle se tordait de douleur au sol. Sa peau devenait lambeaux, ses yeux sortaient presque de leur orbites...
Ruruck Timberg, qui s'était précipité pour aider la malheureuse n'arriva jamais jusqu'à elle. Le plafond commença à se détacher, et la poutre de bois qui soutenait le mur porteur de la boulangerie tomba lourdement sur lui. Il mourut sur le coup. Dans ce même temps, d'autres morceau de terre chutèrent sur Selene, achevant à jamais sa souffrance.
Rissalie, qui était restée figée, sans rien pouvoir faire d'autre que de regarder la mort de son mari, se mit également à hurler. Profondément choquée, ne réalisant même pas ce qu'il se passait sous ses yeux, elle voulu se précipiter sur Rurick, mais d'autres pièces du plafond tombèrent violemment devant elle, lui empêchant d'atteindre son mari.
Elle voulu alors sortir de la boutique, et se précipita sur la porte, mais elle n'atteignit jamais la poignée. La clochette ne tinta jamais. Elle disparu sous des amas de pierre. Le reste du bâtiment ne tarda guère à s'effriter...
Mais ce ne furent pas simplement 3 vie qui s'éteignirent ce jour-là. Ni même cinq.