Eleron aurait préféré, mille fois, galoper dans les landes avant de gagner le sol plus souple des sous bois de l'Umber. Alors que Lysandre était apparut dans l'écurie pour le seller, l'animal avait semblé émettre cette demande, sans discrétion, par nombre de hennissements, et n'avait cessé de pousser le dos de la Chasseresse de son museau... Cependant, il avait certainement vite déchanté, en constatant que ses atours n'étaient pas ceux, fins et rudimentaires, qu'il arborait lorsqu'ils partaient tous deux en chasse. La déception s'était manifestée par quelques mouvements mécontents, rechignant soudain à se laisser faire pour desserrer ses dents et laisser passé son mors. Le Chef d'Arestim connaissait assez la monture pour savoir l'amadouer malgré son mauvais caractère, et elle lui promit, sans doute à sa façon, une compensation en avoine et en pomme...
Mais Lysandre, qui se serait sans doute amusée de voir les envies de liberté de son étalon en d'autres circonstances, paraissant bien maussade lorsqu'elle put enfin se hisser sur le dos d'Eleron. En le talonnant légèrement, chose presque inutile puisque le destrier avait de lui même prit le chemin qui menait aux routes d'Arestim par le Foyer, la Chasseresse se cala de façon plus droite, laissa sa paume contre la garde ronde de la Lame des Dieux qu'elle arborait. En laissant Eleron seul guide durant quelques secondes, elle alla jusqu'à vérifier n'avoir pas oublié sa fronde, précaution inutile certes, puisqu'elle avait déjà effectué cette reconnaissance trois ou quatre fois depuis qu'elle était sortie de ses appartements... Les temps trop lourds la rendaient nerveuse, sentiments qui passaient en Eleron avec clarté, et l'animal parut plus anxieux.
" Une simple balade en ville... Il nous faut nous montrer... " Souffla la jeune femme... Oui. Malgré le climat incertain qu'Arestim subissait, Lysandre devait prouver à l'ensemble des Olarils qu'elle n'avait aucune crainte à arpenter les rues de la cité, qu'elle se montrait fièrement les jours de marché, qu'elle ne craignait aucunement ceux qui se faisaient appelés "les Opposants". Fermant son visage une fois ces quelques murmures prononcés, pour peindre le masque de Chef qu'il convient et qu'on lui connaissait, l'Hirune talonna de nouveau la bête qui souffla bruyamment avant de troter jusqu'au contrebas, vers la Place des Ires.
Comme si rien ne pouvait échapper à Eldar, quelques membres de la Garde la rejoignirent rapidement, la saluant simplement avant de la précéder afin qu'elle ne soit pas encombrée des Olarils présents sur la Place. Il fallait avouer que, depuis les Jeux de Bakarne, ils étaient plus nombreux à s'amasser face à elle, qu'il s'agisse de la féliciter ou de lui témoigner son soutien. Les mots, à la volée, qu'elle pouvait percevoir en ce sens la soulageaient, mais elle n'en montrait rien, les gratifiant simplement d'un signe de tête plus sincère. Mais l'Alezan de la Chasseresse n'avait pas réussi à calmer la nervosité que Lysandre lui avait transmise. Il tirait sur les rênes, d'abord légèrement, et en constatant que son cavalier ne lui accordait pas d'attention, et face aux mouvements de la foule qui l'agaçaient, l'animal trépignait. Il donna de vifs mouvements d'encolure que le Chef d'Arestim dut canaliser assez fermement, imposant à l'étalon un port de tête serré et désagréable pour le cheval.
" Doucement... " Souffla Lysandre entre ses dents, mais Eleron sembla l'ignorer et attendit une seconde d'intention, où un Garde glissait quelques mots à l'oreille de l'Hirune, pour redonner un violent coup de museau, déstabilisant la jeune femme qui se pencha en avant pour retenir les rênes. Plusieurs rires se firent entendre dans la foule, et, orgueilleuse, la Chasseresse tira si fort sur les brides de sa monture que l'animal s'arrêta. D'un signe de tête, elle rassura l'un des soldats qui l'observait, prêt sans doute à agir en cas de problème. C'est alors que, au loin, dans un tambourinement qui se faisait terrifiant, qui s'approchait à une vitesse folle, on entendit des cris paniqués :
- Prenez garde ! Attention ! Le ... Le To... Le tonneau !! " Hurlait un gros sommelier vêtu d'un tablier originellement blanc, et maculé de tâches de vin. Il courrait en manquant, à chaque pas, de tomber, sur la pente que formait la rue d'où il déboulait. Il tentait par tous moyens de rattraper un énorme tonneau qui roulait, endiablé, jusqu'à la foule amassée devant le Chef. Plusieurs chevaux se cabrèrent, nombre d'Olarils prirent peur et s'enfuirent, les hommes empoignant les femmes, les femmes attrapant les enfants au passage, les chiens déguerpissant à toute vitesse.
Lysandre ordonna à Eleron de faire demi tour, mais à l'instant où l'animal montrait clairement des signes de désaccord, la Chasseresse constata qu'un jeune homme restait, seul, sur la trajectoire de l'imposant tonneau, qui fondait sur lui comme un rocher tombe de la Gérax. Sans attendre les concentements de son étalon, une violente claque retentit sur la croupe de l'animal qui hennit et se cabra, avant d'abdiquer. Partant au galop vers l'Olaril qui demeurait là, Lysandre se pencha alors, tendit le bras vers l'homme et saisit son poignet. Dans un mouvement souple enfin, elle le hissa derrière elle, et talonna de nouveau sa monture qui continua sur sa lancée dans les ruelles.
Un bruit de métal et de bois se fit entendre alors derrière eux : le tonneau avait fini sa course dans un mur de pierre solide, sans faire de blessés, mais en ayant donné à chacun une peur bleue. Une petite troupe s'était regroupée devant le cadavre de lattes de bois et de cerceau de fer, et les gamins déjà venaient sauter à pieds joints dans le vin qui s'écoulait sur les pavés. Alors que le sommelier arrivait en bas de la rue, essoufflé et tremblant, Eleron était déjà loin. Le Chef d'Arestim tira sur les rênes sans réussir à faire stopper son cheval, et les deux cavaliers semblaient à la merci de la bête mécontente.
Cependant, fatigué ou simplement calmé, il réduisit l'allure lorsqu'ils arrivèrent dans la partie du marché consacré aux équidés... Lysandre eut un sourire malicieux et se pencha pour pincer l'oreille de l'Alezan...
" Je vois... " Lança-t-elle, alors que sa monture redressait la tête avec un oeil attentif aux juments exposées par les marchands.
Il était désormais temps de voir qui la Chasseresse avait sauvé... Laissant Eleron seul maître de leur destinée, ou destination plutôt, elle se contorsionna lestement pour observer le visage du jeune homme imprudent. Etrange, elle ne se souvenait pas l'avoir vu en Arestim. A bien y réfléchir, il devait s'agir soit d'un Télaran, soit d'un Khelan, les seuls à souvent être hors du village. Elle reprit aussitôt un faciès impassible pour souffler :
" Tu devrais être plus prudent, à l'avenir... "
Mer 28 Jan - 15:03
