Les Tables d'Olaria
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 Il est un fantôme...

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Bellone Lastareth
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Bellone Lastareth


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MessageSujet: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyMer 2 Mai - 20:45

Elle était simplement venue faire réparer un défaut de conception sur sa nouvelle armure, et par elle ne savait quel tour, Bellone se retrouvait au bras du forgeron, persuadée par ce dernier de se faire offrir un verre dans l’un des bouges du coin pour qu’elle lui pardonne ce vice de fabrication. Quoi qu’un peu intimidée par cette invitation franche et pour le moins soudaine, la Générale n’avait pu qu’accepter, et ils s’étaient mis en route après qu’il eut fermé sa forge.
Loin de lui déplaire, Donal Cunkel était pour le moins un homme charmant et surtout charmeur, mais jusqu’ici, les occasions de le côtoyer hors du cadre de l’armée avaient été plutôt rares. De quatre ans son cadet, il avait la carrure du forgeron, des yeux vert pétillant de malice, et un sourire qui captivait toutes les dames (de nombreuses rumeurs circulaient d’ailleurs sur le nombre impressionnant de femmes que ce célibataire apparemment recherché avait pu ramener dans son lit).
Il avait obtenu avantageusement un contrat avec l’armée sur la majeure partie des armes et armures que les soldats, ainsi que les gradés, utilisaient. C’était le forgeron qui avait exécuté, presque avec brio, la commande de la Générale, d’où sa présence après qu’elle eut remarqué ce défaut gênant.

A mesure qu’ils avançaient dans le Quartier Humble où il la menait d’un pas sûr, elle ne pouvait s’empêcher de remarquer les regards de plus en plus attirés par l’étrange couple qu’ils formaient, déambulant dans les rues. La coupe de ses vêtements détonnait des frusques des passants, et pour une fois qu’elle s’habillait à la hauteur de son rang, Bellone en venait presque à le regretter. Ce soir là, elle avait jeté son dévolu sur une longue tunique ouverte couleur feuille morte brodée de fil d’or par-dessus une chemise de soie noire, un pantalon de lin de la même couleur et elle avait troqué ses vieilles bottes de cuir délavé et avachi par d’autres de cuir plus sombre lui montant jusqu’aux genoux. Et parce que les nuits étaient fraiches, un long manteau en laine vert aux attaches dorées mettait en valeur sa crinière rousse. Somme toute, elle devait bien admettre que pour une fois, son choix en matière vestimentaire la mettait plutôt en valeur.
Et malgré les regards appuyés qu’ils récoltaient au passage, plutôt que nerveuse, elle se trouvait étrangement détendue. Il était agréable de marcher ainsi, accompagnée par une connaissance appréciée. A dire vrai, cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi bien au bras de quelqu’un depuis… depuis le Bal et depuis Lui.
Un instant son fantôme l’effleura, ramenant à la surface le souvenir de celui qui lui était désormais perdu. Son sourire se fit plus vague tandis que la légère brise soufflait les derniers vestiges de la caresse de ses doigts sur son visage.
Imperturbable ou simplement inattentif, le forgeron pointa du doigt leur destination, une petite gargote coincée entre deux bâtiments deux étages plus hauts qui semblaient vouloir la faire disparaitre tant ils penchaient vers elle. De nombreux rires filtraient depuis la porte, à coup sûr, l’humeur du soir serait festive.

La salle était bondée. Ne voyant de places nulle-part, il la laissa un instant au bar, la priant de ne point disparaitre le temps qu’il aille vérifier si l’arrière salle se trouvait aussi encombrée que cette pièce ci. Par la magie propre aux taverniers de tous les horizons, mais sans comprendre de quelle façon, elle se retrouva une choppe de cidre à la main au goût plutôt insipide, siège et restrictions obligent. Les gens allaient et venaient tout autour d’elle, gaillards et souvent paillards, et prenant son mal en patience, elle s’adossa au comptoir, son verre toujours en main, son regard détaillant les nombreux convives de la salle.
Nombre d’entre eux se trouvaient déjà au-delà de leur limite et les rires et les conversations fusaient bon train. Jamais Bellone n’aurait pensé trouver une humeur si joyeuse parmi les habitants de la Cité avec ces temps sombres de guerre et de suspicion. Mais après tout, il y avait eu les festivités liées aux fiançailles du Gardan qui malgré tout, avaient mis en liesse la Cité. Les citadins pouvaient trouver là matière à décompresser, à oublier pour un temps cette tension qui empoisonnait insidieusement l’air. Ce lieu était propice à les décharger de ce poids pour quelques heures, et ils en profitaient tous. Quelques années et responsabilités en moins, sans doute se serait-elle retrouvée en un lieu identique, à boire avec ses soldats, encouragés par une Elenor déchaînée, comme ils avaient pu le faire de nombreuses fois. Ce souvenir attira un léger sourire sur ses lèvres qu’elle noya dans sa choppe.

Les yeux continuant à balayer la salle, elle repéra une silhouette qui lui semblait familière. Détournant le regard, Bellone ne put s’empêcher d’y revenir malgré elle. Elle avala quelques gorgées de sa boisson, attendant avec impatience le retour de Cunkel qui semblait avoir disparu dans l’arrière salle. Elle était presque tentée d’aller l’y dénicher, mais la silhouette de l’homme continuait à l’intriguer. Pourquoi y revenait-elle sans arrêt ?
Hésitante, elle observa le vis-à-vis de l’inconnu qui lui, ne lui disait absolument rien. Ses doigts tapotaient sur le comptoir tandis qu’elle restait indécise sur la conduite à tenir. Finalement, n’y tenant plus, elle avança vers la table pour satisfaire sa curiosité. Elle voulait savoir à qui appartenait ce dos qui l’intriguait tant.
Elle louvoya entre les tables et les convives passablement éméchés qui ne semblaient pas se préoccuper d’elle lorsque son regard croisa celui de l’interlocuteur de son inconnu. Ses yeux s’écarquillèrent – apparemment lui la connaissait – et il pâlit tout à coup.
Assurément, quelque chose n’allait pas, et observant le regard fébrile de son compagnon qui suivait l’avancée de la Générale, l’inconnu se retourna dans sa direction.

Un battement de cœur…
Tic !
T…
Le temps se figea, les secondes s’égrenèrent, lentement, s’étirèrent en un long ruban où elle pouvait visualiser, analyser, classer chaque détail qui lui était permis d’observer. Des vêtements sombres, usés, souvent rapiécés par endroit, habillaient l’homme dont la silhouette se trouvait plus étoffée que dans son souvenir. Ses cheveux châtains autrefois si soignés encadraient mollement un visage aux joues mangées par une barbe de plusieurs jours. Des rides qu’elle ne lui connaissait pas et une cicatrice barrant son œil gauche achevaient la transformation du personnage. Etait-ce Lui ? Il avait tant changé, et pourtant, à bien des égards, il demeurait le même homme. Elle retrouvait la flamme qui avait fait chavirer son cœur dans ses yeux grands ouverts, de stupeur. Ses yeux dans lesquels elle menaçait de se perdre comme autrefois, lorsqu’il la contemplait, amoureux, avant que… avant qu’il… Ses yeux s’écarquillèrent.
Elandor… ?

Un fantôme…
Son fantôme.
Le monde sembla s’éloigner, les discussions de la salle ne parvinrent plus à ses oreilles que sous forme d’un brouhaha indescriptible, puis le silence. Un silence ponctué par les battements de son cœur qui emplissait l’espace tandis que toutes ses sensations disparaissaient une à une. Il n’y avait plus que Lui et elle qui se regardaient droit dans les yeux, elle osant à peine croire que ce n’était pas un fantôme rappelé de ses souvenirs assis à cette table dans cette auberge. Toi …? Lentement, ses doigts s’entrouvrirent et laissèrent échapper la choppe, qui tomba, tomba encore, lentement, doucement, comme au ralenti, comme si le temps ne voulait plus s’écouler correctement, pour les laisser figer dans cet instant de stupeur où il ne lui était plus possible de penser, seulement de Le regarder.

…ac !
Le fracas de la choppe sur le sol lui fit quitter ce monde pétrifié, la propulsant avec violence dans la réalité.
Alors la douleur explosa. Telle un gigantesque raz-de-marée, la souffrance se déversa de son cœur déchiré, balayant tout sur son passage, emportant tout ce qui la maintenait encore debout, ne laissant que la Femme, mise à nue, seule avec sa peine, cette peine croissante qui enflait et rugissait dans tout son être. Elle croisa les bras sur sa poitrine, cherchant à retenir en son sein toute cette affliction qu’elle pensait enfouie si profondément que jamais elle ne ressortirait ainsi. Mais face à Lui, la déferlante avait balayé ces dernières défenses, la Militaire et la Noble n’avaient pas été suffisamment fortes pour protéger la Femme meurtrie.
Suffoquant sous la force du coup que sa souffrance venait de lui infliger, les yeux brouillés par les larmes, Bellone le vit se lever et avancer vers elle.

Non…

« Je t’aime Bellone, rien ne pourra plus nous séparer désormais, je t’en fais la promesse. »
Un mensonge alors ? Tout n’avait-il été qu’un mensonge pour lui ?
La phrase tournait, tournait et retournait dans son esprit, chaque mot martelé avec plus de force, avec sa voix, sa voix à lui, celle qui lui mentait aujourd’hui.


Non…
Ne viens pas !
Laisse-moi…
Je t’en supplie, reste loin de moi.
J’ai trop mal, je n’ai plus de protection.
Mon armure… ?
Reste loin, s’il te plait, n’approche pas !
Non…
Je ne peux pas.
Je dois… je dois… je…



Fuis !

L’ordre impérieux, dernier vestige de la Militaire, résonna dans tout son corps, et chaque muscle, chaque fibre y répondit, mués par un instinct de survie qui l’obligea à tourner les talons et courir vers la porte. Telle une automate, Bellone traversa la foule, bousculant de nombreuses personnes, fuyant cet homme, fuyant la source de ce tourment, fuyant cette ombre revenue d’entre les morts pour la faire souffrir, encore… Pourquoi ?
La porte s’ouvrit, vers la liberté, vers la paix, loin de cette affliction qui la torturait. L’homme qui allait entrer fut désarçonné par un éclair roux qui lui passa sous le nez et s’enfuit dans la rue.

Elle courait dans la nuit, sourde et aveugle à tout ce qui l’entourait hormis au cri de détresse de son corps et de son cœur, torturés par cette vérité soudaine qui lui causait plus de mal encore que celle, pénible, qu’elle avait du accepter tant bien que mal quelques mois plus tôt. Sa mort… sa disparition. Cela n’était donc qu’un mensonge. Mais alors… qu’en était-il de ce qu’ils avaient vécu ensemble ? N’était-ce que mensonge pour qu’il puisse l’abandonner ainsi ?
Pourquoi ?

Un pavé déchaussé la fit trébucher, et elle s’étala de tout son long sur la voie. La douleur physique fit atteindre son paroxysme à la souffrance qui suintait de son cœur, et se recroquevillant sur le sol, elle laissa libre cours à ses pleurs. Les larmes qui jusqu’ici coulaient silencieusement se transformèrent en sanglots déchirants qui la laissèrent étendue là, faible et hagarde, terriblement vide.
Combien de temps resta-t-elle ainsi, prostrée à même le sol, les joues sillonnées de larmes, totalement aveugle au monde extérieur ? Elle n’aurait su le dire. Le temps n’avait plus aucune importance, plus rien n’avait d’importance… Plus rien, hormis…

Une main, sa main, se posa sur son épaule. Cette main chaude, cette main caressante la saisit fermement, l’obligeant à se remettre debout. Elle était faible, épuisée, et chancelait sur ses deux pieds tandis qu’il l’aidait à garder son équilibre, d’une poigne rassurante. Alors elle leva ses yeux rouges et bouffis vers lui, et découvrit un visage baigné par les larmes.
C’en fut trop ! Il n’avait pas le droit. La douleur se mua en colère, la colère en rage distillant une nouvelle flamme qui réchauffait tout son être, chassant la faiblesse de son corps.
Elle le frappa, de toutes ses forces. Sa main gifla son visage sans prévenir, et le coup résonna dans la ruelle silencieuse, laissant une marque écarlate sur sa joue. Cet homme qu’elle avait aimé, qu’elle aimait toujours, cet homme qui avait partagé sa vie, cet homme qu’elle croyait mort depuis ces longs mois… Elle le frappa avec toute cette souffrance qu’elle avait du supporter seule, avec cet espoir farouche qui l’avait maintenue debout pendant une semaine d’angoisse, avec cette incertitude déchirante qui l’avait laissée dans un état second pendant si longtemps, avec cette fausse vérité qu’elle avait pourtant du accepter… Sa mort…

Comment avait-il pu la laisser seule ainsi pendant si longtemps et réapparaitre de cette façon, par un odieux hasard ? Comment avait-il pu disparaître ainsi de sa vie, sans un mot, sans même un au revoir ? Comment avait-il pu continuer à vivre de manière si insouciante tandis qu’elle se mourait lentement, à petit feu ?

Pourquoi ?

Et pourtant, et pourtant… son amour brûlait toujours de la même passion pour lui. Tandis qu’il se tenait là devant elle, ne pouvant détourner les yeux, Bellone ressentit toute la force de ses sentiments et ce besoin de lui… Ce besoin si pressant, absolu… qui annihilait tout le reste.
Alors n’y tenant plus, elle se jeta dans ses bras, se blottissant contre cet homme qu’elle pensait ne plus jamais revoir, sentant ses bras se refermer dans son dos dans une étreinte qu’elle aurait voulu éternelle. L’ombre qui la hantait avait pris corps et elle aurait voulu se fondre avec lui, en lui, pour ne faire plus qu’un, pour ne plus jamais le perdre. Les fantômes peuvent être faits de chair et de sang, le sien ne lui avait jamais paru plus solide.

Mais ce fut elle qui, finalement, s’écarta de lui, résolue à lui poser la question qui, elle le savait, finirait de l’achever. La gorge nouée, sans le quitter des yeux, Bellone articula dans un souffle ces quelques mots dont la réponse lui causerait plus de mal encore que sa prétendue mort…

« Comment as-tu pu… Elandor ? »
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Elandor Arlanii
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyLun 11 Juin - 10:28

Le soldat n’avait jamais croisé l’ancien Gardan Edorta, Eléni le lui avait assuré. Et sans ses atours, le visage fatigué et l’allure défraîchie, Elandor Arlanii ne ressemblait à rien d’autre qu’un humble de plus … C’est pourquoi il avait décidé de laisser son foulard nonchalamment noué autour de son cou plutôt que de le plaquer devant sa bouche et son nez. L’horrible tissu noir était devenu synonyme d’étouffement au fil des mois. Lui qui aimait tant s’afficher autrefois avait encore parfois du mal à devoir se cacher sans cesse, et il était agréable de pouvoir s’en passer. Nul capuchon pour entraver son champ de vision, nul masque pour lui faire voir la vie à travers les yeux d’un fugitif, d’un homme mort.
De toutes façons, l’endroit était bondé, impossible de le reconnaître parmi la foule de badauds qui s’entassaient devant la bière rance et rare. Ca riait, ça criait, ça s’agaçaient et ça s’invectivait. Personne ne faisait attention aux deux hommes qui, tranquillement, discutaient dans un recoin de la grande salle. Et l’Al’Faret gardait l’œil aux aguets, guettant d’éventuelles anciennes connaissances bien qu’il lui paraisse improbable de croiser un Noble dans un tel endroit, ce qui était précisément la raison de son choix.
Et puis, ça n’était pas n’importe quel soldat. Assez haut gradé, il avait de précieuse information sur le fonctionnement de l’armée, sur la grogne qui montait dans ses rangs mais aussi sur des choses plus triviales mais ô combien fondamentale comme les dernières informations tombées aux mains du Guet et leurs projets de rafle … Bien sûr, Elenor ou Eléni aurait parfaitement pu se charger de cette mission mais l’homme avait autre chose de spécial : il était proche d’Elle. Professionnellement, certes, mais il la côtoyait quotidiennement. Et quelques temps seulement après son engagement auprès d’Elenor, Elandor avait terriblement envie d’avoir de Ses nouvelles, à Elle. C’était sans doute un peu masochiste mais il en avait besoin … Savoir qu’Elle allait bien et, pour la première fois, malgré le déchirement, espérer qu’Elle était en train de refaire sa vie …
D’ailleurs, il profita d’un détour de la discussion pour demander, d’un air détaché, ce que la Générale pensait du mouvement dissident. Question anodine mais pourtant, son cœur battait plus fort que jamais.

S’il avait su … S’il avait su, aurait-il camouflé son visage ? Aurait-il décidé de La fuir encore une fois ? De L’abandonner à ses doutes, à son deuil ? Ou bien aurait-il forcé le destin ? Tôt ou tard, il aurait fallu Lui parler. Et plus il attendait, moins il s’en sentait capable …
Mais aucune de ces pensées ne s’agitaient sous son crâne alors qu’il fixait son interlocuteur d’un regard plus pénétrant qu’il n’aurait dû.
Un léger relâchement de sa part, le temps de goûter un peu de détente dans la bière fade dont on avait rempli sa chope. Elandor songea que, depuis le temps qu’il vivait là, il devait sans doute avoir oublié le goût puissant et délicieux des alcools qu’on lui servait naguère. Le liquide, rafraîchissant à défaut d’autre chose, lui descendit dans le gosier tendit que quelques gouttes s’écrasaient sur son début de barbe. Il les essuya d’un revers de manches, il n’était plus à ça près ! Et cela suffit à amputer sévèrement son champ de vision. Juste quelques secondes … Une éternité.
Et soudain, le visage de son vis-à-vis se déforma. Jolies coïncidences qui plaisent parfois à Therdone …

Le soldat avait l’air tellement agité qu’Elandor pivota tout naturellement vers le cœur de la salle, balayant rapidement les visages du regard. Jusqu’à …
Elle se tenait là, à quelques pas du comptoir, comme en mouvement, dans SA direction. Droite, habillée avec soin, magnifique. C’est à peine s’il nota mentalement ces détails qui s’incrustaient dans sa rétine.
Il pensait que, lorsqu’il La reverrait, le monde s’arrêterait autour de lui. Mais les bruits et le mouvement étaient toujours présents, dans la périphérie. Aucun gouffre ne s’ouvrit à ses pieds. Et s’il pensait rester paralysé à sa place, il se trompait. Il s’était levé sans même sans rendre compte et sa chaise s’écrasa sur le sol dans un fracas étouffé par les cris ambiants.
Son corps la reconnaissait, son cœur battait plus vite, ses muscles étaient déjà en mouvement et ses yeux la fixaient avec une intensité qu’ils ignoraient posséder. Une seule envie : parcourir la distance qui les séparait et La serrer contre lui, enfin.
Son interlocuteur n’existait plus. La Dissidence n’existait plus. Seuls demeuraient les murs ce boui-boui sale et bondé, et Elle.
Malgré lui, un sourire s’agrandit sur ses lèvres. Comment ne pas sourire ? La seule vue de ce visage lui remplissait jadis le cœur de bonheur et malgré les épreuves, malgré la distance, ce bien-être l’envahissait à Sa simple vue. Elle était là, plus rien d’autre n’avait d’importance.

Soudain, Elle laissa tomber la chope qu’elle tenait à la main. Sa chute, telle une détonation, sembla secouer son corps tout entier et la sortir d’une torpeur toute protectrice. Il vit ses épaules s’affaisser, ses bras qui enlaçaient son ventre dans un geste de souffrance pure. Et alors, tous les sentiments qu’il avait pu ressentir ces dernières semaines lui parurent dérisoire. Il avait cru endurer les pires tourments en prenant sa décision mais tout ça n’était rien face aux prunelles mordorées qui s’embuaient.

Non !

Il lui sembla alors revivre ce qu’il pensait ne plus jamais pouvoir supporter. La chute. L’eau qui se rapprochait dangereusement de lui, l’eau qui allait avoir sa peau, l’eau qui allait l’engloutir tout entier et le perdre. L’eau qui coulait de Ses yeux …

On dit que dans les moments les plus difficiles, là où la conscience peine à trouver la chose à faire, l’instinct prend le dessus. Sans même s’en rendre compte, Elandor s’était élancé vers elle, instinctivement. Elle avait mal, elle souffrait. Plus rien n’importait hormis la consoler.
Il mit quelques secondes à peine à réagir. Le temps que son cerveau, embrumé, ne donne l’ordre à ses muscles de se contracter, à ses jambes d’entrer en mouvement. Mais cela suffit. Elle s’était élancée vers la porte, les gens s’écartant sur son passage, impressionnés par sa tenue ou peut-être, par l’expression hantée qu’affichait son si beau visage. Elandor eut plus de mal à se frayer un passage au milieu la foule. Il n’était qu’un homme pauvre parmi les autres, de carrure moyenne. Pourtant, dans ses yeux, brillait la même détresse.

Une porte qui s’ouvre puis se referme dans son dos. La fin d’une ère.
Il ne sentait pas la pluie sur sa peau nue, il ne sentait l’air qui sifflait à ses oreilles alors qu’il courrait comme si sa vie en dépendait.
Il ne pensait plus à rien, la brume s’était faite plus dense, plus envahissante, terriblement angoissante. Il ne pensait plus à celle qu’il allait épouser par devoir et à qui il avait juré fidélité. Il ne pensait plus à l’avenir de son peuple, pour lequel il se battait depuis si longtemps. Son futur à lui, c’était Elle. Plus rien n’avait d’importance.
Paniqué, il crut l’avoir perdue lorsqu’il se retrouva à un embranchement. Mais les pavés glissants la ralentissait et il l’aperçut qui s’éloignait dans une petite rue. Il s’élança à sa poursuite, sans trouver la force de crier son nom. Ils avaient souvent couru ensemble pour s’entraîner, il connaissait son rythme, ses pointes de vitesse, ses faiblesses. Il aurait dû savoir qu’il était capable de la rattraper. Elle était douée mais son sexe féminin n’avait pu la doter des muscles puissants de son fiancé qui avaient regagné en force lors de ses descentes dans les bas quartiers. A l’endurance, peut-être aurait-elle eu une chance mais là, il aurait dû comprendre qu’il la rattraperait. Pourtant, son cœur s’affolait et il avait l’impression qu’elle s’éloignait un peu plus à chaque foulée. Tout comme il s’était éloigné d’elle en s’enfonçant chaque jour un peu plus dans cette nouvelle identité où elle n’avait plus sa place …

Il la vit soudain trébucher. Elle aurait été parfaitement capable de retrouver son équilibre. Elle avait toujours su avoir l’équilibre parfait, celui qui vous permet de ne pas vous retrouver au sol lors d’un combat, à la merci de votre adversaire … Mais elle s’écroula sur le sol et se recroquevilla sur elle-même, comme l’enfant au creux de son lit qui craint des démons imaginaires. Lan déglutit douloureusement. Il était son démon …
Il la rejoignit rapidement. La brume avait disparu, laissant place à un flot de pensée impossible à contenir. Des images, des souvenirs, des mots. Un passé tout entier qui défilait devant ses yeux.
« Je t’aime Bellone, rien ne pourra plus nous séparer désormais, je t’en fais la promesse. »
Des envies, des désirs, des regrets.

Il la releva machinalement, ses doigts peut-être un peu trop fermement enfoncées dans sa chair.
Ne tombe pas, je suis là. Je te soutiens.
Il aurait tellement voulu que ce soit vrai …

Elle leva les yeux vers lui et un instant, il eut envie de fuir. De ne pas voir le reproche dans ses prunelles claires, de ne pas voir la tristesse, la peur, la colère. Lâche, il n’était qu’un lâche … Cette pensée, révoltante, le força à rester sur place et à répondre à son regard.
Souffre, Elandor, souffre de la voir si mal. C’est une bien maigre punition aux vues de ce dont tu es responsable.

Il n’avait pas sentit les larmes couler. Mais il savait qu’il y voyait un peu moins bien et il fut forcer de reconnaître que le visage de la jeune femme se brouillait et que la pluie n’y était pour rien.
Il devait réagir, il aurait dû réagir. Il s’en sentait incapable. Comment lui dire, comment lui expliquer ? Comme l’apaiser ? Ses mots la détruiraient plus sûrement que son absence … Ces actes la répugneraient. Jusque là, il avait avancé et son chemin avait été parallèle au sien. Il avait agit comme il avait cru bon de le faire, même s’il avait conscience de l’abandonner peu à peu. Mais maintenant qu’elle était là et que leurs deux chemins se croisaient, il ne pouvait plus faire semblant. Il ne pouvait plus faire comme si son amour était secondaire.
Jamais il ne l’avait vue aussi mal, aussi détruite. Et pourtant, jamais il ne l’avait trouvée aussi belle. Le visage ravagé par les larmes, le corps tremblant presque, elle lui parut pourtant invincible, inaltérable.

Une pensée lui revint, d’un passé lointain où il n’était qu’un jeune arrogant, futur Gardan Edorta, sûr de son rang et de sa valeur. Des femmes, il en avait eu des dizaines. Certaines dont il n’avait fait que partager la couche, d’autres dont il avait possédé le corps entier et parfois même, l’âme. Il s’imaginait que sa vie serait ainsi faite, qu’aucune femme ne pourrait jamais le satisfaire et que, même marié, il aurait la liberté de papillonner comme il l’avait toujours fait. Il ne croyait pas en l’Amour. On pouvait s’amouracher, apprécier celle qui collait son corps au sien et même, tomber amoureux. Mais l’Amour, celui dont parlent les poètes, il n’y croyait pas.
Et même maintenant, face à Elle et le cœur réduit en miette, il continuait à trouver incroyable de pouvoir éprouver de tels sentiments. Ces deux-là n’étaient pas spécialement faits l’un pour l’autre. Ils auraient pu se croiser sans jamais voir leur relation évoluer. Mais ils s’étaient trouvés et ils avaient bâti un amour puissant, intense. Elandor ne croyait pas en l’âme sœur, en l’unique amour de toute une vie. Mais ce qu’il avait construit avec Bellone était unique. Peu de gens le trouvaient et jamais deux fois dans leur vie.
Alors peu importait qu’elle ne soit réellement la femme de sa vie, elle était celle qu’il avait choisit.

Ses pensées furent brutalement ramenées à la réalité alors que sa joue était encore cuisante de la gifle qu’elle lui avait donnée. Un amour trop intense peut-être … Il la regarda sans comprendre mais se heurta à une colère désespérée qu’il ne lui avait jamais connue. Elle se déchaîna mais ce fut avec un certain soulagement qu’il reçut ses coups. Délivrance. Plus elle frappait, plus la douleur se répandait dans son corps et plus il se sentait libre. Elle se vengeait et cela appliquait comme un baume sur son cœur. Il se laissa faire, impuissant, étonné de ressentir une once de plaisir à la voir s’acharner sur lui.
Frappe ma belle, frappe. Donne-moi ce que je mérite.

Les coups cessèrent brutalement et ce fut son corps qu’il reçut de plein fouet contre le sien. Ce corps dont il avait tant rêvé, qu’il avait tant désiré. Il la serra plus fort qu’il ne l’avait jamais fait. Nulle tendresse dans leur étreinte mais une passion. Violente, désespérée.

« Bellone. »

Sa voix rauque et enrouée le surprit. Elle ressemblait à la plainte d’un animal blessé.
Ne me quitte pas, reste-là, reste avec moi.
Il se sentait incapable de prononcer un mot mais son corps parlait pour lui, se lovant contre elle, l’enlaçant, la protégeant, l’étouffant presque.
Il aurait voulu que cet instant dure une éternité.

Mais elle se dégagea soudain et il eut l’impression de la perdre une nouvelle fois. Arrachement.
Quant à sa question, il ne put y répondre. Il détourna un instant les yeux, gêné. Puis il planta à nouveau son regard brun dans le sien, une résolution implacable planté dedans.
Je t’aime Bellone. Et je tiendrai ma promesse, je t’aimerai toujours.
Cet amour farouche qui brillait dans ses yeux, saurait-elle seulement le lire ? Ou n’y verrait-elle qu’un sursaut d’orgueil, qu’une preuve de son indifférence ?

La bruine avait presque cessé, ne laissant qu’une fine pellicule d’eau sur leurs cheveux et leurs vêtements.

Il ouvrit la bouche, la referma, mécaniquement. Aucune explication ne trouverait grâce à ses yeux car aucune explication n’était valable.

« Je l’ignore. »
Sa voix se brisa.
J’ai avancé, droit devant, en repoussant tout ce qui avait trait à toi. J’ai réussi à me convaincre que j’agissais dans ton intérêt et pour mieux te retrouver plus tard, mais c’était faux.
Il ne pouvait pas lui dire de telles choses, il ne pouvait pas lui faire comprendre à quel point il s’était berné lui-même.

« Je … Je n’ai pas pu. J’étais un mort-vivant, je n’ai pas pu te voir dans cet état-là … »
Il marqua une pause, le temps que sa voix reprenne un semblant d’assurance et cesse de trembler.
« Je n’ai jamais eu l’intention de te mentir ou de te tromper. Je voulais simplement redevenir l’homme que tu as connu avant d’aller vers toi. Je ne voulais pas comprendre que je ne serai jamais plus le même. »

Il la regarda à nouveau. Un pas les séparait, un gouffre, infranchissable.
Et Elandor restait paralysait de son côté de la faille. S’il avait pu traverser, il l’aurait fait dès le début. Mais à présent et comme lorsqu’il était sorti de l’eau, il s’en sentait incapable. Lui qui pouvait survivre à son meurtre et monter une armée secrète au cœur même de la ville était incapable de faire un pas vers celle qu’il aimait.
Si elle se détournait de lui et s’en allait, il savait qu’il lui faudrait plus de courage qu’il n’en avait jamais eu pour la rattraper. Il ne s’en sentait plus digne.

« Ne te détourne pas de moi. S’il-te-plaît … »
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Bellone Lastareth
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyDim 24 Juin - 20:06

Ses yeux se détournèrent un instant, comme s’il était incapable de lui répondre. Oserait-il éluder sa question ? Non, il n’en avait pas le droit. Après toutes les souffrances qu’il lui avait fait endurer ces derniers mois, il lui devait bien des réponses et il devait surement savoir qu’elle ne le lâcherait pas tant qu’elle ne les aurait pas obtenues.
Et tandis que les yeux de son fantôme venaient se replonger dans les siens, la colère de Bellone enfla à son nouveau, lentement, mais aussi inéluctablement que la marée sur les rivages. Car s’il ne disait mot, elle pouvait cependant lire dans ses yeux l’amour qu’il éprouvait encore pour elle. En un autre temps, en une autre époque qui lui semblait désormais si lointaine, cet amour lui aurait réchauffé le cœur plus que n’importe quoi au monde. Mais aujourd’hui, après ces longs mois de solitude et de douleur, ce regard provoquait en elle encore un peu plus de souffrance, encore un peu plus de tourments. Comment avait-il pu ?
Un instant, Bellone se demanda si elle n’aurait pas préféré ne trouver en lui qu’indifférence. Alors, elle aurait sans doute pu un peu mieux comprendre les raisons pour lesquelles il ne l’avait pas contactée après sa prétendue mort… les raisons pour lesquelles il l’avait abandonnée.
Mais tout ce qu’il put lui donner pour justification était qu’il l’ignorait. Quoi ? C’était tout ? Il ignore pourquoi et je devrais me contenter de ça ?
La voix de Lan se brisa sur ces deux mots, et c’est sous le regard assassin de son amante, ou plutôt de son ancienne amante, qu’il reprit son explication. Une explication qu’elle était loin de trouver satisfaisante et qui plutôt que l’apaiser, jetait davantage d’huile sur le feu de sa colère. Elle se sentait trahie et surtout, elle souffrait du manque de confiance manifeste qui transparaissait dans la démarche d’Elandor. Il avait eu peur de sa réaction si elle l’avait revu aussi changé. Pourtant, elle l’aimait. Elle l’aimait plus que tout. Elle l’aurait soutenu, elle l’aurait aidé, même s’il n’était plus tout à fait l’homme qu’elle avait connu. Qu’importe ce qu’il avait subi, qu’importe si les habits pauvres remplaçaient désormais la riche tenue, qu’importe s’il ne vivait plus dans le confort et le luxe du Palais mais dans une masure des quartiers pauvres, elle l’aimait et aurait continué à l’aimer. Mais il avait préféré s’éloigner d’elle, la laisser à l’écart, et plus que tout elle en était profondément blessée.

Les secondes s’égrenèrent lentement dans le silence, les yeux de Lan fixant les siens avec intensité, mais dans ceux de Bellone ne brillait qu’une fureur contenue. Et lorsqu’elle prit la parole, sa voix tremblait légèrement, d’une émotion difficilement maîtrisée.
« Que je ne me détourne pas de toi ? Mais c’est toi qui l’as fait en premier Lan. C’est toi qui as choisi de me mettre de côté.
Comment as-tu pu te détourner de moi si facilement ? N’avais-tu pas confiance ? T’ai-je jamais fait douter de ce que je ressentais pour toi ? »
Pourtant, elle pensait que ses sentiments étaient clairs après ses années de vie partagée. Elle était prête à tout pour lui, et même, s’il l’avait fallu, elle aurait abandonné sa place de Générale des Armées pour n’être que sa femme. Elle était prête à ce sacrifice pour être avec lui si cela constituait un obstacle à un mariage. Se pouvait-il qu’elle se soit fourvoyée à ce point ? Qu’elle n’ait été qu’un… qu’une passade pour cet héritier pourri gâté ?
Non… Bellone ne pouvait y croire et balaya bien vite cette idée. Sinon toutes ces années n’auraient été qu’un mensonge, et ça, elle ne pouvait pas le supporter.
Elle était triste et infiniment lasse. Ses yeux se détournèrent pour se poser sur les maisons alentour. Elle ne voulait plus le regarder. Elle déglutit, tentant de défaire le nœud qui lui serrait la gorge. Sa voix alors se fit murmure, pleine de regret.

« J’aurais pu t’aider Lan, si tu étais venu vers moi. J’aurais pu t’aider… » Son regard revint alors se poser sur lui, lointain. « Maintenant, c’est trop tard… »


Dernière édition par Bellone Lastareth le Ven 13 Juil - 13:44, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyVen 13 Juil - 6:19

Elle était en colère. Ses yeux brûlaient et son corps tout entier était crispé. Bizarrement, il s’en sentait rassuré. Qu’elle puisse le haïr avec cette force montrait à quel point elle l’aimait. Tout sauf de l’indifférence … Il n’aurait pas pu le supporter. La voir hausser les épaules, sourire. Non. Pas après ces nuits de cauchemars où il se réveillait en sueur, son visage tatoué au fond des yeux. Pas après tous ces regrets, cette culpabilité, ces envies.
Mais il ne pouvait s’aveugler. Derrière cette colère se consumait une tristesse encore plus grande. Et ça, ça lui brisait le cœur …

Pendant un instant, il hésita. Pour l’instant, il avait juste envie de lui expliquer, de lui faire comprendre et entendre son amour. Mais c’était illusoire … Quelques temps plus tard, il lui faudrait à nouveau la poignarder dans le dos. Il s’était engagé avec une autre et, face à elle, cette pensée lui paraissait totalement absurde et irréelle. Assez pour l’ignorer, l’oublier …
Reste. Reste avec moi …
Les mots restaient coincés dans sa gorge.
Il tendit une main vers son visage mais elle s’était reculée et il ne fit qu’effleurer l’air à quelques centimètres de sa peau, caresse d’une infinie douceur mais si cruelle par la distance. Son bras retomba et ses épaules s’affaissèrent un instant.

« Je ne peux pas te mentir, pas à toi … »
Il secoua la tête.
« Mais avant que je t’explique, je veux que tu entendes une chose. Mon amour pour toi a toujours été là, ancré au fond de moi. Et c’était un amour vrai. Ce n’est pas une question de confiance ou de sentiments. Je ne voudrais pas que tu doutes de ce qui s’est passé entre nous … Tu étais mon soleil et ma lune. Quoique je fasse, tu étais là, quelque part, à mes côtés ou dans ma tête.

Je sais que j’ai eu tort et il n’est pas un seul jour où la culpabilité ne m’étreint pas. Mais je n’ai pas su aller vers toi. Je me disais que j’avais toute la vie pour te retrouver et qu’il valait mieux un fiancé mort qu’un demi homme qui tenait tout juste debout. Mais plus je gagnais des forces, plus j’avais peur. De t’avoir fait du mal, de t’avoir détruite. Alors je n’ai plus osé … Tu étais mon fantôme, l’ombre qui hantait mes nuits. Et j’ai cru que si je venais à ta rencontre, je briserai tout ce qu’il s’était passé entre nous. Je me suis fourvoyé.

Jusqu’à aujourd’hui, j’ai été un homme aveugle. »


Il la regarda, inspira profondément et reprit la parole. La tirade la plus longue et la plus importante de sa vie, un flot de parole, impossible à endiguer.

« Lorsque j’ai basculé par-dessus la muraille, j’ai cru que je n’en réchapperai pas. Et la seule chose que je ne pouvais me résoudre à abandonner, c’était toi. Peu m’importait ma famille, peu m’importait le pouvoir, peu m’importait ma propre vie. Il n’y avait plus que toi. Jamais je n’aurai cru pouvoir t’aimer autant. Au fil de nos rencontres, j’ai compris que je me sentais bien avec toi, libre et entier. Mais je n’ai pas su comprendre à quel point j’avais besoin de toi.
Une vieille femme m’a recueillie, le corps et l’âme brisés. Elle a fait des merveilles sur mes muscles, mes os et mes tendons, et je n’ai que très peu de séquelles physiques aux vues de ma chute. Mais mon âme, elle n’a jamais pu la panser et elle n’a jamais vraiment cicatrisé.
Je ne saurais pas t’expliquer ce que j’ai ressenti en mourrant. Car je suis mort un peu là-bas. Ma grandeur, ma vie, ma façon d’être et de croire en ce que je suis, j’ai perdu tout ça dans les flots du Phémur. En me réveillant, j’étais quelqu’un d’autre. Diminué. A qui on avait arraché une partie de soi-même, la partie à laquelle tu étais attachée, que tu avais aimée. J’ai eu l’impression d’être déchiré et que cette part de moi qui t’appartenait s’éloignait. Je t’ai perdue de l’autre côté du fleuve, je t’ai réellement perdue. Tu n’y es pour rien et c’est sans doute ça le pire, mais j’ai vraiment eu le sentiment que je n’allais plus jamais te revoir.
Puis les brumes se sont dissipées, j’ai ouvert les yeux, j’ai commencé à guérir, lentement …

Durant ces quelques semaines, après l’agonie des premiers jours, je n’ai pensé qu’à deux choses : toi et ma vengeance. Je devais te retrouver, je devais redevenir un homme pour avoir seulement le droit de te revoir. Le souvenir de ton amour réchauffait mon cœur meurtri et me donnait la force d’essayer de me lever chaque matin, mais ce qui animait ma Volonté, c’était la haine. J’ai soudain eu une révélation : je n’avais pas survécu pour rien. Je devais me relever, me battre et anéantir le Conseil. Je suis fait pour régner, Bellone. Je suis fait pour diriger et pour prendre des décisions. Il n’y a pas d’arrogance dans mes mots et je crois que tu comprends ce que je veux dire. Tu es faite pour commander l’armée, je suis fait pour servir Isle.

Quand j’ai remis les pieds à Edor Adeï, seuls les bas fonds pouvaient m’apporter une sécurité relative. Dans les anciens lieux que je côtoyais, mon visage aurait été mon pire ennemi. Je suis donc devenu un crieur, un clochard, un vagabond.

REGARDE-MOI ! Je suis vêtu de loques, mon visage est marqué par les rides et la fatigue, mes cheveux sont sales, je pue et mon dos se voûte un peu plus chaque semaine.

Qu’ai-je encore du Noble fringant qui a volé ton cœur ? Comment pouvais-je être sûr que je te manquais autant que tu me manques ? Je ne doute pas de ton amour ni de ta confiance mais comment aurais-tu pu aimer ce pouilleux que je suis devenu alors que je le méprise moi-même ?
Nous formions un couple parfait, un couple magnifique, flamboyant et, plus encore, un couple qui s’aimait. Mais allions-nous résister à ce que je suis devenu ?

Dans les premiers temps, j’ai eu peur de te revoir, peur de ne pas être à la hauteur … Et plus le temps passait, plus cette peur s’est ancrée en moi, ineffaçable.
J’ai créé la Dissidence, je me suis suffisamment occupé pour me permettre de ne pas me poser cette question. Quand allais-je te revoir ? Et puis, surtout, que pourrais-je te dire ? Comment t’expliquer un comportement que je peine moi-même à comprendre ? »


Il marqua une pause à nouveau, son regard s’agitait et il se sentait dans un état second. Etait-ce ses yeux qui s’embuaient ou n’y voyait-il plus très clair ? Monde à part que cette ruelle vide.
Deux silhouettes postées au milieu d’une ville mais seules au monde.

Ses dernières paroles résonnaient sous son crâne.
J’aurais pu t’aider … Trop tard …

« Je ne sais pas si j’arrive à exprimer en mots ce que je ressens. Mais tu es la seule pour qui j’ai envie d’essayer. »

Il releva la tête, un éclat au fond des yeux.

« Et je ne partirai pas avant d’avoir réussi. »

Sa mâchoire inférieure était tellement crispée qu’elle tremblait légèrement. Il ne savait plus vraiment ce qu’il ressentait. De la colère à l’idée qu’elle l’abandonne ? Une tristesse immense ou du désespoir ? Il avait envie de frapper le sol de ses poings à ses pieds. Ou de l’attraper par le bras, de l’attirer vers lui, de l’embrasser violemment pour la réveiller de cette torpeur. Puis l’enlever. Partir, oui, partir …
Mais pouvait-il lui faire cela ? L’enlever à ce monde où elle avait si bien réussi, à force de courage et de Volonté ?

« Ne dis pas qu’il est trop tard. »
Sa voix s’éteignit et il la fixa droit dans les yeux, comme un défi. Ne détourne pas ton regard.
« Il n’est jamais trop tard. »
Envie de faire revenir à lui ce regard perdu et lointain, envie de la voir réagir. Et plutôt que de la colère, de voir une once d’amour dans ses yeux.

Sans réfléchir, il plia les jambes et s’agenouilla devant elle. La dernière fois qu’il s’était tenu ainsi, c’était lors de son couronnement.
« S’il te plaît, ne me dis pas qu’il est trop tard pour que je te présente mes excuses.

Ne me dis pas qu’il est trop tard pour que tu me pardonnes … »
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyVen 13 Juil - 17:09

Les paroles qu’il prononçait eurent pour effet d’adoucir lentement sa colère qui s’émoussa face à cette franchise soudaine. Les mots trouvaient un écho à ses oreilles, celui dont elle rêvait, celui qu’elle souhaitait par-dessus tout depuis qu’il avait disparu.
La fureur reflua lentement, ne laissant plus que la douleur. Mais pourtant, elle n’était pas non plus totalement éteinte, et il suffirait d’un rien pour ranimer les braises qui s’enflammeraient de plus belle. Mais pour l’heure, dans son désespoir, mais aussi dans ce bonheur de l’avoir retrouvé, elle était presque prête à lui pardonner.
Presque…

Les mots arrivèrent à ses oreilles et lui écorchèrent les tympans. Bellone comprenait sa peur, pouvait sentir la détresse qui l’avait animé après cette tentative d’assassinat. Elle était militaire, elle était générale, ce n’était pas des notions qui lui étaient étrangères et son esprit rationnel pouvait accepter certaines de ses justifications. Mais ce qu’il venait de dire…
La rage. Une rage mortelle et venimeuse l’envahit, et si elle ne lui cracha pas au visage, ce ne fut qu’au prix d’un immense effort de volonté. Comment osait-il lui prêter des intentions qu’elle n’avait jamais eues ? Comment pouvait-il prétendre qu’elle n’était attirée que par sa Noblesse ?
Un froid l’envahit. Elle comprit tout à coup que l’homme qu’elle avait aimé était effectivement mort, ou tellement enfoui sous les couches d’un marasme, d’un auto-apitoiement sans limite que c’était tout comme.
Tu dis ne pas douter de mon amour, mes tes propos démontrent le contraire.

Elle voulait l’insulter, le frapper, le sortir de ce dégoût, de cette dépression qu’elle ne lui avait jamais vu. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait, mais elle se retint, croisant les bras sur la poitrine et serrant la mâchoire avec force. Il ne lui avait laissé aucun choix, l’obligeant à accepter SA décision comme étant l’unique chose à faire, et il avait le culot de se poser comme la victime. Il avait fait son choix, à lui, le sien propre, sans qu’elle puisse avoir son mot à dire. Ce n’était pas son rang qui l’avait attirée, loin de là. Son rang n’avait conféré à Elandor qu’une sale arrogance de prince gâté, arrogance qui était finalement ressortie bien des années plus tard lorsqu’il avait fait le choix pour sa vie à elle. C’était ce qu’il y avait en lui qu’elle avait aimé avant tout, mais elle n’était plus sûre de la retrouver désormais. Perdu…
Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête et menaçaient de l’engloutir. Pourtant, elle se força à écouter jusqu’au bout ce qu’il avait à lui dire, et lorsqu’il prononça le mot dissidence, elle pâlit. Son cœur manqua un bond et son cerveau refusa de fonctionner. Dans un état second, elle le vit s’agenouiller devant elle, lui demandant de lui pardonner.
Non, il ne lui demandait pas de le pardonner. C’était autre chose…

Glaciale, Bellone lui jeta un regard qui aurait pu tuer. Elle laissa les secondes passer, voire les minutes, sans émettre le moindre son. Il avait prononcé un mot qui avait mis en branle une machine qu’il ignorait surement avoir lancé. Enfin, elle ouvrit la bouche, rompant la tension née du silence, mais consciente que cela ne durerait pas. Sa voix restait calme, parfaitement maîtrisée, mais la fureur grondait, dévastatrice.
« La dissidence hein ? » Sa voix mourut et elle sentit un rire naître au fond de sa gorge qu’elle ravala avant de devenir hystérique. Foutu menteur. Il avait osé. Elle avait osé. Jamais elle ne lui pardonnerait. « Est-ce que tu me crois idiote à ce point Lan ? Franchement ? »
S’était-elle à ce point fourvoyée depuis qu’elle le connaissait ou était-ce lui qui avait changé à ce point ? Aucune des deux solutions ne pouvait la rassurer. Mais elle irait jusqu’au bout, elle ne le laisserait pas s’en tirer comme ça. Et elle non plus. Mais pour l’instant, c’était lui qu’elle tenait sous sa main, elle s’en contenterait.
« Dis-moi, combien de personnes sont au courant que tu es en vie ? Combien de personnes de notre passé commun se moquent-elles de mon ignorance alors qu’elles connaissent la vérité ? » Alors la colère la submergea et elle cracha ce qui lui restait sur le cœur. « Me crois-tu ignorante à ce point ? La dissidence… Tu te fous de moi ? »

Il ne devait pas s’attendre à ce qu’elle lui reproche cela et tant mieux. Que ça le déstabilise un peu. La gorge serrée, Bellone maîtrisa le tremblement qui menaçait de submerger sa voix, et reprit, plus posée, douce, dissimulant une menace. « Tu n’imagines pas les rencontres que je peux faire dans les quartiers militaires de bon matin. Et tu ne devineras jamais QUI j’y ai croisé alors que je ne l’avais pas vue depuis des semaines. Depuis son accident. Depuis sa fuite dans les bas quartiers. Depuis son entrée dans cette… dissidence. »
Le nom tomba comme un couperet, condamnant l’homme agenouillé devant elle. « Elenor ! »
La bouche de Bellone se fendit d’un sourire menaçant. « Alors, qui est au courant… Lan ? Et que me caches-tu d'autre que je devrais savoir ? »
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyVen 20 Juil - 6:13

Il était absolument incapable de voir quelles émotions l’animaient. Il était tellement perturbé par les siennes qu’il n’arrivait même plus à lire dans le regard de celle qu’il avait tant couvée autrefois. Pire, il avait peur d’y lire quoique ce soit. Alors il fixait vaguement son front, donnant l’illusion de la regarder dans les yeux mais incapable de le faire vraiment.
Il savait. Il savait l’horreur qu’elle devait vivre, l’horreur qu’IL lui faisait vivre. Mais comment seulement accepter de lui faire autant de mal ? Comment concevoir qu’il avait brisé la seule femme qui avait réussit à le changer ? Et qu’il était à présent en train d’achever … Ne pas voir, ne pas entendre.
Mais la colère qui perçait dans sa voix, il ne pouvait l’ignorer.

Il se releva lentement, assommé, et la regarda d’un œil où déjà, la flamme s’était éteinte.
Un léger rictus étira ses lèves. Confusément, il sentait déjà que tout était fini. Jamais plus il n’aurait sa confiance, jamais plus il n’aurait son amour … Et ses sourires …
Il secoua la tête lentement puis la rejeta en arrière. Se rafraîchir, goutter à la pluie, à la fraîcheur de l’eau sur son visage. Mais les gouttes s’étaient déjà éteintes, elles aussi.
Therdone, donne-moi la force …
Au moment où il recommencerait à parler, ce serait leur fin. Il ne voulait pas. Il plongea à nouveau ses yeux dans les siens dans un dernier espoir de réconciliation mais n’y lut qu’incompréhension et colère.
La vérité, elle voulait la vérité et il la lui devait bien …

« Elenor m’a reconnu, au hasard d’une rue. J’ai été imprudent et elle ne m’a pas laissé m’échapper sans une explication, tu t’en doutes. »
Il marqua une pause, creusant les méandres de sa mémoire. Tout lui semblait si flou.
« Amarante Jagharii a retrouvé ma trace et m’a contraint à révéler ma survie à ma mère. Hormis ceux-là, ceux qui connaissent ma véritable identité ne font pas partie de mon passé. Et je n’aurais jamais eu l’intention de le leur révéler si les évènements ne m’y avait pas forcé. »
Il essaya d’attraper son regard, de lui prouver, qu’au moins, il ne lui mentait pas.
« Si j’avais décidé de me dévoiler au monde, crois-moi, tu aurais été la première à l’apprendre.
Je ne te demande pas de comprendre ou de m’excuser mais juste de me croire. »


Mais cela avait-il vraiment une quelconque importance ? Ca ne changerait rien. Elle se sentait trahie et elle n’avait pas vraiment tort. Aurait-il dû aller la voir lorsque Elenor l’avait surpris ? Sans doute … Il s’était enfoncé dans son mensonge et à présent, il n’y avait plus de retour possible.

Il avait baissé les yeux un instant mais les reporta sur elle, brûlant.
Je ne veux pas te perdre !
Sa pensée était un éclat, rauque et désespéré. Mais jamais elle n’atteignit ses lèvres.
Soudain, il entrevit à quel point il avait été égoïste et à quel point il le restait. Il avait décidé de ne la revoir qu’une fois sa grandeur d’antan restaurée. Mais il se rendait compte à quel point elle aurait désiré le revoir avant, même à deux doigts de la mort, même discrédité et flétri.
Et à présent, en lui rappelant leur amour, il ne faisait que précipiter sa perte. Plus tard, lorsqu’il lui faudrait l’abandonner pour toujours, comment pourrait-elle seulement lui pardonner ce dernier moment d’intimité ?
Renoncer … La laisser s’en aller. Même si ça devait lui arracher le cœur.
Il se retourna brusquement. Des larmes brûlantes envahissaient ses yeux.
Ne me regarde pas, ne me voit pas comme ça … Il lui tourna brutalement le dos, incapable de faire face à son regard.

« Bellone … »
Ô, ma Bellone.
« Ce serait injuste et profondément égoïste de ma part de te donner de faux espoirs. Je t’ai aimé plus que je ne le pensais possible et je t’aime encore aujourd’hui avec la même flamme. Mais je crois que j’aime ma vengeance plus que toi. Je t’ai trahie pour elle et je recommencerai. »
Sa voix mourut.

Ô non, Therdone. Donne-moi la force de poursuivre.
Il se retourna vers elle. Il comptait attendre que ses yeux soient secs mais il sentit confusément qu’il n’arriverait pas à étancher la soif de larme de son cœur.
Il se tenait là, le visage déformé par la peine. Bientôt, ses yeux se gonfleraient, rougiraient et son faciès se muerait en la grimace hideuse des gens qui pleurent.
Jamais il n’aurait pu s’abaisser à laisser quiconque le voir ainsi. Mais c’était Elle et il lui devait bien ça.
Je t’offre tout ce que j’ai de plus pathétique et de plus déshonorant. Je t’offre mon chagrin et mon dégoût. Fais-en ce que tu en veux. Méprise-moi pour ma faiblesse si tu veux. Ca n’a plus d’importance …

« Des hommes qui t’aimeront, tu en trouveras cent. Mais qui t’aiment comme je t’ai aimé, aucun. Pourtant, je crois … Je sais … Bien malgré moi, je sais que j’aime ma patrie avec plus de passion que n’importe quel être humain. Tu es faite pour commander, je suis fait pour gouverner. »
Son discours était haché et décousu, reflet parfait de ses pensées qui s’étiolaient.

« J’aurai tellement aimé que tu sois mon seul amour …

Mais il y a mon peuple. Et je suis né pour l’aimer et le servir, Lui. »


Les larmes s’étaient taries et ce fut sa seule consolation. Il aurait un visage plus serein lorsqu’elle le quitterait.
« Je te rends tes ailes. Chercher à te retenir, ce serait trop égoïste. »
Avait-il réellement murmuré ces derniers mots, ou n’était-ce qu’une pensée ?
Tout plutôt que te voir souffrir à nouveau …

Il réalisa avec horreur que jamais il n’avait envisagé de la quitter un jour. Même en acceptant d’épouser Elenor, il n’avait pas réussi à sentir la morsure de leur séparation, comme si elle était impossible. Mais là, devant elle, il se sentait vidé. De ses forces, de son âme, de son amour. Et même, un peu, de sa Volonté.
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptySam 21 Juil - 16:33

Sa colère, si présente à peine un instant plus tôt, s’alimentant de sa douleur et circulant comme du feu dans ses veines, retomba brusquement. La fureur qui l’avait envahie comme un raz de marée avait soudainement refluée, ne laissant rien derrière elle hormis une coquille vide qui n’avait plus rien à quoi se raccrocher. Prise de faiblesse, Bellone chancela, mais elle se retint de justesse de trébucher, et l’homme qui lui tournait le dos ne vit rien, pas même les larmes qui perlaient de ses yeux et coulaient doucement sur ses joues.
Fixant la silhouette de son ancien amant, le désespoir la saisit et l’étreignit avec violence. Un instant elle eut envie qu’il se retourne, qu’il la prenne dans ses bras pour s’enfuir, quitter cette vie qui contribuait à les éloigner l’un de l’autre pour tout recommencer ailleurs. Mais le désespoir aussi s’en alla, ne laissant plus que les mots qu’il prononçait, et elle laissa les paroles de celui qu’elle avait aimé l’atteindre en plein cœur et la meurtrir de plus en plus, lui enlevant un à un ceux qu’elle aimait. Elle avait l’impression de se trouver dans un rêve, dans un état second, dans lequel tout s’écroulait autour d’elle, tout son monde, toutes ses certitudes, la laissant à nue, écorchée vive et privée de protection. Alors elle répondit dans un murmure à cet homme qui s’estompait déjà devant ses yeux, à cet homme qui n’était plus qu’un fantôme, revenu pour la hanter et lui prendre tout ce qui lui restait.

« Tu as raison, tu es bien mort ce jour là. L’homme que j’ai connu, l’homme que j’aime encore n’est plus. Tu n’es plus que cette ombre que tu as choisi d’être, cet Al’Faret, ce fantôme sans visage qui ne recherche que la vengeance. »
Son visage se leva vers le ciel, vers les nuages encore chargés de pluie qui s’éloignaient lentement et elle ferma les yeux, les larmes coulant un peu plus vite sur ses joues. « Tu m’as tout pris Al’Faret. Absolument tout. Tu m’as pris l’homme que j’aimais, tu m’as pris un père, et tu m’as pris une sœur. »
Son cœur se serra. Bellone se sentait trahie et abandonnée par ceux en qui elle pensait pouvoir faire confiance. Elle avait perdu un amant, mais il ne lui restait plus ni le mentor, ni l’amie. Elandor lui avait tout pris, il ne lui restait rien. Rien, hormis un serment auquel se raccrocher. Un serment qui l’engageait à protéger l’homme dont le mouvement dissident voulait prendre la place.
Mais à l’heure actuelle, même l’idée de ce serment lui semblait trop lointaine pour former la bouée de sauvetage dont elle aurait eu besoin. Nulle main amie qui puisse se tendre, seul un homme au dos résolument tourné devant elle et qui ne lui laissait plus aucun espoir. Elle était seule, et jamais encore jusqu’à présent elle n’avait ressenti le poids terrible de cette solitude peser sur ses épaules.
Sa voix tremblait lorsqu’elle reprit son murmure, elle n’essayait même pas de la maîtriser s’en sachant parfaitement incapable, parvenant tout juste à ne pas flancher, ne pas tomber.

« Tu me rends mes ailes… » Mais t’es tu demandé si je le voulais vraiment ? As-tu, ne serait-ce qu’un instant, pensé à me demander quel serait mon choix ? Elle était incapable de continuer, pourtant, il le fallait. Elle le devait. Pour elle, pour lui. Lui dire adieu, lui dire… « Aime ton peuple, aime le plus que tu ne m’as aimé, que tout cela n’ait pas été vain, que tout ne soit pas perdu. »
Elle fit un pas vers l’avant, vers lui, et posa une main sur son épaule. Il était pourtant là, tangible, réel, alors pourquoi persistait-il à vouloir disparaitre ?
Elle déglutit avec effort. Il était parti, à jamais. Alors sa main tremblante effleura sa joue, sa barbe lui picotant les doigts.
« Je… » Sa voix se brisa. Je t’aime. Elle ne pouvait plus lui dire, plus jamais.

« Adieu, Elandor. »

Alors elle se détourna et s’éloigna d’une démarche mal assurée dans une direction prise au hasard. Peu lui importait. Les larmes brouillaient sa vue, la rendant incapable de se repérer. Elle était seule… seule avec sa souffrance, et tout son corps le criait en silence.
Adieu…
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyJeu 26 Juil - 16:01

Elandor reçut ce qui ressemblait fort à une injure en plein cœur. Un fantôme … Il avait d’autant plus de mal à l’accepter qu’elle avait entièrement raison. L’Al’Faret lui avait tout pris, à lui aussi. Sa vie et ses envies passées, son amour. Ne lui restait que cette vengeance, si violente, si brûlante entre ses mains. Et serait-elle aussi savoureuse qu’il l’imaginait ? Il n’avait jamais pu se résoudre à oublier définitivement son trône. S’était-il lourdement trompé ? En tous cas, il le paierait de son bonheur.
Une ombre … Ca lui allait si bien. Qui se cache en permanence, qui se fond dans l’obscurité pour mieux s’oublier et qui ne rêve que d’étinceler au soleil. Je suis mort pour toi … Le goût amer du désespoir. Il en était conscient, une partie de lui s’était éteinte lors de sa chute. Mais jusqu’ici, il n’avait jamais cru que c’était celle qui l’enchaînait à la femme qu’il aimait. A présent, il se rendait compte qu’elle n’avait pas tort. Il avait dû choisir entre son amour et ce qu’il estimait être son devoir. Il avait choisi, tuant dans l’œuf tous leurs rêves de bonheur futur à deux. Il les avait brisés, lui et lui seul.
Je n’ai pas voulu … Je ne l’ai jamais voulu. Les Conseillers, ce sont eux qui nous ont tout pris ! Sans eux, ne vois-tu pas que nous aurions pu vivre heureux ? Sans eux, ne vois-tu pas la grandeur que retrouverait Isle ? Il faut les arrêter !

Aucun mot ne sortait de sa bouche. Il aurait voulu lui dire. Qu’elle n’avait perdu ni son père ni sa sœur d’adoption. Qu’ils l’aimaient avec la même sincérité et la même fidélité. Mais qu’ils avaient agi tous deux pour l’intérêt de leur famille …

Il sentit la main sur son épaule, chaude, vivante, à portée de main … Il ferma les yeux, tentant de réfréner l’envie brutale de l’embrasser. Il avait promis à Elenor de se montrer digne … Mais sa Volonté inaltérable s’effritait comme du vieux parchemin. Ses doigts sur sa joue. Il ferma les yeux et se concentra sur ce dernier contact. Son odeur que lui apportait le vent, la douceur de sa peau. Soudain, il eut l’impression que ce simple contact le brûlait.
Mais elle retira sa main et prononça les mots qu’il ne voulait pas entendre.
Adieu … C’est ainsi que notre histoire se termine ? Sur un simple adieu ?
Il rouvrit les yeux mais ne vit que sa silhouette chancelante qui s’éloignait dans la ruelle.

Elle s’éloignait. Oui, elle était en train de s’éloigner …

Non … NON !
Etait-ce sa pensée ou sa voix qui avait poussé ce cri ?
Je ne peux pas te laisser partir, pas comme ça.

Elle s’éloignait lentement vers un avenir où il ne serait plus jamais présent, et à cette idée, son corps à lui ne lui répondait plus. Au diable ses serments, au diable ses obligations ! Elle partait …
Il se précipita à sa poursuite, l’attira vers lui et l’embrassa. Avec une fougue et un désespoir inouïs. Puis vint la douceur, celle des regrets et des adieux.
Elle broncha à peine entre ses bras et il ne parvenait pas à la lâcher. Il la garda ainsi, serré contre lui. Il sentait les larmes humides de son amour perdu finir leur course sur son visage et son cou et c’était comme s’il pleurait à nouveau lui aussi.

« Je suis désolé de t’infliger ça. Je ne suis pas assez fort pour te laisser partir sans te serrer une dernière fois contre moi.
Je veux ton odeur, la chaleur de ta peau contre la mienne et la douceur de tes cheveux contre ma main. Je te veux à moi, pour toujours. »


Que lui importait sa vengeance ? Que lui importait ce peuple qui lui serait à peine reconnaissant ? Les autres importaient peu. Elle était là, contre lui. Ce corps dont le manque lui était devenu presque physique. Cette façon d’être, cette force et cette fragilité mêlée, et ce sourire … Qu’elle avait perdu ce soir-là alors qu’il voulait tant le revoir.

« Partons. Si tu le veux, nous pouvons encore partir. Je peux abandonner cette vengeance meurtrière si tu es là et si nous sommes loin de ce monde. »

Il soupira, s’écarta légèrement d’elle, comme s’il prévoyait le brusque écart qu’elle ferait en attendant la suite de ses révélations.

« Je vais épouser Elenor si je reste ici. Je l’ai promis à Amarante Jagharii en échange de sa protection et de son soutien à la Dissidence. Je suis empêtré dans mes responsabilités si je reste ici … Et je te perds à jamais … »
Il marqua une légère pause, hésitant par peur de sa réaction. Ce nouveau coup allait être terrible pour elle mais il était soulagé d’avoir pu le lui avouer. C’était à lui de le lui révéler, à lui seul. Et s’il n’y avait pas eu derrière la promesse de tout quitter pour elle, il n’aurait jamais eu le courage de le faire. Aussi enchaîna-t-il assez brusquement.
« Alors que si nous partons, nous serons tous les deux, ensemble. Juste nous deux, le reste n’aura plus d’importance. »
Il y croyait tellement, il voulait y croire … Pourtant … Il fallait songer au reste. A ce monde qui les entourait et les étouffait. Si c’était l’emmener au loin pour l’arracher à tout ce à quoi elle tenait, quelle conséquence cela aurait-il sur elle, sur eux ? Si loin d’Edor Adeï, elle dépérissait, il n’avait pas le droit de lui faire ça.
« Mais si nous fuyons, tu perdras tout. Ton rang, ton poste de Générale. Si tu pars avec moi, tout ce qui tu as gagné par ton acharnement et ta Volonté ne signifiera plus rien.
Nous ne serons plus que deux inconnus et l’avenir d’Edor Adeï ne nous regardera plus. Est-ce que tu es prête à tout abandonner pour moi ? A trahir tous tes serments et à fuir toute ta vie, avec cette culpabilité au fond du cœur ? »

Son visage était crispé et seuls ses yeux trahissaient l’agitation qui l’animait.
« Si tu es prête à un tel sacrifice, je te suivrai. Je te dois bien ça et j’ai aussi conscience que c’est peut-être ma seule chance d’être vraiment heureux un jour. Car sans toi, même le trône de Gardan Edorta n’aura qu’une saveur bien fade.
Je ne sais pas si je serai capable de vivre loin de ma destinée, sans espoir de gouverner et d’agir pour mon Peuple. Je ne sais pas non plus si je serai un bon mari ou un bon père ni si je m’habituerai à cette vie si simple. Mais pour toi, je suis prêt à essayer. Alors si tu penses pouvoir vivre comme ça, dis-le-moi, maintenant. »


C’est notre dernière chance …
Elandor se sentait dans un état second. Il était incapable de savoir quelle réponse il attendait. Qu’elle dise « oui » et il gagnait l’amour de sa vie mais perdait le rêve de vengeance qui le faisait tenir depuis plusieurs mois. Mais si elle disait « non » … Son cœur serait brisé à jamais. Et il ne lui resterait plus qu’à se battre pour gagner son trône. En cas d’échec, nul espoir d’avenir … Alors choisir entre les deux, ça lui paraissait impossible et il était prêt à se ranger corps et âme au choix de sa fiancée. Il n’avait pas vraiment conscience de la cruauté du choix qu’il lui offrait. Il n’était pas en état d’en avoir conscience.

« Je t’aime, Bellone, je t’aime sincèrement. Et partir avec toi serait une chance inouïe. Mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir peur.
Tu sais maintenant que, pour toi, je suis prêt à abandonner tous ces autres qui comptent sur l’Al’Faret. Mais es-tu prête à vivre avec un homme qui aurait trahi autant de gens ? Tu dis que l’homme que tu as aimé est déjà mort alors est-ce que je vaux encore la peine de tant de sacrifice ? Et est-ce que je ne serais pas davantage encore un fantôme si tu acceptes ?
J’ai voulu prendre la décision de notre avenir seul et je te présente mes excuses pour ce comportement.
Mais j’ai changé … Même si j’aurai tellement aimé être resté cet homme que tu regrettes tant … »


Dernière édition par Elandor Arlanii le Dim 26 Aoû - 13:01, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyMer 1 Aoû - 17:28

Elle s’éloignait lentement mais inexorablement de lui, sa Volonté annihilée, ses pieds avançant d’eux-mêmes. Une langueur – mortelle ? – s’était abattue sur ses pensées, engourdissant ses sens, la laissant vide. Totalement vide.
Il ne lui restait rien, il lui avait tout pris. Aucun but vers lequel se tourner si ce n’est un serment qui lui paraissait maintenant bien lointain pour lui servir d’ancre. Elle avançait au hasard, sans se soucier de la direction, sans se soucier de rien. Le désespoir qui l’assaillait étouffait ses pensées comme une chape de plomb, la laissant sourde et aveugle au monde qui l’entourait.
Alors il la rattrapa et sa bouche se plaqua contre la sienne, dissipant la gangue de douleur qui enserrait son cœur et sa tête. Bellone émergea alors de cette douce langueur dans laquelle elle s’enfonçait volontiers de plus en plus, presque avec bonheur, pour se retrouver dans les bras de celui qui était la cause de toutes ses souffrances, serrée contre son cœur, alors qu’il lui murmurait les mots qu’elle voulait entendre par-dessus tout.
Un instant, elle s’abandonna à ses mots, à son étreinte, à sa promesse d’amour. Un instant, sa résolution de partir vacilla et elle crut possible qu’il puisse abandonner sa vengeance pour elle. Un instant… rien qu’un court instant.

Et puis il parla d’Elenor, et son monde s’effondra à nouveau. Ses paroles déchirèrent une nouvelle fois son cœur déjà meurtri par les révélations qu’elle avait du affronter un peu plus tôt. Cela n’allait-il donc jamais finir ? Devait-il l’anéantir totalement avant de l’abandonner ?
La colère qui l’avait désertée se distilla à nouveau en elle, lentement, comme un poison. Epouser Elenor… Il devait épouser Elenor.
Elenor…
Heureusement qu’Elandor s’était écarté d’elle sinon… sinon elle aurait été capable de le tuer. Epouser Elenor… La colère qui augmentait en même temps que ces mots se répétaient se transforma en rage. Une rage froide qu’elle maîtrisait à peine mais dont rien ne transparaissait sur son visage. Depuis combien de temps se jouaient-ils d’elle tous les deux ? Comme Elenor avait dû bien rire lorsqu’elles s’étaient retrouvées dans les quartiers militaires sachant… sachant qu’il était en vie et qu’il ne l’épouserait jamais. Qu’il l’épouserait elle, Elenor, avec l’accord de son père à elle, et sûrement celui de la vieille Arlanii, soulagée sans doute de voir son fils épouser une femme de son rang. Ils avaient bien dû rire tous les deux, en la sachant ignorante de tout ce qui se tramait.
Maudits soient-ils tous les deux, et qu’ils pourrissent en enfer.
Et pourtant, ce n’était presque rien à côté du choix égoïste qu’il lui proposait. Il lui demandait de choisir pour lui, de faire ce choix qu’il était incapable de prendre par lâcheté, par égoïsme.
Ses joues pâles se colorèrent de rose tandis que ses yeux lançaient des éclairs. La colère qui enflait faisait bourdonner ses oreilles, et peut être n’entendit-elle pas tout ce qu’il lui dit mais son discours sonnait comme un reproche où il lui semblait qu’il arrivait à reporter toute la faute sur elle. Lorsqu’il eut terminé, Bellone ne put plus de contenir et laissa exploser la rage qu’elle maîtrisait assez pour ne pas le tuer.

« Comment oses-tu me demander de faire ce choix en te posant comme la victime ? Pour quoi est-ce que tu me prends ? Je ne te pensais pas aussi égoïste. Je ne te pensais pas capable de… ça. » Elle cracha ses mots à la figure de l’homme, totalement imperméable à tout ce qu’il pouvait ressentir. Ses mains se serraient et se desserraient, incapables de se décider si elles devaient serrer le cou de ce qui avait été Elandor ou pas.
« Tu n’es qu’un monstre. Tu me jettes au visage que tu dois épouser Elenor, que tu dois épouser ma meilleure amie, et tu me demandes ensuite de partir avec toi. Te rends-tu compte de ce que tu me dis ou… ou es-tu totalement insensible et dépourvu de la moindre trace d’humanité ? Tu as pris tes décisions en connaissance de cause, ne viens pas maintenant ici pour te poser en victime et me jeter tes choix au visage comme si tout était de ma faute.
Tu avais fait ton choix, pour ton peuple, et je respectais cela. »
Ses yeux fixèrent alors les siens, meurtriers. « Mais tu es prêt à tous les trahir, à renier un serment fait à ton peuple, à des gens qui meurent pour toi, et ça, c’est une trahison bien pire que celle que tu m’as infligée. »
Abandonner ses hommes… Comment pouvait-il envisager ce geste ignoble en sachant ce qu’elle était ? Un soldat n’abandonne pas ses camarades. Cette règle valait d’autant plus qu’elle était Générale, alors que dire d’un Gardan Edorta ? La question ne se posait même pas. Mais il l’avait formulée, comme si… comme si…
Maudit soit-il. Elle y avait pensé, fugacement, lorsqu’il l’avait rattrapé. Tout abandonner pour lui et partir. Maudit. Elle le haïssait pour lui avoir fait croire que c’était possible.
« Je te hais Elandor. Je te hais pour ce que tu m’as pris et pour tout ce que tu me fais subir. Si je n’avais pas ton visage en face de moi, je ne pourrais pas croire que ce soit toi qui me dises ces mots. J’ignore ce que tu es devenu, mais tu n’es pas l’homme que j’ai aimé. »

Bellone s’arrêta un instant, le temps de reprendre son souffle. Elle voulait le voir souffrir des mêmes souffrances qu’il lui infligeait sans vergogne depuis ce maudit instant où elle l’avait reconnu dans la taverne. Elle voulait le voir aussi vidé qu’elle, abandonné par tous, laissé pour compte. Elle voulait le voir ramper, supplier, gémir… Elle voulait… Elle voulait… le voir disparaître de sa vie, même si elle devait encore en souffrir.
Alors, regardant l’Al’Faret qui avait désormais pris la place de l’homme qu’elle aimait, Bellone réalisa qu’Elandor avait déjà disparu. Et qu’il ne reviendrait jamais.
« Tu n’es plus cet homme et tu ne le seras jamais plus. Elandor tel que je l’ai connu, tel que je l’ai aimé est définitivement mort. Tu n’es plus que cet Al’Faret que tu as choisi d’être, et je ne pourrai jamais aimer cet être égoïste et sans cœur, avançant froidement pour sa vengeance sans se soucier de meurtrir ceux qui l’aiment.
Tu m’as demandé de choisir pour toi alors que tu avais déjà pris une décision qui, quoi que difficile pour moi, restait digne de l’homme que je connaissais. Tu… tu n’es plus rien pour moi. »
Les prononcer lui fit mal, mais les mots lui firent aussi du bien, condamnant un amour qui ne se rattachait plus à rien, et qui menaçait de la tuer.
« Pars maintenant. Accomplis ta vengeance jusqu’au bout puisque tu ne vis plus que pour ça, puisque tu restes aveugle et sourd à toute autre chose. Epouse Elenor puisque c’est ce que tu as choisi, et puissiez-vous aller au diable tous les deux. » Bellone se détourna de lui, s’éloignant déjà de quelques pas. « Et en reparaît plus devant moi. Plus jamais. Ou je te jure que je te tuerai, toi et celle qui se fait passer pour mon amie. Tu… »

Non, ce n’était plus la peine. La colère l’aveuglait encore, mais Bellone préféra ravaler les mots qui menaçaient de s’échapper de ses lèvres. Elle en avait assez dit, elle n’avait plus rien à lui dire. Il était plus facile de s’abandonner à la haine que de contempler la fin d’Elandor, la fin d’un amour qui les avait porté et soutenu toutes ces années. Cette épreuve là, ils ne la surmonteraient pas. Trop de secrets, trop de trahisons à pardonner.
Souffrance, désespoir…
Elle tourna définitivement le dos à son fantôme, son cœur saignant de douleur et de haine, incapable de le regarder en face sans vouloir le tuer. « Adieu, et cette fois, ne me suis pas. »
L’ordre était clair et définitif, et Bellone s’éloigna, vers sa demeure, vers le seul lieu où elle pourrait verser toutes les larmes de son corps sans être dérangée.

Adieu.
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Elandor Arlanii
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MessageSujet: Re: Il est un fantôme...   Il est un fantôme... EmptyDim 26 Aoû - 14:15

Sa physionomie se modifia. Lassitude, cynisme et puis même, dégoût. Dégoût de lui-même, de ce qu’il était devenu mais aussi d’elle qui était incapable de comprendre. Dégoût plus profond encore pour cette situation qui les avait éloignés l’un de l’autre.

Les mots qu’elle avait crachés, jamais il n’aurait cru devoir les entendre un jour, devoir les subir. Il se sentait sali, jugé, fracassé contre ces sons qui prenaient un sens bien trop cruel. Tout plutôt que cette avalanche de phrases qui semblaient avoir le pouvoir de détruire les fondements même de leur amour, de nier ce qu’ils avaient vécu. Le larder de coups de couteau aurait été moins inhumain à son sens.

Il eut subitement envie de la saisir par les épaules, d’enfoncer ses doigts dans sa peau et de la secouer, de lui faire mal. Tout, pourvu qu’elle se taise !
Ne pouvait-elle pas essayer de comprendre ? Oui, il avait tort, oui, il avait réduit leur amour en cendre et oui, il était prêt à en accepter les conséquences. Il comprenait sa haine et sa colère mais il ne pouvait s’empêcher de la trouver injuste. Avait-il choisi de se faire assassiner, de tomber plus bas que terre ? Il s’était relevé, comme il avait pu. Et même s’il avait fait des erreurs, il avait réussi à survivre, à retrouver un but. Alors oui, il avait changé, il n’était plus le même. Mais comment ne pas évoluer dans cette situation ?
Il voulut ouvrir la bouche pour lui expliquer mais le flot de paroles ne s’était pas endigué.

Il restait là, debout, le dos droit et pour une fois, exempt de toutes douleurs. Seule la cicatrice de son œil gauche semblait le tirer un peu plus. La voix de son ancienne amante l’entourait, lui jetait des atrocités au visage et, finalement, semblait lui glisser dessus et s’éteindre dans les rues lugubres du quartier des Humbles.
Il pouvait accepter la plupart de ses reproches mais pas son ton méprisant. Ce ne pouvait pas être elle, pas sa Bellone. Elle avait du caractère, de la fougue mais elle n’était pas injuste. Et Elandor n’était pas en mesure de comprendre que, peut-être, sa peine pouvait modifier son caractère.
Il comprit alors que ce n’était plus la peine d’essayer. Pour la première fois de leur vie commune, il sut que ses explications seraient inutiles, qu’aucune discussion ne serait jamais plus possible.
Et pour la première fois, il décida de renoncer.

« Si c’est ce que tu penses alors, en effet, il vaut mieux que nous nous quittions. »

Une pause infime, un regret, un gouffre. Celui qui les séparait et qu’il n’avait plus la force de franchir, qu’il ne pouvait plus franchir.
L’amertume déserta sa voix pour ne laisser qu’une lassitude morne.

« J’aurais tellement aimé que tu puisses comprendre un peu. Mais ça me semble impossible … »

La déception qui l’envahissait laissa place à une sorte de vide. La fin d’une ère, une porte qui se ferme à nouveau. Le peu de choses qui le liait à l’ancien Elandor venait de mourir. Il ne lui restait plus qu’à tirer une croix sur son passé, sur ses derniers souvenirs et ses derniers rêves de retrouver sa vie d’avant. La Dissidence devenait son seul avenir, sa seule voie de sortie.
Ne lui restait plus qu’une chose à faire. Lui dire au revoir …

« Je veux juste que tu saches que je t’ai aimé, je t’ai vraiment aimé. Et même si tout nous sépare, je t’aime encore aujourd’hui. »
La laisser partir, la laisser s’en aller. C’était tellement … facile. Juste quelques mots. Juste se convaincre que, de toutes façons, quelque chose s’était brisé entre eux. Juste comprendre qu’Elandor était mort ce jour-là, réellement. Et qu’avec lui, leur union s’était éteinte.

« J’espère que tu trouveras … la paix. »
La fin de la phrase s’étrangla dans sa bouche. Que lui souhaitait-il ? De s’en remettre, de s’épanouir, de trouver le bonheur ? Dans les bras d’un autre ? Non, il ne pouvait y songer maintenant. Il allait poursuivre sa voie mais il savait que leurs chemins se recroiseraient un jour. Dans quelles circonstances, au milieu de quelle foule d’émotion ? Pourraient-ils se regarder à nouveau en face ? Quel rôle pour elle s’il devenait Gardan Edorta ? Quels regrets aurait-elle s’il se faisait arrêté et exécuté ? Pouvait-elle rayé de sa vie des instants si forts ?

Elle s’éloignait pour de bon, à présent. Et la force qui avait poussé Elandor à la rattraper quelques minutes plus tôt s’était éteinte. Elle s’éloignait.
Tellement … facile.
Il regarda la silhouette devenir de plus en plus petite puis disparaître au détour d’une rue. Cette démarche qu’il connaissait par cœur, ces formes qu’il avait tant admiré et caressé, cette partie de lui-même qui disparaissait.
Tellement facile.
Il se sentait vaciller un peu mais il finit par se retourner et quitter les lieux à son tour. Un état second guidait ses pas sans qu’il sache vraiment vers quel endroit.

Tellement facile.
Alors pourquoi se sentait-il s’écrouler ? Comme si son corps, son âme et ses pensées voulaient se recroqueviller sur eux-mêmes et l’écraser.
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