Chapitre premier : l'Appel
...en conflit interne
Elle était fière du travail accompli. Une bouffée d'orgueil monta dans le corps de la jeune Télaran à la vue de la nouvelle cliente qui venait de repartir avec une « touche » dans les cheveux. Elle ne faisait des présentations chez elle que pour les clientes les plus importantes, le reste étant vendu dans la boutique au rez-de-chaussée. Elle savait désormais classer les Nobles plus influents que les autres, et leur accordait une attention proportionnellement plus soutenue. On ne savait jamais quand ces attentions pourraient s'avérer utiles.
Elle s'assit devant le miroir qu'elle avait récemment acheté avec sa monnaie. Elle n'en avait pas espéré autant et pourtant les pièces sonnantes et trébuchantes commençaient à s'entasser sous une forme plutôt rassurante. La jeune fille aurait pu ne rien vendre pour quelques semaines sans en pâtir. Néanmoins elle ne pouvait se permettre moralement de ne rien faire, on ne savait jamais quand les prix se mettraient soudainement à augmenter.
Sous le conseil d'une Ilédore fortunée qui était passée, elle avait investi dans un petit coffre, bien dissimulé, dans lequel elle entassait ses recettes du jour une fois que les ventes étaient terminées. Ce jour-là, Laetia Télaran n'avait même eu le temps de finir de se satisfaire que sa nouvelle soit partie que sa voisine, une habitante de souche de la capitale, était venue et avait débarqué en trombe à l'étage de l'habitation. Laetia l'avait autorisée à faire ainsi, et puis elle se doutait que Kamélie avait vue cette invitée surprise.
Elle se retourna pour lui faire face mais avant même qu'elle n'eut pu dire une seule phrase elle fut devancée et emmenée à l'extérieur sans même savoir où précisément.
Il y avait une place dans la rue Commerçante, beaucoup d'animations s'y déroulaient et Laetia aimait y passer un peu de temps quelques fois. Aujourd'hui la place était animée comme à son habitude, mais ce n'était pas pour une quelconque manifestation culturelle ou encore amusement pour les enfants, aujourd'hui c'était des militaires qui se tenaient sur l'esplanade centrale.
Laetia ne voyait pas du tout où sa voisine volait en venir. Elle comprit quand elle entendit distinctement son nom prononcé par le soldat, elle se demanda d'abord pourquoi, elle n'avait rien fait d'illégal...
Sa voisine l'entraîna alors vers des poteaux de bois devant l'esplanade, et lui montra des feuilles avec ce qui était sans aucun doute des écritures dessus.
- Tu vois cette ligne ? Et bien c'est ton nom.Laetia n'avait pas appris à lire, même après être arrivée à Edor Adeï. On aurait pu croire qu'elle en aurait eu besoin, mais ses nouvelles relations l'aidaient volontiers à savoir de qui venait la commande, et au fur et à mesure la jeune fille avait appris à mémoriser les sceaux et blasons. De plus il ne lui fallait pas de savoir supplémentaire que compter, ce qu'Amiguel lui avait appris au début de son apprentissage.
Soit. Ceci était son nom. Cela n'aidait toujours pas la jeune Olarile. Que signifiait tout ce remue-ménage, pourquoi tant de jeunes qui avaient à peu près son âge étaient-ils amassés ici ?
On lui expliqua bien gentiment, une fois qu'elle eut appliqué une simili signature en bas d'un papier qu'elle ne comprenait évidemment pas.
Ce qu'elle entendit alors déclencha chez elle un processus de colère plutôt étonnant pour quelqu'un d'aussi sensible que la jeune fille. Elle se contint néanmoins et attendit d'avoir pris congé de l'Ilédore et d'être dans sa chambre.
C'est alors qu'elle hurla. Elle cria plus fort qu'elle ne l'eut jamais fait. Si elle n'avait pas eu aussi peur de se blesser les mains, elle aurait détruit tout ce qui composait sa coiffeuse, peignes et glace compris. Elle s'était engagée pour dix-huit mois. Elle avait accepté de passer un an et demi de sa vie dans une caserne Ilédore, de subir un entraînement militaire et d'être à la disposition de la ville durant tout ce temps.
Elle défit sa coiffure, déchainée telle une harpie.
Elle ne voulait pas les servir ! Pas eux ! Elle ne voulait pas vivre l'humiliation de la caserne, elle n'était pas faite pour cela, comment avait-elle pu accepter ?
Bien sûr, si elle ne l'avait pas fait, elle aurait été considérée comme hors-la-loi, on l'aurait arrêtée, et elle aurait passée son année et demie dans une cellule, ce qui n'aurait pas été mieux.
Elle se demandait tout de même si les Ilédors étaient à ce point désespérés pour appeler même les Olarils.
Elle pleura alors, autant de rage que de tristesse, elle avait appris à se servir du maquillage Ilédor, mais celui-ci désormais dégoulinait sous ses yeux et le long de ses joues.
Comment survivrait son commerce si elle n'était pas là ? Qui fabriquerait tous ces bijoux qui faisaient fureur ? Ses économies fondraient comme neige au soleil, on saisirait ses biens et elle deviendrait aussi pauvre que l'étaient ceux qui habitaient le Quartier des Humbles. Elle vivait trop bien depuis son installation pour vouloir descendre en grade.
Elle devrait trouver quelqu'un, quelqu'un qu'elle paierait, comme ça la boutique subsisterait. Elle devrait faire les croquis des oeuvres, mais ceci n'était pas le plus gros du travail...
Elle s'était résignée en quelque sorte, elle avait accepté après tout, pas sciemment, mais elle savait qu'elle aurait dû le faire de toutes façons. Elle se préparerait donc pour le départ, elle était attendue le lendemain à la caserne, ce qui lui laissait un peu de temps pour acheter ce qui lui serait utile là-bas.
Ainsi elle prit des affaires confortables, un pantalon renforcé aux articulations et aux endroits sensibles. Quand elle l'essaya elle se rappela de sa tenue quand elle avait traversé la Gérax. Une chose cependant était bien différente. Ce pantalon là était beaucoup plus léger et confortable que ne l'était son grossier cuir cousu. Son haut était plutôt ouvert, serré mais avec des manches qui lui laissaient néanmoins les avant bras découverts, de la même matière que le pantalon. Elle avait perdu cette peur du décolleté à force, mais celui-ci n'était pas aussi osé que de nombreux qu'elle avait déjà vu.
Elle en acheta plusieurs de chaque et s'en alla. Demain était un « grand » jour.
*
* *
Laetia était plongée dans la queue de jeunes gens qui s'étaient agglutinés pour que l'on marque leur nom dans la liste des personnes présentes. Elle avait natté sa longue chevelure blonde et lançait un regard dédaigneux et haineux à quiconque essayait de la regarder de trop près ou pire encore de l'aborder.
Quand ce fut son tour, elle crut bien qu'elle allait écheveler les deux soldats se tenant devant elle.
-Euh... On en fait quoi ?
-Comment ça on en fait quoi ?
-Bah tu sais, elle fait partie de ces gens, ceux qui sont arrivés.
-Ah...
-Oui, alors on en fait quoi ?Visiblement, elle était la première Olarile à passer sur la broche, et aucune administration ne l'avait prévue dans ses statistiques.
-Pourriez-vous vous dépêcher Messieurs ? Je crois que d'autres attendent derrière moi, et moi-même j'aimerais bien éviter de rester plantée là trop longtemps.-On l'envoie sur le terrain comme tout le monde et on avise après ?
-Ouais, bonne idée. Jeune fille, prends une épée, va sur le terrain d'entrainement et trouve une personne libre pour commencer la séance de ce matin.Bien sûr, il fallait s'entraîner physiquement. Elle qui n'avait tenu que très peu de fois une épée se retrouvait bien mal face à certains qui, elle le voyait, n'avait pas attendu leurs 17 ans pour s'entraîner.
Elle prit donc un lame, vit que ces épées d'entraînement étaient en fait émoussées, et donc ne blessaient que très peu, et se dirigea vers le terrain. Elle n'avait que très peu envie de s'entraîner, et donc de chercher avec qui, elle prit par conséquent le premier terrain de libre, fit face à son adversaire, et lança son corps dans cette bataille de toute sa rage.
Elle avait appris quelques coups et entreprit donc d'en asséner un de toutes ses maigres forces, les deux mains sur la garde de l'épée, on aurait pu la croire folle, mais en cet instant elle ne pensait qu'à une chose : combien elle détestait ce qu'on la forçait à l'instant à faire.