Bruit de course, pain bien chaud, sable fin, et Gwenn.

Une sorte de rituel, une habitude qu'il avait, un instant qu'il aimait bien. Gwyddion aimait bien rendre visite à une des prêtresses du temple, Alia Edorta. Il venait la voir juste pour la voir et lui parler, que ce soit pour que l'un confie ses problèmes à l'autre, pour raconter ce qu'ils avaient entendu et vu pour Gwyddion, et parfois juste comme ça. Mais aussi, c'était là le jeu qui s'était transformé en petit rituel, Gwyddion venait souvent la voir pour lui "montrer" divers choses: à l'origine le jeune garçon complètement subjugué par l'acuité des sens de la jeune prêtresse et par le fait qu'elle ne puisse pas voir venait lui apporter des objets qu'elle découvrait et auscultait par le goût, l'ouïe, le toucher ou l'odorat. Et ce qui était mu par de la fascination devint très vite des moments de discussion et d'échanges que le garçon devenant jeune homme commença à apprécier. C'était peut être un peu étrange comme relation, surtout l'origine, mais maintenant Alia était une des grandes soeurs de Gwyddion, la réciproque était aussi vraie.

Or donc ce jour là Gwyddion avait sur lui et en besace deux ou trois trucs intéressants, venait de se procurer un pain à la viande bien chaud chez un boulanger, et se dirigeait vers le grand temple. Il s'arrêta d'abord aux jardins d'Hésione afin de rendre hommage à sa protectrice et embraya vers le mausolée d'Aimar. Le fait de s'y diriger faisait aussi partie du jeu, la foulée de Gwyddion rapide et légère était très caractéristique, et généralement Alia savait la reconnaître d'assez loin dans le temple silencieux. Un mur à dépasser avant de rentrer dans cet espace dédié à la connaissance, il était fort probable que la prêtresse soit là à l'attendre, debout et souriante avec son grand bâton d'if blanc.

Directement après la légère confrontation avec Elios, et la rencontre matinale avec Lysandre, Alia s'était rendue au temple, afin de prier avec une ferveur inhabituelle Aimar, espérant de tout coeur que cet acte de piété lui permettrait de retrouver une paix et une sérénité qui lui faisait cruellement défaut. Ce n'était guère son genre de témoigner son attachement à Aimar d'une telle manière, préférant en effet lui parler silencieusement tout au long de la journée ou pendant les moments difficiles, mais exprimer par le geste ce qu'elle faisait silencieusement chaque jour permettait de lui donner plus de poids, plus de réalité.

Elle resta ainsi, agenouillée dans un silence total, ses longs cheveux noirs lui tombant sur le visage et le dissimulant complètement, pendant de très longues minutes et, au bout d'un certain temps, toute notion d'heure lui échappa complètement. Silencieusement, elle posait ses questions à Aimar, ordonnait ses pensées, faisait le point sur les sentiments qui bouillonnait à l'intérieur de son corps. Elle n'obtint bien évidemment aucune réponse satisfaisante, mais ce n'était pas ce qu'elle cherchait. Ce rituel, qu'elle observait que très rarement, calma son esprit et, plus sereine qu'avant, commença à réfléchir à tout ce qui s'était passé ce matin. Enfin, elle pouvait résonner avec logique, et non plus poussée par des sentiments désordonnés. Elle se sentait bien plus sereine qu'elle n'aurait pu le penser.

Soudain, un bruit familier interrompit sa concentration. Néanmoins, loin de l'agacer, ce bruit qu'elle n'aurait pas cru entendre de si tôt la remplit d'une joie et d'une énergie nouvelle. Rejetant ses cheveux à l'arrière, afin d'avoir le visage dégagé - un tic dont elle ne comprenait pas l'origine puisque, que ses cheveux lui cachent le visage ou non, elle n'en voyait pas mieux - elle se releva, le visage illuminé par un sourire radieux. Attrapant son bâton qu'elle avait posé non loin d'elle, elle se dirigea sans hâte vers l'entrée du mausolée. Gwyddion ne serait maintenant plus très long à arriver et, comme toujours, elle serait là à l'attendre.

Oubliant pour un temps l'incident de ce matin, toute heureuse à l'idée de passer quelques instants avec le jeune homme, à discuter de tout et de rien, Alia attendit sans impatience que le jeune homme se montre enfin. Il ne devait plus être très loin maintenant, le bruit de sa foulée si caractéristique semblant se rapprocher de secondes en secondes. Sans nul doute s'attendait-il à ce qu'elle soit là, comme chaque fois, à l'attendre, comme si elle avait été prévenue par un messager divin de la venue du jeune homme. Et, oui, effectivement, une fois de plus elle serait là. Cela faisait partie du rituel, et pour rien au monde Alia n'aurait changé ces petites manies si charmantes.

Replaçant une mèche rebelle derrière son oreille, Alia porta son regard dans la direction dont lui semblait provenir les bruits de pas, une main fermement agrippée à son bâton blanc. Plus que quelques secondes, désormais, avant que le jeune homme ne se montre. Elle se prit à espérer que, cette fois, elle le verrait arriver, elle pourrait enfin voir à quoi il ressemblait, comment il était habillé, et ce qu’il amenait pour leurs petites expériences. Le cœur lourd, elle chassa cette pensée. Il était inutile de se faire du mal ainsi : elle sentirait Gwyddion arriver, elle saurait quand il serait enfin présent. Mais jamais, ô grand jamais, elle ne pourrait le voir de ses propres yeux. Néanmoins... cela ne faisait aucun mal de se l’imaginer, un sourire fier sur les lèvres, et ses cheveux flottant librement dans le vent. Oui, même si elle ne le verrait jamais, rien ne lui interdisait de se l’imaginer. Et, cela, elle ne s’en priverait pas.

Et celle qui devait être là était là, c'était bien. Gwyddion décéléra et parcouru les derniers mètres en marchant, elle était là grande et élancée, dans sa grande robe blanche, encadrée par ses cheveux noirs. Arrivé à proximité il tendit le bras et posa sa main sur le dessus du bâton.

"Tu as encore réussi à m'entendre arriver. Va falloir que je m'améliore si je veux pouvoir te surprendre."

Puis il lui fit la bise, elle sentait l'encens, elle devait être là depuis un certain temps.

"Et va aussi falloir que je vienne sans odeur suspectes sur moi. Tu serais capable de savoir que c'est moi dès qu'une odeur étrangère rentre dans ce lieu."

Il sortit le pain et le déballa de son linge, l'odeur de pain chaud envahit la pièce. Il le lui tendit de manière à ce qu'elle puisse l'attraper. Sentir l'odeur, éprouver le croquant de la croute et le moelleux de la mie, pas besoin d'être aveugle pour tester un pain de cette manière, mais il savait que chacun de ces gestes avait une autre signification pour Alia.

"Tiens, il vient de sortir du four, tu as certainement dû le sentir tellement il embaume. Par contre je ne vais te dire ce qu'il y a dedans, va falloir que tu goûtes."

Il dit ça avec un grand sourire, sourire qu'elle ne pouvait pas voir, mais bon ça n'est pas parce qu'elle ne ne pouvait pas qu'il était inutile de le faire, et puis un sourire ça s'entend. Puis comme d'habitude, la prenant par l'épaule il lui proposa de se diriger vers l'alcôve où ils avaient l'habitude de se poser pour discuter.

"Et sinon ça va bien ici?"




[j'ai peut être été un peu trop dirigiste ou entreprenant]

Le bruit de course se mua en bruit de pas, et Alia sut que Gwyddion était enfin arrivé. Un grand sourire l'accueillit et, lorsque le jeune homme posa sa main sur son bâton, Alia la lui effleura du bout des doigts, comme pour bien s'assurer que c'était le jeune homme, et pas quelqu'un d'autre.
"Une fois, lorsque je serais trop absorbée dans mes pensées, tu arriveras sans que je ne m'en aperçoive. Et cela risque d'arriver bien plus tôt que tu ne l'imagines ! Je commence à me faire vieille, mes oreilles me lâcheront bientôt" répondit-elle, plaisantant seulement à moitié.

Elle lui tendit sa joue, toujours aussi fraîche, et lui ébouriffa les cheveux au passage. Bien qu'il n'est guère plus l'âge pour de telle familiarité, Alia ne pouvait s'empêcher de lui témoigner cette petite marque d'affection. Ce geste avait accompagné toutes leurs rencontres, et ce depuis bien des années. Il ne serait pas aisé d'oublier cette habitude.

"Oh, tu sais, c'est surtout la bonne odeur du pain que tu m'as apporté que j'ai sentie, pas vraiment la tienne. Tout cet encens.. Pouah, ça me bouche un peu le nez. Un peu d'air frais est le bienvenue !"

Un petit bruit de tissu que l'on déplie : le jeune homme devait être en train de déballer les victuailles qu'il avait apporté. Et comme pour confirmer sa supposition, l'odeur du pain qu'il avait apporté envahi les alentours, et arracha un petit cri de bonheur à la prêtresse :
"Qu'il sent bon ! Je suis certaine qu'il doit être au moins aussi délicieux que son odeur le laisse présager."
Guidée par la main de Gwyddion, Alia caressa délicatement du bout de doigt la croûte, avant de s'emparer d'un petit morceau que le garçon avait coupé à son attention.

Portant le morceau de pain à ses narines, humant avec délice l'odeur de la nourriture, elle remarqua, en riant :
"Tu sais, Gwyddion, pas besoin de voir pour savoir que ce pain renferme une viande succulente et cuite à point. Je peux le sentir d'ici !"

Sans rien dire, elle le laissa la conduire près de l'alcôve où ils avaient l'habitude de s'asseoir, pour discuter en toute tranquillité. Venant de quelqu'un d'autre, ce geste l'aurait certainement mis en colère : elle était peut-être aveugle, mais pas sotte. Cet endroit, elle en connaissait les moindres recoins par coeur, et pouvait s'y diriger les yeux fermés, littéralement. Néanmoins, elle se laissa conduire sans rien dire : cette marque d'attention lui faisait chaud au coeur car nulle pitié ne se cachait derrière. Et puis, il fallait bien l'avouer : c'était bien plus simple d'être guider que de chercher son chemin dans l'obscurité grandissante.

Une fois assise, elle croqua à pleine dent dans son morceau de pain et, soufflant bruyamment pour ne pas se brûler, arriva néanmoins à articuler :
"Dé-li-chieux !"
Puis, au bout de quelques secondes, lorsque cette première bouchée eut rejoint son estomac, elle ajouta, feignant l'incertitude :
"Je dirais que la viande est... une viande de porc. Non?"
Puis, croquant derechef dans son morceau de pain, elle finit par répondre, évasive :
"Oh oui, la routine tu sais. Je suis allée me promener ce matin, près des champs, le sommeil me fuyant encore une fois. J'y ai par ailleurs rencontré Lysandre..."
Ta phrase resta en suspends, inachevée. Que pouvait-elle bien rajouter d'autre, sans mentionner la petite altercation qu'elle avait eu avec Elios? Dur, dur. Elle s'aventurait en terrain dangereux, Gwyddion étant de la famille de leur nouveau chef. Néanmoins, le sujet abordé rapidement allait peut-être paraître inaperçu. Peut-être.

[Euh, je me suis un peu aventurée pour la provenance de la viande, j'avoue que je ne sais pas trop quelle sorte de viande pourrait être majoritaire à cette époque. Et puis, si je me trompe, ça n'en sera que plus amusant ^^]

D'un point de vue extérieur, une personne qui n'était pas vraiment au courant trouverait que la scène semblait beaucoup plus intime qu'il n'y paraissait, et que cette démonstration de proximité n'avait pas lieu d'être dans cette partie du mausolée. Mais le principal moyen d'interaction de proximité avec un aveugle reste quand même le toucher donc il est normal que le contact soit un peu plus poussé. Mais bon, Gwyddion n'avait pas la tête à de telles considérations, mais plutôt à son entrevue avec Alia.

Il l'écouta souriant et alla tranquillement s'assoir dans l'alcôve, le soleil montant réchauffant le petit espace au travers du vitrail. Puis elle répondit à la première énigme de la journée.

"Gagné c'est du lard. Comme d'habitude je l'ai pris chez Belfos, même si on dit que ça n'est pas le meilleur d'Arestim je le trouve très bon, et le bonhomme aussi est très sympa."

Effectivement, bonhomme, ce terme désignait bien le maître boulanger. Pas bien grand, rondouillard et le visage joufflu, il avait une face soit rouge soit blanche en fonction qu'il était au fournil ou à la pâte. Puis Gwyddion se mit debout et imita l'artisan, avec une voix grave, accentuant les n muets et les r.

"Alorrs um' pain au larrd. Le larrd, c'est bom' parrce que c'est grras."

L'homme étant limite un caricature que le caricaturer n'était pas difficile, et puis même lui s'en amusait. Quand il entendit le nom de sa chef il se rassit.

"Ah tu l'as vu, c'est bien ça. Son mari est venu me demander ce matin si je savais où elle était passée. Qu'est-ce que j'en savais moi, je sais bien que je l'accompagne tout le temps mais si elle est pas venue me voir elle est pas venue me voir, elle a le droit de se balader toute seule, l'est assez grande pour ça."

En effet le jeune homme était connu pour ne pas quitter d'une semelle Lysandre quand cette dernière se déplaçait dans Arestim en tant que chef de la communauté, une sorte de garde du corps. Après tout avoir à ses côtés une personne qui sort de l'ordinaire permet d'être mis en valeur, et dans un sens Gwyddion sortait de l'ordinaire. Les mauvaises langues le traitaient de chien de garde ou chien de chasse de Lysandre. Mais jamais en face.
Puis renouant avec la conversation il se mit à rire.

"Tes oreilles vont te lâcher, mais arrête ton char. T'as même pas trente ans t'es encore jeune, on en reparlera quand tu auras deux fois ton âge, et encore, tu seras certainement capable d'entendre mieux que la plupart d'entre nous."

C'est vrai ça, les Olarils vivent environ cent ans, tant qu'on en a pas atteint soixante on est tout sauf vieux. Mais cette réflexion sur l'âge laissa place à un certain silence, de ceux que l'on entend en cas de trouble de l'âme. Il avait 19 ans et l'hiver arrivait, à la fin de cette saison il en aurait vingt, et à vingt ans c'est le rituel, le passage à l'âge adulte véritable. Une des choses qui faisaient sérieusement réfléchir Gwyddion, car à cette étape charnière on décidait de plein de choses, choses auxquelles l'Enfant Loup n'avait parfois pas envie de penser.

"Et sinon tu dors mal, ça ne vas pas?"

Galipette pour retourner la situation qui aurait pu passer inaperçue dans une conversation standard, le silence étant relativement court et son visage n'ayant pas changé vraiment d'expression. Mais face à quelqu'un qui sait entendre, ce silence parlait de lui même, et pour Alia il devait être très éloquent.

Alia éclata d'un rire joyeux en entendant la brève parodie de Gwyddion. Elle reconnaissait sans peine le ton bourru du boulanger. Elle devinait qu'il esquissait les mimiques qui allaient avec... Et surtout, elle riait parce qu'elle était contente qu'il soit venu la voir. C'était ça, ses détentes. Elle restait loin des bains, des jeux et des soirées qui lui procuraient peu de plaisir. Par contre, rien que le fait de parler innocemment avec Gwyddion lui remontait son moral en flèche.

Elle n'était pas sûre que de parler de Lysandre était une bonne idée. De plus, elle n'avait pas arrêté sa décision sur le Chef. L'attitude apaisante et franche de Gwyddion la rassura : ce ne serait pas aujourd'hui qu'ils adopteraient une conversation sérieuse à ce propos. Par contre, elle sourit en écoutant ses remontrances. Elle avait tendance à douter de la durée d'efficacité de ses sens, mais Gwyddion se montrait confiant. Elle avait du temps devant elle. Un léger silence suivit ses paroles. Impossible pour Alia de ne pas s'en rendre compte, elle qui était l'affût du moindre son. Elle imagina un instant le visage fermé de l'Enfant Loup, se demandant si elle avait fait quelque chose d'anormal. Mécaniquement, elle remit une mèche en place, geste toujours aussi inutile qu'il était ancré dans ses habitudes. Qu'est-ce qui avait fait s'arrêter Gwyddion dans sa tirade ? Elle chercha un instant, puis, ne trouvant pas, répondit à sa question. Pourtant, elle sentait parfaitement qu'il s'agissait d'une façon de détourner la conversation. Son ton était habituel, allègre et plein d'entrain.

- Disons que je me réveille très tôt ces derniers temps. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Je dois compléter mes heures de sommeil plus tôt que prévu... Au moins, ça me permet de faire de belles promenades !

Alia n'avait aucune idée de la raison pour laquelle le sommeil la fuyait. Elle ne se sentait pas particulièrement fatiguée au réveil, ni soucieuse pour un sujet en particulier. Peut-être que sa découverte du spectacle que pouvait offrir la nature au réveil l'enchantait tellement qu'elle voulait inconsciemment renouveler l'expérience...

Elle n'hésita qu'un bref instant avant de décider de montrer sa dernière découverte à Gwyddion. Visiblement, il était inquiet pour quelque chose. Et puisqu'il lui dirait de toute façon un jour ce qu'il en était, Alia murmura :

- Je ne sais pas ce qui te tracasse, mais je crois que j'ai quelque chose de joli à te faire entendre. C'est ma dernière découverte, termina-t-elle avec un sourire.

Alia leva le regard sur le ciel, estimant à la chaleur du soleil l'heure qu'il devait être. C'était une chance que Gwyddion ne soit pas arrivé plus tôt, ou plus tard. Elle se releva sans hâte, prit son bâton et se dirigea vers le coin droit de la cour. Normalement, le nid du couple d'oiseaux qu'elle avait entendu devait être assez proche. Elle mit un doigt sur ses lèvres pour lui proposer de faire silence. Une fois par jour, l'oiseau chantait une mélodie joyeuse et entraînante. Ce n'était pas pour la saison des amours, mais bien parce que l'espèce avait pour coutume de chanter lors de la construction du nid, jusqu'à son achèvement. Visiblement, un couple avait récemment élu domicile dans le temple d'Aimar et Alia serait la dernière à s'en plaindre.

- Tu reconnais ? chuchota-t-elle avec malice.

Intérieurement il remercia Alia de ne pas s'étendre sur le sujet. La jeune prêtresse avait bien senti que quelque chose n'allait pas, l'avait fait remarqué et ne s'était pas appesanti dessus. Si elle voulait qu'il lui en parle, elle le lui demanderait. Et encore mieux, elle voulait lui montrer quelque chose comme pour lui changer les idées, cette grande soeur était vraiment bien. Différente des autres, mais pour rien au monde il ne s'en séparerait.
Ils arrivèrent donc au jardin du temple où ils attendirent quelques instants, avant d'entendre. Aussitôt il se mit à chercher pour trouver dans un arbre un nid avec deux oiseaux qui chantaient tout en le faisant.

-C'est des serins bâtisseurs. Ils chantent en construisant leur nid. C'est assez rare d'en voir dans des espaces clos comme ça. Ils ont du trouver l'endroit à leur goût. Faut dire que c'est bien calme ici, je pense que ça va être un peu plus musical pour un temps. J'espère que toi et tes confrères ne sont pas dérangés, parce que vous allez y avoir le droit.

Il resta encore quelque temps avec Alia à ses côtés à écouter l'oiseau, jusqu'à ce que quelque chose à sa ceinture lui rappelle l'ordre des priorités.

-Au fait, j'ai pas fini de tout te montrer. On va laisser les deux autres la haut à leur occupation et on va revenir à la notre.

Et la prenant par l'épaule ils se redirigèrent vers l'alcôve où ils étaient quelques instant plus tôt. Une fois de nouveau sur place, Alia put entendre des bruits de boucles de sangles qu'on défait ainsi qu'une première sacoche qu'on posait sur la table avec un pouf un peu mat qui laissait deviner que ce qu'il y avait dedans devais se comporter comme une poudre ou des grains. Puis un autre bruit de sacoche qu'on pose, à la droite de la première, mais celle-ci sans sonorité bien discernable.

-Allez vas y choisit l'une d'elle et essaye de deviner ce qu'il y a dedans, le mieux c'est le toucher.

Mais elle ne put pas voir deux choses, l'une était le petit sourire amusé de Gwyddion, et l'autre que la seconde sacoche remuait légèrement.

Puisqu'elle devait faire sans les expressions des gens, Alia se demandait parfois si elle affichait sur ses traits les sentiments qui la traversaient. En cet instant, si elle avait pu avoir un regard vif, il aurait pétillé de joie et d'impatience. Mais son visage exprimait-il un semblant de bonheur ? Gardait-elle des expressions statiques et froides ? Ou au contraire parvenait-elle à extérioriser ce qui l'habitait ? Les deux attitudes avaient leurs désavantages, mais elle aurait voulu savoir. Peut-être un jour s'enhardirait-elle à poser la question à Gwyddion...

Le jeu amusait Alia. Gwyddion trouverait la bonne réponse sans effort apparent. Elle ne saurait jamais s'il avait trouvé l'énigme difficile, si la réflexion avait été hardie,... mais la vue n'aurait pas changé cet état de fait. Et au final, elle préférait rester dans l'ignorance. Elle aurait été étonnée qu'il ne trouve pas, en fait. Ça l'épatait. Quand elle entendit la réponse de Gwyddion, elle eut un grand sourire :

- Tu as tout juste ! Peut-être Aimar a-t-il voulu distraire l'existence de ses serviteurs... En tout cas je crois que tout le monde au Temple est ravi !

Alia repensa aux fils de Filhakan qui étaient passés la veille et raconta à Gwyddion :

- En fait, j'en suis même sûre. Une distraction aussi mélodieuse que celle-là ne peut qu'être appréciée ! Pas plus tard qu'hier, des prêtres de Filhakan sont venus les écouter, pour tenter de reproduire la mélodie sur leurs instruments. Le plus motivé était certainement le flûtiste.

La jeune prêtresse repensa aux essais d'abord totalement infructueux, à l'amusement de l'oiseau et aux premiers balbutiements corrects des instrumentistes. Elle termina en replaçant une mèche de cheveux :

- Ils n'ont pas réussi à faire ce qu'ils voulaient. Ils vont revenir tous les jours jusqu'à ce qu'ils aient atteint leur but, je crois. Et j'ai gagné un concert quotidien dans l'affaire !

Un léger rire secoua les épaules blanches de la jeune femme. Vu sous cet angle, le commerce avait presque l'air facile. Enfantin. Il avait suffit à Alia d'être l'occupante des lieux...

La prêtresse se laissa entraîner vers le premier endroit qu'ils avaient occupé. Elle devina chaque geste de Gwyddion, cherchant déjà au son produit ce que pouvaient contenir les deux sacs qu'il déposait. Suivant la proposition de son ami, Alia s'approcha de la table et saisit ce que ses mains rencontrèrent en premier – le sac le plus proche d'elle. Au toucher, elle reconnut le cuir souple et léger utilisé par les Hirune pour leurs chasses. Plongeant sa main sans hésitation, elle en ressortit une poignée de graines sèches. L'odeur était très légère, quasiment inexistante. Pourtant, Alia pensa aussitôt à une jeune cultivatrice de maïs qu'elle avait eu l'occasion de rencontrer. Elle ne retrouvait pas l'odeur de cette jeune fille sur le sac – loin de là – mais elle était quasiment certaine que le produit qu'elle lui avait fièrement montré était le même que celui que Gwyddion lui proposait. Elle ne porta rien à sa bouche, puisqu'elle devait deviner au toucher. Elle laissa progressivement retomber le contenu de sa poignée dans le sac, écoutant attentivement le bruit produit par les graines. Quand sa main fut vide, elle répondit à Gwyddion :

- Ce sont des graines de maïs séché, non ?

Elle n'en aurait pas mis sa main au feu, mais elle pensait bien avoir donné la bonne réponse. Avec l'innocence d'une petite fille, elle attendait l'affirmation de son ami, comme si sa découverte du sac suivant ne dépendait que de sa réussite à ce premier questionnement. En effet, si le premier sac avait produit un son facilement identifiable en frappant la table, le second n'avait rien produit de caractéristique. Sans doute était-ce un objet léger... Intriguée, elle attendit sagement la réponse qui n'allait pas tarder.