Mertens Dans un couloir creusé dans la roche, seuls les éclats des candélabres permettaient de ne pas se perdre. Passages humides, froids, et un silence de mort, seulement percé par des gémissements et des bruits de pas. Mertens savait où il allait, malgré de nombreux carrefours et bifurcations. Cet endroit était son terrain de jeu, son antre, sa maison...
Il y rejoignait son Maître, avec derrière lui, soulevé par Baerig l’un des hommes de main à la carrure imposante, le corps lourd de son gendre.
Une porte en bois grinça à leur entrée, ils pénétrèrent dans une pièce longue, basse de plafond, mais largement éclairée. Une grand bibliothèque recouvrait une partie du mur du fond, et les pierres humides étaient, elles, masquées par des tapisseries aux évocations mythologiques et anciennes.
Aucun d’eux, et surtout pas cet enfant dont le visage était recouvert d’une toile épaisse, ne s’étonnait de cet aménagement : table, chaises, bureau, lit à baldaquin... De quoi vivre ici sans jamais voir la lumière du jour. Sur un signe de tête silencieux, Baerig déposa son fardeau sur le lit aux draps soyeux, et vint rechercher l’enfant, le saisissant délicatement par le bras pour l’entraîner, à l’aveugle, dans une pièce adjacente par une porte dérobée. Le petit n’opposa aucune résistance, il semblait résigné... ou totalement éberlué encore par ce qu’il avait vu.
Mertens attendit que la tenture cesse tout mouvement pour s’avancer vers le lit et l’homme qui y gisait, gémissant. Au moment où il observait en silence ce visage que la vie quittait peu à peu, d’une pâleur fantomatique, une autre tapisserie se souleva, laissant apparaître l’Aîné du Conseil. Mertens fit un geste du menton, qui répondait à un regard de son Maître, sans qu’ils n’aient besoin de s’exprimer. Mais aussitôt, le mercenaire vit passer par le passage secret une silhouette gracile et noble. Asmerel Jaktarii... la femme de Cyrilis avait été informée du drame, c’était certain, elle traversa la pièce sans perdre de sa superbe malgré l’émotion lisible sur son visage.
- Non... non ! Lançait-elle en s’approchant, refusant la vérité. Mertens s’écarta pour la laisse au chevet de son mari, elle s’effondra dans le cou du mourant.
Que s’est-il passé ? Sanglotait-elle.
Riarg Karnimacii fit quelques pas, posa une main sur l’épaule de sa fille dans un mouvement parfaitement pesé. Resté droit, il échangea un regard avec son homme de main.
« Le Seigneur Jaktarii a traqué ce chien dissident jusqu’à lui reprendre le Dauphin, au péril de sa vie. »La jeune femme fit entendre de plus belle une lamentation. Mertens pouvait deviner ce qui se jouait dans son crâne, mais ne s’attardait pas en ces considérations. Il garda les mains derrière de dos, le buste droit, et se recula quelques peu.
Le Père tapota l’épaule de sa fille alors que les gémissements devenaient faibles, inaudibles. Ce n’était bientôt plus qu’un souffle rauque, puis un silence inviolable.
Asmerel hurla à nouveau, mais il était trop tard. L’Aîné glissa quelques mots à l’oreille de sa fille, la laissant se recueillir, alors qu’il annonça aller chercher un Moine.
Il s’approcha bientôt d’une tapisserie, la souleva, y entraîna Mertens comme son ombre. Seul dans une petite pièce circulaire, comme entre deux murs, le Conseiller siffla simplement :
- Est-ce lui ?Mertens acquiesça, et crut déceler sur le visage de son Maître, un instant, un éclair entre la rage et la crainte. C’en était tout de leur échange. Le Serviteur connaissait ses ordres, il savait que faire. Il s’esquiva par une porte de bois moulu, et l’Aîné resta seul, un moment, pensif. Du moins, c’est ce que Mertens savait des habitudes de Maître...