Les trois coups résonnent enfin. Les rideaux s'ouvrent. La scène commence.
Scène un, acte I. Les acteurs entrent et s'activent, comme s'ils avaient répété des heures durant ce qu'ils allaient jouer à l'instant. Mais ces acteurs là n'étaient que marionettes improvisées qui ne faisaient que répéter ce que le souffleur leur murmurait. Savant souffleur alors qui n'était autre que le rusé metteur en scène de toute cette agitation.
Ou panique devrait-on dire plutôt. Tel serait le bon mot pour décrire la rumeur qui soudain se mit à courir, dans un vent tout de frayeur et d'inquiétude inspiré, le long des couloirs du château alors que les précepteurs sortaient soudain des appartements du petit prince pour annoncer qu'il... avait disparu. Juste... disparu. Plus aucune trace. Rien. Comme souvent, le gamin avait réussi à les semer quelques heures plus tôt, enfant pétris de facéties qu'il était. Mais, si les précepteurs avaient fort l'habitude de ce genre de disparition, ils n'étaient guère accoutumés à ce qu'une telle disparition dure si longtemps. A savoir quasiment... tout un après midi ! D'ordinaire le farceur revenait, sous ces faux airs penauds et honteux, de lui-même, répondant enfin aux appels inquiets de ces "gardiens". Mais là... rien. Pas de petit prince. Et cela devenait alors réellement inquiétant. Le gamin avait disparu. Non, pas le gamin... mais le Prince !
Tout le château ainsi alerté se mit à sa recherche. Le souffleur soufflant plus encore sur les braises du feu de la panique montante, instillant un sentiment d'urgence de plus en plus ténu, de plus en plus concret. La tension monte et est à son comble... quand le soleil fait montre de vouloir se coucher. Le château aurait bien ordonné à l'astre solaire de veiller, comme tout le monde s'apprêtait à le faire, tant que le petit Prince ne serait pas rentré. Il serait inconvenant que quiconque ose prendre du repos alors qu'une telle tragédie se jouait. Mais nul ne pouvait commander ainsi à l'astre brillant, qui n'en fit qu'à sa tête et continua sa descente. Jusqu'à ce que les ombres, perfides et sournoises, avivant les peurs plus encore, ne remplacent enfin les rayons opalescents, dont le rougeoyant effronté disparaissait à l'horizon.
Peut-être était-il temps de clôturer cette scène-là et de lancer la suivante, pensa le souffleur. Oui, sans doute était-il temps. L'instant semblait le mieux choisi. Et c'est ainsi qu'une autre nouvelle vint un instant figer le chateau.
Le conseiller Cyrillis arrive tout agité, une lettre à la main, s'introduisant dans la salle du conseil tout essouflé. Un message. Une demande de rançon. Le petit Prince a été enlevé ! La peur est à son apogée, mais l'Aîné, malgré l'inquiétude qui semble marquer son visage, impose le calme à toute l'assemblée, renvoyant les badauds malvenus et imposant une séance d'urgence du Conseil, sur le champs, séance tenante, ne laissant auxdits conseillers qu'une petite demie-heure pour faire acte de présence. Il y avait des mesures à prendre, et des mesures qui ne pouvaient souffrir d'attendre. Il n'attendit guère d'ailleurs pour demander aux gardes d'instaurer des barrages à tous les accès du chateau, de ne laisser entrer ni sortir personne sous ordre de l'AÎné, en attendant la décision du Conseil.
Ainsi commença la dernière scène du premier acte, sur une réunion impromptue des conseillers, présents presque au complet, pour aviser de la sinistre situation et y répondre au plus vite. Et au plus juste. Sans mettre la vie du jeune Prince en danger, insista sévèrement l'Ainé, en dardant son regard sombre sur la Générale de l'armée alors présente elle aussi. Belles marionnettes alors qui répondirent sans se récrier aux ordres du sournois souffleur et obéirent à toutes ses exigences.
Ce fut le conseiller Cyrillis qui fut nommé chargé de cette affaire. Il avait après tout reçu le message de rançon, ce qui l'avait quasiment d'office porté au premier rang des négociations. Inutile de contrarier les ravisseurs d'ailleurs, et le conseiller ainsi nommé était somme toute le plus à même de se charger de l'affaire, étant le plus proche de l'armée.
Ainsi fut clos l'acte I, le rideau se tirant doucement, dans un froissement presque sinistre, sur des visages inquiets, agités, voire... intrigués pour certains.
Et sur un sourire presque carnassier du souffleur. Un sourire qui aurait fait frémir le plus courageux des hommes.
Un sourire qui aurait fait pâlir d'envie le plus diable des traîtres....