Le Conseil venait de s’achever. Bien que silencieuse tout au long de l’exercice, Vanhilde n’en avait pas été attentive, et son retrait -puisqu’elle n’avait pas à prendre la parole quand on ne la lui donnait pas, et qu’elle ne l’avait, d’ailleurs, pas demandée- lui avait permit d’observer bien des visages. Si elle avait été étonnée par la surprenante maîtrise du Gardan Edorta, il y avait des hommes qui n’étaient eux, pas si grands qu’à l’accoutumée.
Comment ne pas remarquer l’étrange Conseiller Jaktarii ? Et bien qu’elle ne puisse dire en quoi son attitude paraissait défaite de son personnage habituel, Vanhilde avait perçu en lui un trouble de la Volonté. Comme un pressentiment désagréable, infime, mais bien présent. Par politesse, elle s’était refusée à l’observer plus qu’il n’était socialement permit. Mais les quelques regards échangés, en toute cordialité, lui avaient laissée un goût intriguant.
N’ayant jamais été proche du gendre de Riarg Karnimacii, la Conseillère était très mal placée pour chercher à en savoir plus, ou en questionnant Cyrilis directement ; d’ailleurs, sa bonne éducation lui interdisait de s’inquiéter outre mesure des choses qui vraisemblablement, ne la regardaient pas. Cependant, ressentir de façon si palpable un changement dans la Volonté de l’un des piliers de l’Etat l’inquiétait, et comme il lui semblait avoir également surpris une lueur anormale dans le regard de l’Aînée, Vanhilde attendit après la fin de leur rencontre royale que le Conseiller sorte de la salle des Audiences.
Avec un salut élégant, qui pour beaucoup paraissait théâtrale et qui en réalité était bien différent de celui réservé à des étrangers, la Conseillère Téhanii alla à la rencontre de Riarg et l’accompagna d’un pas lent.
« Voudriez-vous profiter du soleil de cette fin de matinée pour converser au balcon ? » Une main, gantée de noir, indiqua la direction d’un des balcons de l’étage. L’endroit était assez petit pour qu’il ne soit pas peuplé d’indésirables, et suffisamment bien exposé pour bénéficier d’un soleil estival prometteur. En outre, la vue sur le Quartier Religieux y était idéale.
Vanhilde s’était sentie proche de Riarg Karnimacii lorsqu’elle avait fait ses débuts au Conseil. Comme toute nouvelle arrivée, à l’époque, elle avait été accueillie de façon bien inégale par ses compères. Sa réputation de Juge Religieux l’avait précédée et certains voyaient d’un mauvais œil la venue d’une femme capable de juger aveuglément Humbles, Moines ou Nobles avec autant de dureté. Sans doute avaient-ils craint pour leurs vertus, et il fallait avouer qu’après son arrivée, plusieurs changements s’opérèrent parmi le Conseil, en premier lieu, l’arrêt total de blasphèmes lors des séances d’Audience. Il fallut, pour les Conseillers, mieux se cacher lorsqu’ils parlaient de leurs maîtresses ou vices répréhensibles par le Tout Puissant, et faire preuve de plus de Volonté au quotidien.
L’évolution vertueuse du Conseil avait, semble-t-il, plu à Riarg et ils avaient eu bientôt un dialogue privilégié, sans doute parce qu’elle était un des plus loyal soutien aux Arlanii et à l’Ordre Établit. En bien des situations, ils avaient échangé en privé, préférant converser loin des oreilles moins proches de leur confiance.
Aussi, l’étrangeté qu’elle avait cru lire dans le regard de l’Aînée était-elle préoccupante, plus sans doute que l’attitude perturbante de son gendre ; mais Vanhilde n’était pas femme à questionner, ni à jouer les indiscrètes. Pourtant, s’il s’agissait d’un manque de Volonté, elle était apte à se montrer impolie.
Les battants des hautes portes vitrées furent ouverts par deux valets qui les laissèrent passer avec une courbette, alors qu’un chaud soleil les accueillait. Lorsque le silence exigé par le protocole devant une vue si plaisante fut écoulé, la Conseillère se tourna vers son interlocuteur.
« Il m’est fort désagréable de vous ennuyer de mes préoccupations, fruits d’observations bien impolies je dois vous l’avouer. » Son visage n’exprimait, pourtant, aucune sorte de honte, car dans ces affaires, rien ne saurait tolérer un trouble dans la Volonté, et surtout pas d’un Conseiller. « Mais vous devez avoir remarqué l’étrange comportement de votre gendre, n’est-ce pas ? » Elle ne doutait pas que Riarg ait, lui aussi, su lire un changement infime chez le Conseiller Jaktarii. Il était trop observateur pour ne pas l’avoir sondé. Elle le savait.
Mar 17 Avr - 20:29